jeudi 02 novembre 2023

Reptile, de Grant Singer (2023)

reptile.jpg, oct. 2023
Noir et glacé

Reptile titille en moi la bonne combinaison de cordes en matière de thriller néo-noir contemporain, et ce qui m'est apparu comme prenant et intense pourra se révéler totalement anecdotique chez toute personne désintéressée dans ce genre typique des 90s. Pire, l'ensemble des défauts prendra probablement le dessus. Pour son premier film, Grant Singer fait preuve d'une maîtrise assez remarquable, avec néanmoins les traces caractéristiques de celui qui veut trop bien faire sur un coup d'essai, et les références me paraissent clairement identifiables (pour le meilleur, me concernant) : Prisoners de Villeneuve, les thrillers de Fincher au tournant des années 1990 / 2000, avec un soupçon de corruption dans les thématiques convoquant tous les films dans la lignée de Copland. Un meurtre, une enquête, et des révélations qui explosent à chaque strate de secret grattée.

Dans le fond il n'y a rien de fondamentalement neuf, mais en un sens le néo-noir a toujours été un registre très codifié il me semble, ne permettant pas de prise de liberté folle. Il arrive un moment dans le film où les différents rouages du récit, autonomes jusque-là, s'emboîtent et forment une certaine cohérence laissant s'échapper la suite des péripéties avec une certaine prévisibilité. Mais même à ce moment-là, le thriller a su tisser son atmosphère pesante et parvient à aligner quelques séquences convenues mais pas moins étouffantes — la convocation du lendemain matin, l'arrestation en pleine nuit par une patrouille sur la route, et quelques autres. Reptile se révèle très habile dans sa capacité à semer des indices et des fausses pistes, en jouant sur des motifs largement connus tout en développant des choses plus originales, sans que l'exercice ne devienne pénible. On choisit d'accorder de l'importance à ces détails, ou pas.

Et il faut avouer que dans mon visionnage, c'est Benicio del Toro le flic qui a bouffé toute l'attention, écrasant allègrement le personnage de Justin Timberlake (très bien dans le rôle, mais un peu faiblard en fils d'une femme à la tête d'un puissant empire immobilier) et celui de Michael Pitt (pourtant particulièrement gratiné, un peu trop à mon goût dans le registre "je suis le voisin destroy, voyez ce super suspect"). Le rapport du protagoniste avec sa femme, Alicia Silverstone, est également bien écrit et pas du tout laissé en marge au-delà du simple fait que cette dernière est liée à l'équipe de son mari constituée d'enquêteurs. Car c'est aussi un film sur un flic dont les frontières vacillent, qui se pose beaucoup de questions sur sa femme, sur son boulot, sur son intégrité. Un flic qui prend conscience de certaines illusions, et qui prend des coups. À ce titre le travail au niveau de l'ambiance sonore pourra déplaire à certains par sa prédominance, mais j'ai personnellement beaucoup aimé l'immersion provoquée et la sensation de malaise occasionnée par certaines dissonances. C'est en réalité à l'image du reste : un peu trop démonstratif par moments, comme beaucoup de premiers films qui veulent laisser une empreinte, mais suffisamment fluide et satisfaisant dans la mise en scène pour produire un portrait désenchanté captivant, sans toutefois prétendre révolutionner le genre.

img1.jpg, oct. 2023 img2.jpg, oct. 2023 img3.jpg, oct. 2023 img4.jpg, oct. 2023

mercredi 01 novembre 2023

L'Interrogatoire (Przesluchanie), de Ryszard Bugajski (1989)

interrogatoire.jpg, oct. 2023
Extorsion d'aveux

Entre l'hommage appuyé et la source d'inspiration conséquente, j'avoue ne pas avoir réussi à regarder L'Interrogatoire autrement que comme une variation de L'Aveu de Costa-Gavras qui aurait été transposé dans les années 50 polonaises. Non pas que cela amoindrisse lourdement l'intérêt du film de Ryszard Bugajski, mais disons que la parallèle impose un carcan et une lecture de presque tous les événements à travers ce filtre-là, et constitue à ce titre un léger handicap. Si le cadre des deux films est très similaire, c'est-à-dire une personne emprisonnée en 1951 par un régime pro-stalinien que l'on cherche à briser pour mieux lui faire confesser toutes sortes de choses, le style varie beaucoup en se plaçant du côté d'une chanteuse de cabaret.

Dans le rôle principal, l'actrice polonaise Krystyna Janda est vraiment très convaincante, dans un premier temps totalement ignorante des raisons qui l'ont conduite dans les locaux des services de la sûreté après une représentation, et ensuite prise dans le cycle infernal d'un régime polonais prêt à n'importe quelle forme de coercition pour obtenir des aveux. C'est donc avant tout un film de prison, avec 5 minutes à l'extérieur en introduction et en conclusion. Et dans cet univers carcéral, l'ambiance oscille entre Orwell et Kafka avec la description d'une oppression politique qui évoque sans détour l'époque contemporaine de la sortie du film dans les années 80 — chose pour laquelle le film fut interdit jusqu'en 1989 avec seulement des copies VHS circulant sous le manteau.

