mercredi 05 juillet 2023

La Montagne, de Thomas Salvador (2022)

montagne.jpg, juin 2023
Passion alpinisme et symbolisme en excès

Dommage qu'il y ait pas mal de petits trucs désagréables dans le film de Thomas Salvador qui m'empêchent d'adhérer pleinement à l'invitation au voyage montagneux, car je sens derrière le geste du cinéaste-acteur une douceur et une sensibilité à la base d'une originalité vraiment attrayante. La Montagne est en ce sens un complément intéressant aux Huit Montagnes de Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch, sur un thème voisin mais doté d'un traitement radicalement différent.

Si on devait les énumérer, les maladresses et autres dispositions déplaisantes sont nombreuses. Le contexte posé à la truelle du cadre parisien ingénieur en robotique qui se découvre subitement une attirance pour la montagne lors d'un déplacement à Chamonix, la romance avec Louise Bourgoin (surtout dans la dernière partie affreusement explicative), la métaphore de la renaissance pour clore la partie fantastique du film... Mais étonnamment elles ne parviennent pas vraiment à entacher la sympathie suscitée par le reste, sans doute parce que Thomas Salvador est parvenu à rendre très crédible la découverte d'une passion, en commençant par les tentes 2 secondes Quechua et en allant jusqu'au matos complet de l'alpiniste (Scarpa, Petzl, Millet, cordes, baudar, crampons, piolet, assureur, longes, dégaines, manquent que les coinceurs), même si la transition aurait mérité plus de développement.

Le fait que beaucoup de scènes aient été tournées en altitude, dans le massif du Mont Blanc, aide beaucoup à amplifier l'effet d'immersion. Les bivouacs dans la neige, ça fait frétiller les jambes il faut l'avouer... et ce sentiment une fois perché là-haut de ne pas avoir envie de redescendre, aussi, est pas mal. Il faut adhérer au mutisme du film et de son personnage principal, au moins autant qu'à la composante surnaturelle qui survient dans la seconde partie. Pierre absorbé par la minéralité de la montagne, le message est gros dans la fusion avec les éléments, mais on peut apprécier la position qui ne cherche pas à tout expliquer sans pour autant verser dans le grand n'importe quoi démesurément auteurisant. Le traitement naturaliste de phénomènes surnaturels est intrigant comme démarche, même si je n'accroche vraiment pas à tout le pan figuratif du symbolisme, que je trouve assez lourdingue.

img1.jpg, juin 2023 img2.jpg, juin 2023 img3.jpg, juin 2023 img4.jpg, juin 2023

mardi 04 juillet 2023

Quand la ville dort, de John Huston (1950)

quand_la_ville_dort.jpg, juin 2023
"One way or another, we all work for our vice."

Avec Quand la ville dort, John Huston explore une autre face du film noir, la version caper movie qui tourne mal en se plaçant du point de vue des malfrats cambrioleurs, quelques années après Le Faucon maltais consacré à une enquête policière de l'autre côté de la légalité. Ce dernier avait quelque chose d'archétypal et d'un peu rigide que The Asphalt Jungle n'a pas (et c'est particulièrement bienvenu), et le titre original donne d'ailleurs un aperçu complémentaire sur le programme, à savoir la dure loi de la ville — on ne quittera pas cette ambiance urbaine et nocturne avant le final empreint de tragique qui offrira le seul plan large, à la campagne et de jour, offrant un contraste dont l'effet est notable : "Well, he won't get very far, that's for sure. He hasn't got enough blood left in him to keep a chicken alive."

