samedi 13 octobre 2012

Yucca Mountain, de John d'Agata (2012)

« What happens when an essayist starts imagining things, making things up, filling in blank spaces, or — worse yet — leaving the blanks blank? »

John d'Agata, The Next American Essay

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Les réacteurs américains sont inefficaces à 97% ce qui signifie qu'entre le moment où on place une barre de combustible dans un réacteur nucléaire et celui où on le retire, il conserve 97% de sa radioactivité. Alors il a fallu imaginer un projet d'enfouissement de ces déchets radioactifs. C'était «  Yucca Mountain ». À 140 km de Las Vegas. Projet prévoyant de construire 160 km de galeries à l'intérieur de la montagne et, en l'espace de quarante ans, de les remplir avec 77000 tonnes de déchets nucléaires, puis de sceller et de fermer la montagne jusqu'à leur décomposition.

Le livre retrace le parcours politique et scientifique du projet qui a vu ré-interpréter un problème de millions d'années dans une solution ramenée à 10.000 ans (un bel acte de foi aux générations futures), ainsi que l'histoire tragique de Lévi Presley - un garçon qui a sauté de la tour « Stratosphere » à Las Vegas - et la connexion de sa mort avec la propre expérience d'Agata répondant aux appels de personnes au bord du suicide sur une ligne d'écoute. Le récit avançant sur plusieurs niveaux à la fois se tient sur une ligne tendue entre le documentaire et la fiction, un travail de journalisme libéré de ses contraintes rigides mais qui s'attache férocement aux faits comme en rend compte les 131 notes en fin de livre.

Il est clair que si j'attire l'attention sur quelque chose qui fait sens en apparence, il est possible qu'il n'y ait là rien de vrai. Nous perdons parfois notre connaissance en cherchant l'information. Nous perdons parfois notre sagesse en cherchant la connaissance.

Il fournit des rapports de médias, des avis d'experts et des reportages à la première personne. Il donne des statistiques, des calculs et des projections (ses scénarios prospectifs sont simplement fascinants), il cite des documents de politique et se plonge dans les études scientifiques et universitaires. Également mélangés parmi des références littéraires, et artistiques comme les quelques pages où il convoque Le Cri de Edvard Munch (figure qu'on retrouve en illustration de couverture sous la forme des isoclines de cette carte factice d'une montagne), il juxtapose ces éléments connexes sans jamais freiner le récit. Tout fait sens. 130 pages plus tard, on ressort du livre scotché et admiratif en songeant à la tension dramatique insufflée au récit, et à la singulière façon de cet écrivain de réexaminer non seulement où nous sommes, mais aussi où nous avons été, et où nous allons.

Tout au long de cette lecture, on rit, souvent d'un rire jaune face à la méchante farce humaine qui œuvre autour du projet Yucca Mountain. A ce propos, voici ce que John D'Agata dit lors d'une lecture de son essai à des jeunes étudiants américains en 2010 :

« Do not be afraid to laugh at the absurdities, though by no means feel I am pressuring you to laugh »


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mardi 25 septembre 2012

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, interprété par les Têtes Raides (2007)


Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, chanté par Christian Olivier dans l'album Banco des Têtes Raides, est un texte écrit en 1952 par Stig Dagerman (écrivain et journaliste suédois 1923-1954) qui relève à la fois de la littérature introspective et de l'essai existentiel. Par ses approches successives sur les thèmes graves tels que la mort, la solitude, la liberté, le temps, Stig Dagerman vise à donner un sens à son existence.

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Quand un écrivain discourt sur ses états d'âmes en nous faisant sentir tout le poids de sa solitude et de sa dépression, son texte a bien des raisons d'être au premier abord repoussant. Mais cela serait malhonnête de présenter le contenu de ce texte sous cette unique et trompeuse impression, car il est aussi une réflexion articulée, sensible et logique qui manque peut-être seulement d'humour. Je ne serais probablement jamais allé au bout de la lecture de cet essai si j'avais eu le livre entre les mains, car j'attends d'abord de mes lectures qu'elles racontent une histoire, simplement une bonne histoire. Ici, ce n'est plus notre propre voix qui devient le support du texte, nous pouvons alors l'écouter d'une manière distraite ou distancière, et laisser certains passages accaparer notre attention. Je ne peux pas dire que la voix de Christian Olivier soit ici particulièrement mélodieuse, pourtant sa lecture ainsi que le rythme monotone imprimé par les musiciens sonnent juste. Comme pour mettre du baume au cœur, le dernier élan de la chanson se fait moins morose, plus joyeux, et éclaire différemment une conclusion à méditer...