L'état mental de cette femme coupée de tout du jour au lendemain, bougée sans cesse de cellule en cellule, prisonnière dans la grisaille, constitue l'un des points forts du film qui n'en finit pas d'instaurer un climat anxiogène efficace. Une toile de fond dans laquelle on peut remarquer la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland, ici actrice. On regrette simplement qu'il n'y ait pas eu davantage de progressivité dans l'évolution de son rapport aux tortionnaires, qui passe très rapidement de la crainte au détachement. De même, la relation qui s'installe entre Tonia et son bourreau dans la dernière partie, avec romance, confidence, aide et autolyse, est un choix assez curieux sur le plan scénaristique, n'aidant pas vraiment à la crédibilité de l'ensemble. Enfin, la structure extrêmement imagée de la naissance d'un enfant en prison qui vient en réponse de l'annonce de la mort de Staline, aurait gagnée à être un peu mieux incorporée dans le tableau.

img1.jpg, oct. 2023 img2.jpg, oct. 2023 img3.jpg, oct. 2023 img4.jpg, oct. 2023

mercredi 25 octobre 2023

Le Tonnerre de Dieu, de Denys de La Patellière (1965)

tonnerre_de_dieu.jpg, oct. 2023
"Un optimiste, c'est un homme sans imagination."

Même dans le surjeu du vieux vétérinaire alcoolo et vaguement anar qui se fait chier dans l'immense manoir dont il a hérité, Jean Gabin le soixantenaire en roue libre, excessif à plus d'un titre, reste un personnage attachant capable de débiter des punchlines à un rythme effréné sans écœurer. En fait, il n'y a que dans le registre du film policier, chez Grangier, Lautner ou encore Delannoy, qu'il s'est vraiment laissé aller à des caricatures lourdingues et pénibles — le plus souvent de flics désabusés et omniscients. Ici il opère dans un rôle qui lui convient très bien et avec lequel il semble parfaitement à l'aise, sans doute un peu trop près du cabotinage : le gars irascible et misanthrope, dont la fréquence des coups de gueule est directement corrélée à son taux d'alcoolémie. Selon le niveau d'adhésion aux dialogues (saillants et fendarts, à titre personnel) de Pascal Jardin qui semble avoir allègrement pioché du côté de Michel Audiard, l'enthousiasme suscité pourra autoriser l'effacement de certaines limitations du film, à commencer par la caricature de Gabin et la faiblesse d'écriture des deux principaux personnages féminins en comrpaison.

Le Tonnerre de Dieu est un film du milieu des années 1960, et il est assez intéressant de voir comment il parvient de temps en temps à malmener les codes extrêmement machistes de son temps, que ce soit dans l'introduction de personnages féminins qui ne soient pas réduits à du mobilier (même s'il reste assez limité à ce niveau) et dans le comportement du protagoniste masculin, dont les penchants libertaires iconoclastes servent de terreau d'une part à exprimer ses diatribes (avinées ou non) à fort potentiel comique et d'autre part à revendiquer un positionnement vis-à-vis des femmes en opposition totale avec la norme des mâles locaux. Ce n'est pas du tout un ange, on nous le rappelle fréquemment de manière volontaire ou involontaire, mais sa façon d'accueillir chez lui une jeune prostituée (Michèle Mercier) et le final, sous forme de happy end du grand-parent, détonne largement dans le décorum de cette vieille France. On n'ira pas jusqu'à le qualifier de proto-féministe, loin de là, mais il contient des traces intrigantes d'un décalage à la norme.

Si l'intention première de l'accueil dans son manoir de la jeune femme a trait à une volonté de la débarrasser de son proxénète, le personnage de Gabin est plus complexe, à l'image de la relation avec sa femme (Lilli Palmer). On sent que la zone grise au niveau de ses intentions est assez étendue, il ne semble clairement pas sûr de tout ce qu'il fait ou a pu faire. Mais c'est quoi qu'il en soit au niveau de la gouaille du personnage que le film tire son épingle du jeu, et évidemment on se marre beaucoup quand on voit Gabin malmener le souteneur interprété par Robert Hossein — moment doublement comique puisque ce dernier est le grand amour de Michèle Mercier dans la série de films Angélique à la même époque — et le remettre systématiquement à sa place. Il suffit qu'il récite "nous par ici à chaque arrêt de car, on a l'habitude de descendre boire un coup : l'un dans l'autre, ça fait du 2-3 litres au 100" ou encore "il y a eu la grande peste en l'an 1000 mais tu vas voir la grande merde de l'an 2000" avec sa verve habituelle, accoudé au bar devant son ballon de blanc, pour convaincre. Grand moment comique et improbable aussi lorsque le scénario nous montre Georges Géret en amoureux transi... Le Tonnerre de Dieu ne sera pas le chef-d'œuvre de Denys de La Patellière, il est même bien en-dessous de réussites percutantes des années 1950 comme Rue des Prairies ou Les Grandes Familles, mais conserve tout de même une petite part de délectation.