Le point de vue du côté des gangsters est intéressant, surtout pour l'époque et les censeurs de Hays qui veillaient, même s'il est de temps en temps contrebalancé par une vision très dure et très angélique de la police et de ses actions. Il n'y a pas vraiment d'enjeux lors de la mise en place du plan et des détails du braquage, le processus de recrutement des différentes parties est très direct avec le spécialiste des coffres, le chauffeur, la brute épaisse et le financier. Tout se passe comme prévu (c'est-à-dire quelques accrocs, mais ils parviennent à mettre la main sur le pactole attendu), et on pourrait dire qu'en quelque sorte le film commence à partir du moment où ils rentrent en sécurité et que les rouages se grippent. Les embrouilles arrivent bien vite, et les motivations particulières de certains se font jour.

On est résolument dans le pré carré du noir sobre et sec, très peu de fioriture, et une ambiance étouffante par moments : les forces et les faiblesses du genre, selon les sensibilités, réunies dans les mêmes caractéristiques. La présence de Marilyn Monroe se remarque pas mal quand bien même on ne l'aurait pas reconnu tout de suite (si si). La corruption est partout, les interactions sont poisseuses (les répliques du type "one way or another, we all work for our vice" garnissent allègrement les dialogues) et le désespoir ne tarde pas à envahir l'espace. Et on peut saluer la part belle faite à la caractérisation des personnages qui ont presque tous un espace équivalent et conséquent pour exister.

img1.png, juin 2023 img2.png, juin 2023 img3.png, juin 2023 img4.png, juin 2023

lundi 03 juillet 2023

Un, deux, trois, de Billy Wilder (1961)

un_deux_trois.jpg, juin 2023
Satire et acharnement

Et moi qui me plaignait de la frénésie de Catch 22... En voilà un autre de rythme frénétique, mais cette fois-ci beaucoup moins surréaliste, fragmentaire et onirique : Billy Wilder tranche dans le lard direct et pose le décor de Berlin-Ouest de manière massive. Un directeur de la filiale allemande de Coca, une politique expansionniste, un grand patron qui arrive bientôt et une fille qui fricote avec un jeune communiste de l'autre côté, menaçant grandement les désirs d'ascension au sein de l'entreprise de celui qui en avait la responsabilité. On peut dire sans trop exagérer que le tableau est très chargé et que Wilder ne fera que ça pendant tout le film : balancer les stéréotypes des deux bords (capitalisme vs communisme) les uns contre les autres dans un grand bazar fracassant, à un rythme qui confine à l'hystérie. On croit pendant l'introduction que les premières minutes foncent à toute allure pour imposer un rythme qui va se poser rapidement... Sauf que c'est tout l'inverse, il n'ira qu'en s'accroissant et il culminera à la fin avec une session relooking express particulièrement assommante avec sa nervosité sans relâche.

James Cagney dans une satire pareille, je dois avouer que c'est un des morceaux les plus difficile à digérer. L'acteur assure pas mal dans le débit de paroles qui donne un semblant de tenue à la comédie, mais clairement c'est un choc de le voir dans ce rôle au milieu d'une farce — on a même droit à une référence au pamplemousse trente ans après en avoir écrasé un sur la figure de sa petite amie dans L’Ennemi public, et ce dernier avait une toute autre signification, infiniment plus violente. Mais tout cela reste très étrange, surtout au milieu de l'hystérie générale, qui emplit l'espace de multiples gesticulations (pour cacher les faiblesses des autres, si l'on apprécie le propos du film, pour cacher les faiblesses du film, si l'on apprécie moins).

Le grotesque ne sied pas toujours à la satire de guerre froide en 1961, et devant la profusion de gags il y en a bien quelques-uns qui fonctionnent selon la sensibilité de chacun, mais le résultat n'est pas aussi cinglant et puissant qu'espéré. La matinée pour transformer un révolutionnaire communiste en gendre capitaliste idéal est très lourdingue : le bal des couards et des corrompus s'essouffle de lui-même par acharnement et répétition. J'ai ri en apprenant que l'apparition finale de Pepsi est due à un message désapprobateur de Joan Crawford, nommée au comité directeur de Pepsi-Cola, lui reprochant de faire la part trop belle à l'entreprise concurrente.

Et bien sûr, dans le torrent de répliques et traits d'esprit, des bonnes et des moins bonnes, en nombre incalculable.

"I will not have my son grow up to be a capitalist. - When he's 18 he can make his mind up whether he wants to be a capitalist or a rich communist."

"Schlemmer you're back in the SS, small salary! "

"But if I defect, you know what they will do to my family? They will line them up against the wall and shoot them! My wife, and my mother-in-law, and my sister-in-law, and my brother-in-law. — Comrades, let's do it!"
"I'll pick you up at 6:30 sharp, because the 7 o'clock train to Moscow leaves promptly at 8:15."
"Some of the East German police were rude and suspicious. Others were suspicious and rude." (les répliques de cet acabit, lourdes et pas incroyablement drôles, sont légion)

img1.png, juin 2023 img2.png, juin 2023 img3.png, juin 2023

vendredi 30 juin 2023

Catch 22, de Mike Nichols (1970)

catch-22.jpg, juin 2023
"Rome was destroyed. Greece was destroyed. Persia was destroyed. Spain was destroyed. All great countries are destroyed. Why not yours? How much longer do you think your country will last? Forever?"

Mais quel bordel ! On sort de Catch-22 comme on sort d'un long tunnel de deux heures, d'un tambour de lave-linge, la tête en vrac et épuisé, en l'occurrence par le déferlement d'informations, d'actions, de ruptures de tons, et de changement de rythmes qui structurent absolument tout le film réalisé par Mike Nichols en 1970 — la même année que M.A.S.H. de Robert Altman qui porte sur un sujet semblable dans un style semblable. Là où Altman choisissait la guerre de Corée pour établir son chaos dans un hôpital militaire, Nichols choisit une base américaine de bombardiers en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale. L'idée est la même : montrer, d'une certaine façon, la folie de la guerre (option impérialisme) avec tout ce que cela peut signifier à l'époque, en pleine guerre du Vietnam.

Mais alors attention, on est très loin du Nichols de Le Lauréat ou de Qui a peur de Virginia Woolf ?, qui pourraient être taxés de conventionnels et académiques en comparaison de ce film déjanté, qui ne se pose jamais, ne laissant aucun temps mort, collé aux basques d'un pilote qui voudrait se faire diagnostiquer fou afin de fuir les combats. Pour ce faire le film adopte une structure kaléidoscopique proche de l'incompréhensible, alternant entre différents registres d'intelligibilité et de réalité. On ne sait jamais trop où l'on se situe, un rêve, un cauchemar, le passé, le présent... La confusion est omniprésente et il faut bien dire que le visionnage est éreintant. On peut noter la présence, en vrac, de Art Garfunkel (un jeune soldat anonyme, sa première apparition au cinéma), Anthony Perkins (en aumônier), Martin Sheen (un soldat quelconque), Jon Voight (un filou qui se fait du blé sur la base des surplus de l'armée) et Orson Welles (un général barjot qui fait vriller tous les hommes du régiment avec sa jeune et jolie petite-amie).

Le côté très absurde du film qui ne laisse aucun repos est annoncé dès le titre, "catch-22" étant en réalité le nom d'une procédure qui permet à l'armée d'empêcher les GIs de partir trop facilement : ceux qui souhaitent se faire déclarer fous pour être rapatriés et qui disent qu'ils sont trop siphonnés pour aller piloter des bombardiers ne le sont finalement pas, puisqu'ils ont conscience du danger de la chose. Et au milieu, du graveleux, du gore (un gars se fait découper par un avion en rase motte), et un rythme frénétique alimenté par des flashbacks qui vont et viennent sans prévenir, comme autant de virages inattendus. Une satire violente, parfois drôle, en tous cas très hétérogène et singulière.