img1.png, oct. 2023 img2.png, oct. 2023 img3.png, oct. 2023 img4.png, oct. 2023 img5.png, oct. 2023 img6.png, oct. 2023

mardi 24 octobre 2023

Canal Zone, de Frederick Wiseman (1977)

canal_zone.jpg, oct. 2023
Un microcosme

Près de trois heures de déambulations dans la région du canal de Panama, au milieu des années 70, à une époque où il s'agissait encore d'un territoire des États-Unis — le Panama ne retrouvera le contrôle complet du canal qu'en 1999. Frederick Wiseman quitte ainsi le sol des États-Unis pour la première fois, mais sans vraiment le quitter, puisque Canal Zone s'attachera à décrire une communauté américaine déportée, implantée artificiellement dans une région de 1500 kilomètres carrés, pour une année anniversaire un peu particulière : 1976, soit le bicentenaire de la fondation des États-Unis. L'occasion pour la communauté locale de manifester un patriotisme sincère et total, drapeaux tous azimuts, et surtout pour Wiseman l'occasion de s'immerger au sein d'un espace-temps qui paraît empreint d'un surréalisme discret mais savoureux vu d'aujourd'hui.

Si le procédé employé par Wiseman sur ce projet est rigoureusement conforme à toute la partie documentaire de son œuvre, c'est-à-dire des centaines d'heures de rushes assemblées au montage pour former un portrait qui s'attarde autant sur des détails que sur des événements importants, on peut relever un premier pas de côté dans Canal Zone. Pour la première fois, il ne s'intéresse pas à une institution particulière (un hôpital, un lycée, un tribunal, etc.) sur un territoire mais bien à un territoire lui-même, défini au travers du spectre de ses nombreuses institutions. En ce sens, c'est un cousin éloigné de Monrovia, Indiana dont le sujet était tout aussi vaste, lui aussi d'une ampleur un peu trop vague. Et puis Canal Zone est à ranger dans la catégorie des docus pour lesquels Wiseman semble s'être quelque peu laissé aller pour le montage, comme emporté par l'étendue des thématiques, et a conservé de très nombreuses séquences en intégralité, ce qui donne l'impression d'un film un peu boursouflé par endroits.

Tout y passe : après une courte introduction sur le canal à proprement parler incluant balade sur l'eau et petit cours d'histoire, le film passe en revue tous les aspects de la vie locale. Il y a la partie technique, avec le fonctionnement du canal, les opérations fluviales et les agences gouvernementales, les bateaux et leurs pilotes, et il y a la vie dans les alentours, les zones commerciales ou militaires, les résidents avec leurs activités quotidiennes, sociales ou religieuses. C'est une micro-société qui ressemble à un condensé du mode de vie américain, renforcé par la célébration de la déclaration d'indépendance, baignant largement dans les discours humanitaires prônant la liberté (et entre les lignes le modèle américain comme seul modèle valable bien entendu) et les prêches évangélistes répétés jusqu'à l'écœurement.

C'est une vision intéressante de cette Amérique coloniale, qui laisse loin dans l'arrière-plan les autochtones (vivant loin des résidences américaines, vraisemblablement) pour faire le tableau d'une société prospère et sûre d'elle, avec toutes les particularités des habitudes de l'époque : les courses au supermarché qui empilent les boîtes de conserve, les pauses agrémentées de bouteilles de coca ou de bière, les séances de ball-trap aussi sérieuses que les prédicateurs dans leurs églises, les émissions de télé consacrées au dressage des chiens militaires , etc. On peut même y voir des images de l'immense porte-conteneurs Ever Given, de la compagnie Evergreen, qui causa l'obstruction du canal de Suez pendant 6 jours en 2021. Un aperçu d'une société in vitro, transplantée dans cet endroit au carrefour des cultures et du commerce, prise dans son jus quotidien — parfois soporifique — partagé entre des éléments problématiques clairement identifiés (les violences familiales sont trois fois supérieures à la moyenne nationale) et une tendance de fond d'où se dégage une amertume discrète de la part de Wiseman.

img1.jpg, oct. 2023 img2.jpg, oct. 2023 img3.jpg, oct. 2023 img4.jpg, oct. 2023

lundi 23 octobre 2023

Un homme qui dort, de Bernard Queysanne (1978)

homme_qui_dort.jpg, oct. 2023
"Il n'y a pas d'issue, pas de miracle."

Quel exercice de style, ce film de Bernard Queysanne adapté du roman de Georges Perec, sans dialogue, tout en voix off assortie de bruitages et entièrement dédié à la description dépressive de la vie d'un étudiant à la fin de sa licence... À la seconde personne du singulier, la voix de Ludmila Mikaël raconte sans tarir l'état intérieur de cet homme, partagé entre anecdotes insignifiantes d'un quotidien morne et introspections profondes, sur des images en noir et blanc montrant son errance parisienne.