img1.png, juin 2023 img2.png, juin 2023 img3.png, juin 2023 img4.png, juin 2023 img5.png, juin 2023

mercredi 28 juin 2023

Le Quarante-et-unième, de Yakov Protazanov (1927)

quarante-et-unieme.jpg, juin 2023
La rouge et le blanc

Avant de s'attaquer au remake plus connu de Grigori Tchoukhrai, petite plongée dans la version muette originale de cette romance soviétique placée sous le sceau de l'amour impossible en temps de guerre. Le cadre est posé très rapidement, sans fioriture : l'ancien Empire russe est en plein déchirement, la guerre civile bat son plein, et un petit groupe de soldats bolchéviques se retrouve encerclé par l'armée fidèle au régime tsariste. Seule solution : fuir à travers le désert du Karakorum, une option qui semble a priori n'offrir qu'une mort alternative (en l'absence de stock d'eau et de nourriture) et seulement repoussée d'un certain temps, étant données les conditions drastiques de survie dans ces contrées hostiles.

C'est dans cette région d'Asie centrale, quelque part entre les actuels Kazakhstan et Ouzbékistan, que se noue une relation bien singulière entre une tireuse d'élite de l'armée rouge et un officier blanc — ce dernier aurait dû être la 41ème victime de la snipeuse, au moment où elle le rate et où il est fait prisonnier, c'est comme si le titre constituait un immense spoiler vis-à-vis de la suite, mais peu importe. Tout le film se tourne alors vers les sentiments contradictoires qui animent les deux personnages, qui se retrouveront isolés sur une île déserte à la Robinson Crusoé suite à une tempête en pleine mer d'Aral — à l'époque, une des plus grandes étendues lacustres du monde, mais dont la superficie a été annihilée au XXIe siècle.

Le Quarante-et-unième joue essentiellement sur toutes les divergences qui peuvent émerger d'une telle association, un homme prisonnier contraint de cohabiter avec une femme héroïne de guerre, un blanc contre une rouge, un officier issu de l'aristocratie tsariste et une soldate bolchévique n'ayant que peu de capital culturel (elle se fera bien chambrer sur ses capacités limitées en matière de poésie). Il va même jusqu'au bout de son portrait de femme sûre de ses idéaux, puisqu'au dernier moment elle ne faiblira pas dans la mission qui lui avait été confiée. Seul vrai regret, dommage qu'il n'existe pas encore de restauration de ce film pour rendre hommage aux qualités esthétiques qu'on pressent derrière ces paysages désertiques et ces compositions typiquement soviétiques.

img1.png, juin 2023 img2.png, juin 2023 img3.png, juin 2023 img4.png, juin 2023 img5.png, juin 2023 img6.jpg, juin 2023

mardi 27 juin 2023

Dig!, de Ondi Timoner (2004)

dig.jpg, juin 2023
"I've never seen them eat. All I've seen them do is drink liquor and snort drugs."

Sous couvert d'un docu relatant la relation entre amis et rivaux des Brian Jonestown Massacre de San Francisco et des Dandy Warhols de Portland, Dig! est en réalité avant tout le portrait d'un grand malade. Je connaissais la réputation de Anton Newcombe, pas le dernier des psychopathes, mais alors à la faveur du film de Ondi Timoner rapportant des faits et des images sur plus de 7 années, il se dessine quelque chose de complètement barjot.

À titre personnel je ne comprends pas trop le délire autour de l'opposition entre les deux groupes (dans le thème Beatles-Stones ou Blur-Oasis), tant pour moi ils évoluent dans des sphères radicalement opposées — il faut pour préciser cela que je parcoure la musique des Dandy Warhols, prochains devoirs. Ces derniers semblent vraiment beaucoup plus tournés vers la Pop / Indie Rock là où TBJM évoluent dans des sphères clairement Psych ou Neo-Psych. À creuser pour mieux saisir les tenants de cette rivalité. Sur le plan anecdotique, la micro-séquence avec Harry Dean Stanton qui apparaît dans l'embrasure d'une porte est une petite gourmandise personnelle, tout comme Matt Hollywood le bassiste qui cultive sa ressemblance avec John Lennon.

Il y a en tous cas à l'origine un point commun, des concerts et des tournées assurées ensemble pour les deux groupes, forts d'une certaine admiration réciproque, avant que les choses ne se gâtent. Le tout raconté par Courtney Taylor-Taylor, leader des Dandy ("I've never seen them eat. All I've seen them do is drink liquor and snort drugs"). Pour moi il n'y a pas photo, TBJM est un groupe infiniment plus riche et intéressant. D'un côté la recherche de la gloire et du succès commercial, de l'autre une tendance au sabotage de carrière qui ressemblerait presque à une forme de masochisme chez Newcombe... Ce personnage est vraiment fou, partagé entre des élans charismatiques et des comportements cyclothymiques : il faut voir les nombreuses séquences de pétage de plomb, y compris sur scène. On peut penser que le geste de Ondi Timoner n'est pas du tout représentatif, les bastons à répétition n'étant probablement pas systématiques, mais clairement les conflits d'égo et les problèmes de drogue sont systémiques, il n'y a pas l'ombre d’un doute. En toile de fond, une vision de l'industrie musicale avec maisons de disques, négociations de contrats, etc. Comme il le dit lui-même, si Anton pouvait se cloner et faire un groupe tout seul, il le ferait.

img1.png, juin 2023 img2.png, juin 2023 img3.png, juin 2023 img4.png, juin 2023

lundi 26 juin 2023

Le Bal des maudits, de Edward Dmytryk (1958)

bal_des_maudits.jpg, juin 2023
"Look, I've read all the books. I know that in 10 years we'll be bosom friends with the Germans and the Japanese. Then I'll be pretty annoyed that I was killed."

The Young Lions se meut dans l'espace cinématographique avec une pesanteur pas loin d'être pachydermique, le genre de film de guerre qui avance dans un jus particulièrement académique, orné d'une mise en scène très consensuelle. Mais cela étant dit, cela ne l'empêche pas d'exhiber certaines qualités. Dans son registre, on peut assez clairement affirmer qu'il s'agit du haut du panier et que tous les différents intervenants, scénaristes, acteurs, chefs opérateur, ont fait du mieux qu'ils ont pu dans l'espace qui leur a été laissé par les conditions de production.

Ce qui structure le plus cet académisme, sans connotation nécessairement péjorative, c'est cette narration parallèle suivant les parcours respectifs de trois personnalités très (trop) bien délimités : Marlon Brando en officier allemand vaguement apolitique de la Wehrmacht ayant beaucoup de considération pour l'honneur dans la guerre et à la fois désintéressé par les fous du nazisme et opportuniste dans ce que les nazis pourraient provoquer comme changement en Allemagne mais qui ne comprend pas grand-chose au conflit, Dean Martin envoyé de force au charbon qui n'était pas très volontaire pour risquer sa peau au combat, et Montgomery Clift en juif qui subit l'antisémitisme jusque dans les rangs de l'armée. Tout ça est extrêmement codifié, très scolaire et didactique par moments (notamment tout ce qui se passe du côté américain, avec une grosse séquence rédemption autour d'une rivière, très gros sabots), et tout le classicisme de la mise en scène ne peut rien y changer. Tout juste peut-on apprécier les apparitions de Maximilian Schell et Lee Van Cleef — pas instantanément reconnaissable sans sa moustache-spaghetti.