Une question revient souvent, malgré la courte durée de Un homme qui dort : avec sa voix off omniprésente très littéraire, on se demande s'il n'aurait pas mieux valu simplement écouter le film plutôt que le regarder — ce que j'ai fait dans un second temps, en écoutant la piste audio sans l'image, mais finalement les images que j'avais déjà vues sont revenues se poser sur la voix de Mikaël — voire même peut-être commencer par la lecture du livre.

C'est une narration qui attend 5 minutes avant de nous prendre à la gorge, avec seulement quelques moments de répit, pour se lancer dans un monologue nihiliste sur le renoncement qui a ses passages assommants. Une heure durant, dans un premier temps, le comportement du personnage (Jacques Spiesser) semble conscient, choisi, il paraît être acteur de sa mise à l'écart du monde et atteindre une forme d'équilibre qui lui convient, loin de tout.

Et puis soudainement, dans la dernière étape, Ludmila Mikaël change de ton et se fait plus agressive, plus noire. Elle quitte définitivement sa zone de confort monotone et devient venimeuse. Ce qui ressemblait à un mode de vie confortable laisse place à une angoisse latente, à mesure que l'inquiétude et le doute envahit l'espace. "Il n'y a pas d'issue, pas de miracle". Elle insiste brusquement sur la répétition des mêmes motifs, sur la solitude de sa condition, sur la vanité et la fausseté de ses choix. Des percussions à la limite de la dissonance, stridentes, enflent dans la bande sonore. Les vingt dernières minutes se transforment ainsi en un sommet de désespoir et d'hostilité, elles évoquent le massacre de Charonne et les monstres qui lui inspirent des insultes et du dégoût.

Le travail d'adaptation du livre et la transcription du style de Perec sont très probablement cruciaux, le texte est très fort mais c'est à se demander si cette captation d'une dépression et de ce néant n'est pas plus adaptée au format du roman — à confirmer. Le film de Bernard Queysanne revêt de son côté une dimension anxiogène, légèrement expérimentale, en tout état de cause bizarre avec son parti pris narratif singulier et son rythme implacable.

img1.png, oct. 2023 img2.png, oct. 2023 img3.png, oct. 2023 img4.png, oct. 2023

jeudi 19 octobre 2023

Désordres (Unrueh), de Cyril Schäublin (2022)

desordres.jpg, oct. 2023
Anarchisme, capitalisme, ressorts et balanciers

Saint-Imier, un petit village suisse, fin du XIXe siècle. Pierre Kropotkine, géographe dans la veine d'Élisée Reclus pas encore tout à fait sensibilisé à la cause anarchiste à la fin des années 1870, erre dans les parages pour relever des informations topologiques et créer de nouvelles cartes plus précises des environs. L'encart initial avec une citation de sa part pourrait mettre sur la mauvaise voie : il ne s'agit pas du tout d'une biographie, il restera d'ailleurs largement dans l'arrière-plan, comme personnage secondaire. Non Désordres (Unrueh en version originale, un terme allemand désignant à la fois une pièce d'horlogerie, le balancier, mais signifiant également agitation : pertinence maximale pour un titre) s'intéresse avant tout au travail d'ouvrières de l'industrie horlogère, à l'orée de bouleversements technologiques qui vont voir s'affronter deux mouvements. La rationalisation toute fordiste du temps de travail prônée par le capitalisme, qui consiste à chronométrer les tâches, identifier les chemins les plus rapides, et maximiser les profits en augmentant autant que possible les cadences, et la progression des idées anarchistes au sein de la population locale, tout particulièrement auprès des travailleuses.

Mais derrière le terme affrontement, il ne faut pas s'attendre à des oppositions frontales ou des invectives qui vireraient au physique : c'est là la grande particularité de Désordres, qui sans doute endormira les uns et passionnera les autres, puisque tout se déroulera au travers d'échanges extrêmement cordiaux et feutrés, avec moult politesse, au creux de convenances exacerbées qui finissent comme par magie par souligner la violence de l'époque. Que ce soit pour signifier une absence de droit de vote (car les impôts n'ont pas été payés) ou pour notifier un licenciement sec (pour voir manifesté une accointance avec des anarchistes), ce sont des mots pas plus hauts que les autres qui sortent de la bouche des contremaîtres et des notables. Cette ambiance presque surréaliste est vraiment géniale, et permet de laisser s'exprimer le sujet principal : à travers la mesure du temps et sa corrélation à l'argent, on assiste à la naissance des cadences dans les usines et l'apparition du capitalisme dans ce petit coin de Suisse.

C'est ainsi dans un cadre presque paternel et bienveillant que s'installe progressivement une pression sur les ouvrières, pour augmenter le nombre de montres mécaniques montées par jour. À la précision des gestes que les femmes accomplissent sous l'œil de leurs loupes monoculaires, les dirigeants chronomètrent, inlassablement, chaque fraction de la chaîne de montage et réorganisent le travail. Cyril Schäublin et son directeur de la photographie sont parvenus à instiller un sentiment d'étrangeté très singulier à l'occasion de nombreux plans extérieurs cadrés bizarrement, avec souvent plusieurs groupes de personnages filmés de loin et écrasés dans un coin du plan. Tous ces plans ne sont pas aussi justifiés les uns que les autres, mais il y a tout de même une sensation de précision dans l'observation qui se dégage, avec en complément les nombreux "ne rentrez pas dans l’image !" assénés aux ouvriers et aux passants par les gendarmes qui encadrent la prise de photos de l'usine à des fins commerciales.

L'évolution et la cohabitation des deux courants, capitaliste et anarchiste, forme une toile de fond vraiment captivante dans leur volonté de sonder timidement les forces en présence, de tirer profit des avancées technologiques de leur époque (photographie et télégraphie essentiellement). Et le film se termine sur une sorte de coup de foudre savoureux, surprenant, Kropotkine tombant sous le charme d'une ouvrière qui lui explique dans tous les détails techniques le contenu de son travail et le fonctionnement d'une montre. Désordres, avec sa profusion de précisions techniques autour de l'assemblage de montres, avec sa multitude d'objets d'horlogerie issus d'un autre temps, avec son enveloppe sonore remplie de bruitages mécaniques (rouages, balanciers, ressorts, rotors), est décidément une curiosité étonnante à de multiples niveaux.

img1.jpg, oct. 2023 img2.jpg, oct. 2023 img3.jpg, oct. 2023 img4.jpg, oct. 2023 img5.jpg, oct. 2023 img6.jpg, oct. 2023

mercredi 18 octobre 2023

En Angleterre occupée (It Happened Here), de Kevin Brownlow et Andrew Mollo (1966)

en_angleterre_occupee.jpg, oct. 2023
"The appalling thing about fascism is that you've got to use fascist methods to get rid of it."

L'originalité d'un film comme It Happened Here, s'intéressant à l'uchronie d'une Allemagne nazie qui aurait réussi à envahir l'Angleterre en juin 1940, est redoublée par son contexte de production. Un projet qui s'étala sur huit années avec un budget rachitique, qui reposa sur des acteurs non-professionnels, qui bénéficia de l'aide de cinéastes professionnels comme Stanley Kubrick (pour des bouts de pellicules) ou Tony Richardson (pour un soutien financier), et qui à l'origine fut initié par un duo de réalisateurs alors âgés de... 18 et 16 ans. Et franchement, il y a de quoi être bluffé bien au-delà des approximations techniques et de la forme pas toujours gracieuse, dans la maturité du regard qui accompagne une infirmière irlandaise, arrivée à Londres après avoir fui son village, et dans son évolution en tant qu'infirmière dans un pays sous le joug d'une armée d'occupation.

Je crois qu'on peut qualifier l'absence de manichéisme pour ce film qui débuta à la fin des années 1950 d'assez extraordinaire. Le personnage principal de l'infirmière, Pauline, interprétée par une femme qui n'était pas actrice, se définit dans un premier temps au travers de sa navigation à vue, sans anticipation, avec d'un côté ceux qui pensent que la collaboration est la meilleure option et de l'autre ceux qui s'impliquent dans la résistance. C'est ainsi dans un premier temps un personnage qui s'intègre dans la structure d'une institution nazie, au sein d'une unité mobile de soin, sans idéologie particulièrement revendiquée, avant tout prise dans le tumulte de son temps et occupée par les vies à sauver, quelles qu'elles soient. Graduellement, une conscience émerge.

Il y a deux événements marquants dans En Angleterre occupée. Le premier, c'est une scène de débat entre plusieurs personnages, certains relativement apolitiques et d'autres frontalement nazis, ces derniers expliquant la supériorité de la race aryenne, les relations entre judaïsme et communisme, et tout ce à quoi on peut s'attendre de la part de personnalités aussi cramées du cerveau. Le problème, ou plutôt l'originalité, c'est que le rôle du nazi de service est confié à un véritable néo-nazi. Une scène glaçante évidemment, montrant un hitlérisme ordinaire, au malaise amplifié, qui fut d'ailleurs coupée au montage pendant très longtemps avant d'être réintégrée. Le second se situe dans un hôpital dans un coin de campagne anglaise, au calme, où Pauline a été réaffectée après avoir été accusée de tendances non-collaborationnistes. Un jour, un groupe d'ouvriers polonais est accueilli pour les soigner, tous étant atteints de tuberculose et nécessitant une vaccination. Pauline est chargée d'administrer le vaccin, mais sans qu'elle ne le sache, il y avait une autre substance dans les seringues... Une séquence tragique et effrayante.