La structure en portraits croisés pousse le vice de la tragédie académique jusque dans le dénouement et dans la façon qu'ont les trois fils de se rejoindre, à la fin de la guerre, avec l'un des trois protagonistes tués par les deux autres, qui finira la tête dans le caniveau en bordure de forêt. Mais bon, les prestations de Brando, ça reste un péché mignon à titre personnel... Il arrive à donner corps à cette idée d'obéissance aux ordres qui ressemble à une foi, de plus en plus vacillante, même si sa progression psychologique reste très balisée. Comme autre bon point on peut relever la séquence dans un camp de concentration tout juste libéré, qui parvient à gérer avec sobriété ce traquenard poussif et délicat.

img1.jpg, juin 2023 img2.jpg, juin 2023 img3.jpg, juin 2023 img4.jpg, juin 2023

dimanche 25 juin 2023

Getz / Gilberto, de Stan Getz & João Gilberto (1964)

getz_gilberto.jpg, juin 2023

Il y a parfois un léger parfum de caricature de Jazz brésilien, tendance Bossa nova / Samba, qui se dégage en écoutant cet album qui porte le nom du duo Getz / Gilberto. Sans doute un peu la faute à Chabat / Darmon dans La Cité de la peur... C'est très agréable cependant, avec des grands standards comme The Girl From Ipanema (difficile pour le reste de l'album de passer après le morceau introductif) ou Corcovado, des combos très simples (sax, guitare, piano, batterie, sans oublier la participation au chant de Astrud Gilberto sur quelques morceaux). L'ensemble coule avec un naturel confondant.

Triste coïncidence, la chanteuse Astrud Gilberto est morte il y a quelques jours.

Extrait de l'album : Corcovado.

À écouter également : The Girl From Ipanema.

getz_live.jpg, juin 2023

vendredi 23 juin 2023

Sang et or, de Robert Rossen (1947)

sang_et_or.jpg, juin 2023
"What are you gonna do? Kill me? Everybody dies."

La structure très codifiée du film noir à flashback et les traits un peu épais qui alimentent de nombreuses caricatures ne sauraient complètement désactiver l'intérêt de ce film prenant pour cadre un homme dont le salut ne tient qu'à la boxe. Quand on apprécie le genre, on ne se formalise pas des passages attendus, presque obligés : la séquence inaugurale posant le contexte, l'amorce d'un long flashback qui occupera l'essentiel du film, et enfin la conclusion de l'ensemble, à l'issue de l'action antérieure, après être revenu dans la temporalité initiale et fort des divers éclairages acquis. Le procédé n'est pas en soi rebutant : il suffit que le classicisme soit suffisamment bien articulé et qu'on n'y soit pas réticent pour que la mécanique fonctionne agréablement.

Le plus délicat ici est sans doute concentré dans le personnage de John Garfield, d'un côté une brute très à l'aise sur le ring et de l'autre un petit côté simple d'esprit (involontairement) puisqu'il se fait balader par à peu près tout son entourage. Ce n'est pas un personnage particulièrement attrayant, même s'il se fait le support d'une réflexion et d'un message, eux, beaucoup plus prenants. Disons simplement, en résumé, que son nouveau manager est une caricature très lourde de grand méchant, tendance véreux cupide, et que la femme qui l'aime est une caricature de gentille invariante, tendance femme aimante. Ces deux pôles sont agrémentés d'autres caricatures (l'homme de main violent, la femme fatale vénale, etc.), mais le portrait est massif dans son unilatéralité. Il y a les gentils d’un côté et les méchants de l'autre, bien identifiés.

Après c'est une époque où l'on avait besoin de certitudes au sortir de la guerre, pas de doute — la thématique du sort des Juifs est évoquée brièvement. Mais c'est aussi un beau mélodrame sur le miroir aux alouettes des promesses financières, au travers des nombreuses avances alléchantes comme autant de panneaux dans lequel le protagoniste s'encastre — un peu trop — systématiquement. Même si le doute plane souvent : "After mink comes sable", que l'on pourrai traduire très prosaïquement par "après le vison vient la zibeline", sous-entendu : le futur n'est pas radieux. Les ficelles de la fable morale sont grosses, mais ça passe et ce d'autant plus que plusieurs personnes impliquées (dont John Garfield qui mourra quelques années après) subiront les foudres du maccarthysme.