On peut regretter que le film expédie aussi abruptement sa conclusion, les cinq dernières minutes étant aussi denses que précipitées et brouillonnes. Mais It Happened Here reste un film marquant, en décalage complet avec le reste des productions de l'époque (et au-delà) sur des thématiques similaires.

img1.jpg, oct. 2023 img2.jpg, oct. 2023 img3.jpg, oct. 2023 img4.jpg, oct. 2023

mardi 17 octobre 2023

Guerre et Paix (Война и мир, Voïna i mir), de Sergueï Bondartchouk (1967)

guerre_et_paix.jpg, oct. 2023
Querelles sentimentales feutrées et boucherie des champs de bataille

Guerre et Paix de Sergueï Bondartchouk, c'est en quelque sorte la version soviétique, en couleur et parlant du pharaonique Napoléon d'Abel Gance, une fresque historique aussi épique qu'immense, et dans le même temps une sorte de revanche pour l'URSS en pleine Guerre froide (il reçut l'Oscar du film étranger) sur l'adaptation américaine un peu falote de King Vidor sortie une dizaine d'année plus tôt. On le présente souvent comme une orgie technique en avançant des arguments-massues, des centaines de milliers de figurants directement prélevés dans les rangs de l'armée rouge, des scènes de batailles dantesques qui durent près d'une heure, des costumes réalisés par milliers par des musées, une durée de tournage / montage de quatre ans, ou encore un budget démentiel qui s'élèverait à 100 millions de dollars de l'époque (soit 700 millions d'aujourd'hui), même si ces chiffres sont contestés et pourraient être en réalité 10 fois moindre. Mais cela pourrait très bien relever, il faut oser l'écrire, du détail : ce qui frappe en premier lieu dans ce film, à mes yeux, c'est cette vision typiquement russe de l'histoire, multipliant les personnages sans jamais quitter un point de vue très distant et extérieur aux drames qui se nouent devant la caméra, qu'ils surviennent dans les intérieurs dorés de l'aristocratie moscovite ou sur les champs de bataille ensanglantés jonchés de cadavres.

Près de sept heures de film, agréablement découpées en 4 parties, cela a de quoi intimider — à titre personnel, il m'aura fallu 6 ans pour oser m'y lancer et deux jours pour en venir à bout. L'ampleur de la fresque historique est monumentale, étalée sur deux décennies au début du XIXe siècle, et centrée sur la campagne napoléonienne de Russie, sur l'invasion française de l'empire russe, des succès de la France qui se soldent par la prise de Moscou jusqu'au harcèlement de la Grande Armée pendant la retraite française. Au-delà des parties qui le composent, on peut segmenter Guerre et Paix en deux grands mouvements : les séquences en intérieur, avec les mondanités aristocratiques, ses grands bals dégageant un faste et une opulence sans comparaison, ses petits scandales récurrents, et le destin de plusieurs familles fortunées déchirées par la guerre ; puis les séquences en extérieur, en grande partie dévolues à des reconstitutions de batailles renversantes, impressionnantes par l'immensité de leurs décors autant que par leur caractère immersif et chaotique — c'est là qu'il faut reconnaître que oui, en effet, les centaines de milliers de figurants font la différence, l'horizon est saturé de bataillons, avec des mouvements de foule à perte de vue, l'artillerie s'en donne à cœur joie, les combats font rage sur des kilomètres carrés, les charges des régiments de cavalerie sont incroyables, il y a seulement quelques duels à la baïonnette qui manquent un peu de vigueur.

Si presque toutes les séquences ayant trait aux combats armés sont convaincantes, il n'en est pas de même pour les épisodes plus intimes, entre amours, amitiés, déceptions, trahisons. Sans pouvoir juger personnellement la qualité de l'adaptation du roman de Tolstoï, on peut avoir le sentiment d'un abus de gros plans sur le magnifique visage de Lioudmila Savelieva en pleurs, la comtesse Natalia, avec ses yeux d'un bleu abyssal, de même qu'il y a tout de même une certaine obstination dans le jeu très (très) affecté de Sergueï Bondartchouk lui-même dans le rôle de Pierre Bezoukhov. Malgré tout il reste une finesse dans les descriptions psychologiques et une diversité dans les thématiques abordées on ne peut plus appréciables, quand bien même la démesure du lyrisme sur sept heures pourrait éreinter. La voix off permet de distiller agréablement le texte de Tolstoï, mais peut aussi se transformer par endroits en d'ennuyeux monologues, contrepoids parfois un peu maladroits aux tourments existentiels des personnages principaux.

Le film regorge en outre de tableaux apocalyptiques, dans le froid mortel des plaines sibériennes comme dans les flammes de Moscou dévasté après le passage des troupes françaises. Le formalisme russe conserve une part d'émerveillement conséquente, même passé à travers la machine académique d'une production de cette envergure. En matière de combats phénoménaux qui confinent au surréaliste, je crois bien que cette reconstitution de la bataille de la Moskova (ou Borodino) est la chose la plus sidérante que j'aie vue, avec des envolées lyriques qui pourraient être reliées qu'un Sokourov n'aurait pas renié (avec notamment de nombreuses séquences en grand angle multipliant les distorsions optiques sur les bords, accentuant ci et là l'horreur sur les visages). Difficile par ailleurs de ne pas voir quelques allusions directes à Gance, avec par exemple quelques plans composés sous la forme de triptyques horizontaux. Au-delà des références, cette adaptation de Guerre et Paix est aussi exigeante, de par l'implication qu'elle demande, qu'elle est gratifiante dans son impétuosité pour raconter un morceau de l'histoire russe.

img1.jpg, oct. 2023 img2.jpg, oct. 2023 img3.jpg, oct. 2023 img4.jpg, oct. 2023 img5.jpg, oct. 2023 img6.jpg, oct. 2023 img7.jpg, oct. 2023 img8.jpg, oct. 2023 img9.jpg, oct. 2023

lundi 16 octobre 2023

La Bataille du Chili (La batalla de Chile: La lucha de un pueblo sin armas), de Patricio Guzmán (1975, 1976, 1979)

bataille_du_chili.jpg, oct. 2023
Chroniques d'un coup d'état

1ère partie : L'Insurrection de la bourgeoisie

Lorsqu'il enregistre les images et les sons de La Bataille du Chili, Patricio Guzmán réalise un documentaire en se trouvant exactement au bon endroit au bon moment, au détour d'une charnière historique dont il ne pouvait mesurer pleinement l'ampleur à l'époque du tournage, et qui aujourd'hui revêt une signification, une intensité et une émotion toutes incroyables. C'est sans doute un triptyque à ranger aux côtés du film de Abbas Fahdel en deux parties, Homeland : Irak année zéro, sur la chute de Saddam Hussein et l’invasion américaine de 2003. Guzmán sillonnait la capitale chilienne quelques mois avant le coup d'état militaire du 11 septembre 1973, et les images de rue autant que les témoignages glanés auprès des différentes parties ont une valeur littéralement inestimable.

C'est donc une chronique des tensions politiques naissantes au tout début de l'année 1973, alors qu'à la surprise générale le gouvernement de Salvador Allende (à qui il consacrera un documentaire en 2004 portant son nom) est démocratiquement élu. Ce sont les prémices de la contre-révolution, qui trouveront pour point d'orgue le renversement d'Allende par un putsch militaire activement soutenu par les États-Unis et l'installation au pouvoir d'une dictature dirigée par Augusto Pinochet qui durera près de 17 ans jusqu'en 1990.

Pendant tout le docu, on a l'impression de parcourir les coulisses (bien réelles) du film (de fiction) de Costa-GavrasMissing - Porté disparu, qui s'intéressait précisément à la disparition d'un écrivain américain dans le tumulte des événements autour de Santiago. Guzmán capte dans un premier temps l'effervescence de la campagne électorale, en parcourant les foules et les sympathisants de tous bords et en recueillant sur le vif des réactions diverses, des bourgeois et d'ouvriers. Progressivement la dynamique des rapports de force prend une tournure surprenante, pour peu que l'on fasse abstraction historiquement de ce que l'on sait qui va advenir, puisque l'opposition au gouvernement Allende élu de manière inattendue se structure autour d'une réponse de plus en plus violente. C'est donc par hasard que la caméra enregistre de l'intérieur la structuration d'une stratégie d'affaiblissement du gouvernement, pas à pas, jusqu'à l'asphyxie économique.

Au travers d'une série de reportages de rue, de rassemblements politiques, de confrontations violentes, on réalise à quel point Guzmán a eu de la chance (ou du flair) de réunir autant d'images de ces mouvements sociaux, comme notamment la grève des mines de cuivre ou nombre d'autres perturbations financées par l'administration Nixon. Et cette première partie, sous-titrée "L'Insurrection de la bourgeoisie", de se terminer sur une image aussi choquante que bouleversante, l'assassinat du caméraman argentin et suédois Leonardo Henrichsen par un soldat participant au coup d'état.


2ème partie : Le Coup d'État militaire

Le deuxième volet de La Bataille du Chili, bien qu'il soit sorti un an plus tard (pour des raisons qu'on imagine liées à des contraintes de production d'un tel film dans de telles conditions, les pellicules provenant par exemple de France, cadeau de Chris Marker) reprend le cours des événements exactement là où le premier s'était arrêté, et laisse de côté la captation de l'ambiance des rues pour tracer la trajectoire qui mènera au coup d'état du 11 septembre 1973. En partant de la première tentative de renversement du pouvoir par le groupe paramilitaire fasciste Patrie et Liberté en juin 1973, repoussée par les troupes restées loyales au gouvernement, le film épouse l'intensification des conflits entre les différents camps et témoigne très bien du caractère exceptionnel de la situation à laquelle doit faire face Allende. Face à lui, entre autres, des mouvements de résistance soutenus et financés par le gouvernement américain — à l'image de cette impressionnante grève des transporteurs routiers financée par la CIA qui paralysera le pays via la distribution de nourriture et de carburant.