Il aurait juste fallu un dernier combat un peu plus palpitant (même si l'enjeu est ailleurs) et un schéma un peu différent du rise & fall & redemption traditionnel, et des menaces plus éloquentes, plus sérieuses, qui ne soient pas rejetées facilement à coups de belles tirades : "What are you gonna do? Kill me? Everybody dies.").

img1.png, juin 2023 img2.png, juin 2023 img3.png, juin 2023 img4.png, juin 2023

jeudi 22 juin 2023

La Maison dans l'ombre, de Nicholas Ray et Ida Lupino (1952)

maison_dans_l-ombre.jpg, juin 2023
"Friends? Cops have no friends. Nobody likes a cop."

L'exploration du versant "films noir" de la filmographie de Nicholas Ray se révèle très riche en élargissement des horizons, sur des territoires extrêmement différents de ceux définis par ses œuvres les plus connues comme Rebel Without a Cause et Johnny Guitar. C'est ici un film policier des 50s très étonnant, co-réalisé avec Ida Lupino (qui interprète également un second rôle dans lequel elle est très convaincante), qui fait preuve d'une rupture de ton franche tout à fait inhabituelle, toutes époques confondues. C'est quasiment un film coupé en deux, avec une première partie urbaine concentrée sur une enquête autour du meurtre d'un policier, et une seconde partie rurale perdue dans des paysages enneigés à la poursuite d'un autre fugitif. Ce second segment fait à ce titre beaucoup penser à un autre film noir dans la neige, Poursuites dans la nuit aka "Nightfall" de Jacques Tourneur qui lui aussi, d'ailleurs, proposait une alternance entre ville et campagne.

Robert Ryan reprend en quelque sorte le rôle du violent (flic ici en l'occurrence) de Humphrey Bogart dans In a Lonely Place, un gars aux méthodes qualifiées de musclées et critiquées par ses collègues et supérieurs. Il en fait preuve durant toute la première partie, jusqu'à ce qu'il soit envoyé paître à la campagne en guise de punition pour se détendre. Cette première partie est intrigante à plusieurs titres, principalement pour une composante qu'on pourrait qualifier de réaliste au travers des nombreuses séquences montrant les policiers chez eux en train de se préparer pour aller bosser. L'ambiance y est tendue sur 30 minutes, plongée dans la nuit, sans que le cœur des enjeux ne soit à proprement parler détaillé — on sait juste qu'un flic a été tué et que deux hommes sont en fuite. Tous les codes du film noir sont présents. Y compris les tirades : "Friends? Cops have no friends. Nobody likes a cop." ou encore "The city can be lonely too. Sometimes people who are never alone are the loneliest."

C'est au contact de la neige campagnarde (et du personnage de Lupino, une femme aveugle et touchante) qu'il se découvrira un cœur, en quelque sorte. Le virage avec la première partie est brutal, dépaysement total, cette fois-ci dans un environnement diurne. Bon, c'est là aussi que La Maison dans l'ombre (le titre original est "On Dangerous Ground") trouve sa principale limite, à savoir la faiblesse de la profondeur psychologique des personnages. Ryan se transforme en un clin d'œil ou presque en flic droit et juste, il maîtrise son comparse violent, il découvre les vertus de l'amour salvateur, etc. Zéro transition non plus du côté de l'enquête, si on rate 5 minutes on peut penser qu'il est encore sur la même piste bien que déporté loin de la ville. Un peu dommage car les deux blocs de solitudes qui se rencontrent auraient mérité plus de développement, moins de facilités, et une conclusion moins abrupte. De même, le personnage du sidekick violent se trouve une conscience sitôt le gamin tué : c’est une évolution morale quelque peu expéditive et sans finesse de trait.

img1.png, juin 2023 img2.png, juin 2023 img3.png, juin 2023 img4.png, juin 2023

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