Patricio Guzmán montre bien le basculement stratégique de l'opposition, qui après l'échec de la tentative de destitution d'Allende, adopte un comportement beaucoup plus violent à mesure qu'une partie de l'armée pose le terrain pour le coup d'état à venir. Au travers des témoignages nombreux, on ressent un climat hautement singulier, avec d'un côté des divisions profondes à gauche quant à la position à adopter face aux menaces, et de l'autre une intervention militaire en préparation que tout le monde pressent : tout le monde en parle. La guerre civile n'est pas bien loin en milieu d'année 1973, jusqu'à l'assassinat par l'extrême droite de l'aide de camp naval d'Allende, Arturo Araya Peeters. Parmi les officiers du camp loyaliste, lors de son enterrement, on remarque un certain Augusto Pinochet.

Ce volet se termine lui aussi sur des images d'une rare intensité, avec le bombardement du palais de la Moneda par des avions de chasse, avec en fond sonore les derniers messages radios d'Allende adressés au peuple chilien. Les dirigeants de la junte s'afficheront ensuite à la télévision, annonçant "le retour à l'ordre du pays" et la fin "du cancer marxiste qui aura duré trois ans".


3ème partie : Le Pouvoir populaire

Pour clore son triptyque réalisé au cœur de la tourmente, Patricio Guzmán revient quelques années en arrière, autour de 1972 (le troisième volet sortira plus tardivement, en 1979) pour s'intéresser à la structuration du travail, chez les ouvriers et les paysans, qui a conduit à la formation de milliers de groupes locaux — le "Pouvoir populaire" du sous-titre — dont la mission consistait essentiellement à distribuer de la nourriture et empêcher le sabotage d'usines en ces temps de crise profonde. C'est à mes yeux le segment le moins percutant des trois, glissant du militantisme visible à la propagande un peu trop appuyée sans que la narration et la mise en scène ne s'accompagnent, par exemple, d'un lyrisme communicatif à la Eisenstein ou Kalatozov.

Le docu est concentré en quelque sorte sur la réponse des ouvriers au contenu du premier volet, "L'Insurrection de la bourgeoisie", et leur stratégie d'occupation des lieux de travail ainsi que d'autogestion en gestation au travers de la formation de "cordones industriales". En tant que témoignage de cette époque de l'histoire chilienne, le contenu reste éminemment intéressant, mais on se situe tout de même un gros cran en-dessous des deux premiers volets en matière de puissance documentaire. Dans cet épisode, le gouvernement Allende ne sera quasiment pas cité, le ton change assez radicalement pour mettre l'accent sur les vertus des expérimentations politiques locales. Instructif, mais peu passionnant.

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dimanche 15 octobre 2023

Les Bonnes Causes, de Christian-Jaque (1963)

bonnes_causes.jpg, oct. 2023
Piégé(e)s

Un film très original de la part de Christian-Jaque, plus habitué des productions françaises traditionnelles souvent raillées par la Nouvelle Vague : d'abord lancé sur des rails qu'on croit prévisibles, avec l'assassinat d'un homme fortuné suite au changement (par sa femme) d'une ampoule administrée en intraveineuse par une infirmière, il s'engage par la suite dans une enquête policière retorse et un final au prétoire qui brillera par son écriture et sa capacité à suivre une voie rarement choisie au cinéma. La femme, interprétée par Marina Vlady avec beaucoup de talent, accuse l'infirmière Virna Lisi dans ce qui ressemble à un piège savamment orchestré. L'avocat de la femme, Pierre Brasseur dans un excès savoureux de manières aristocrates, accessoirement amant de cette dernière, la défend et lui obéit au doigt et à l'œil comme s'il était victime d'un ensorcellement. Et au milieu du vacarme, il y a Bourvil dans un rôle sérieux éloigné de toutes les comédies qu'on a en tête, en juge d'instruction intègre, patient, et agissant dans un but unique : la recherche de la vérité, loin du culte des apparences.

Dans un premier temps, on peut être un peu gêné par le caractère très ostentatoire de Marina Vlady qui surjoue quelque peu la femme ayant tendu un piège en remplaçant un médicament par un produit toxique, et faisant semblant de découvrir l'accident au moment exact où il vient de survenir. Mais finalement ce malaise disparaît assez vite dès lors que l'enquête déroule son cours et que les interactions entre les différentes parties s'affirment et s'affinent. Il y a un peu de Witness for the Prosecution dans Les Bonnes Causes, dans les rapports conflictuels et intéressés qui lient les personnages, à la différence près que Billy Wilder conserve la plus grosse part de mystère pour la fin là où Christian-Jaque termine son film sur une pirouette sarcastique. Ici, en ce qui concerne le meurtre, on est tout de suite placé dans la confidence et on n'a aucun doute sur la culpabilité ou l'innocence des deux femmes : c'est davantage sur le terrain des intentions et des manipulations que les surprises vont germer. Et puis c'est probablement l'un des plus beaux rôles de Bourvil dans un registre inhabituel, touchant et crédible, consciencieux et réservé, soumis à des pressions des coups bas de la part de la partie adverse et qui finira dans l'anonymat le plus total. Il y a beaucoup d'incohérences et d'invraisemblances dans le déroulement de l'enquête, dans le comportement des professionnels, mais ça n'enlève rien à l'originalité du scénario et de sa dynamique.

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