samedi 15 septembre 2012

Killer Joe, de William Friedkin (2012)

L'Exorciste (1973), Bug (2006), et Killer Joe (2012) sont mes trois intrusions dans l’œuvre de Friedkin. La schizophrénie ou plus généralement la folie est un thème récurrent de ces trois films. Les scènes angoissantes y côtoient les scènes brutales ou perverses durant lesquelles on en oublie parfois de déglutir sa salive. La démence d'un ou plusieurs personnages exulte toujours de manière paroxystique une fois que la tension distillée tout au long de l'histoire tient son emprise psychologique sur nous.

L_exorciste.jpg bug.jpg Killer Joe

Seconde fois que Friedkin adapte au cinéma une pièce de théâtre écrite par Tracy Letts après Bug en 2006, un huis-clos étouffant qui m'avait particulièrement impressionné. Jusqu'à la toute fin le spectateur ne sait pas où se tient la part de folie et la part de réalité dans la peur terrible qui ronge un couple persuadé d'être la victime d'un vaste complot, et d'une menace invisible...

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Ashley Judd et Michael Shannon dans Bug en 2006

Killer Joe s'inscrit dans un genre différent des deux autres, celui de la comédie dramatique familiale. Chris le garçon, Ansel le papa, et Dottie la petite sœur sont bien décidés à tuer leur crapuleuse maman pour empocher les 50000 dollars de l'assurance vie. Chris s’enquiert donc des services de Joe, flic le jour et tueur à gages la nuit. C'est un diable aux allures de cowboy aux chapeau noir, gants noirs, veste noire, et lunettes noires. Sa stature et sa tranquillité d'action inspirent l'obéissance.

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Joe interprété par Matthew McConaughey

Joe s'entiche de Dottie faisant d'elle, au grand dam de son frère, sa caution de garantie si les choses se passaient mal. Poupée fragile aux joues roses, naïvement sexy, et sujette au somnambulisme, ce personnage féminin est la réponse au machisme crasse qui empoisonne cette misérable famille.

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Dottie interprétée par Juno Temple

La folie des dernières scènes dans lesquelles Joe joue à sa façon le thérapeute familial, laisse sur l'impression d'un film déjanté. Le dénouement ne fait toutefois pas oublier les vices et les faiblesses du film. Cette cupide entreprise est cousue de fil blanc, la petite tête blonde incarne un personnage féminin creux, la pochade nocturne et pluvieuse a déjà été maintes fois filmée dans ce genre de scénario, et l'humour noir et les blagues grasses ne sont pas de très bon goût.

J'ai aperçu au milieu de la file d'attente l'affiche du nouveau film de Michel Gondry intitulé The We and the I, et intercepté une discussion de l'exploitant du cinéma qui livrait ses impressions enthousiastes sur le satirique God Bless America (sortie prévue le 10 octobre, la bande annonce est ici). C'est peut-être dans la queue du cinéma que j'aurai finalement trouvé la promesse de deux bons films. Wait and see...

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lundi 27 août 2012

Wait a minute now wait a minute now wait a minute now wait a minute now wait a minute now...

(merci Adrian)

mardi 21 août 2012

La Part des Anges, de Ken Loach (2012)

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La part des anges, c'est la partie du volume d'un alcool qui s'évapore pendant son vieillissement en fût. Ken Loach nous distille son histoire, goutte à goute, de petites larmes de haine jusqu'aux plus belles perles de joie. C'est un moment savoureux comme peut-être la chaleur d'un verre de whisky qui coule doucement dans la gorge, et vous laisse le fond des yeux luisants. C'est la part réaliste de l'histoire qui m'a happé d’emblée avec la rencontre de ces jeunes délinquants qui évitent la prison de justesse, puis c'est ensuite la part de rêve drôle, amorale, et optimiste qui a pris le relais pour une vraie bouffée d'oxygène.

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Vous pouvez écouter ici I'm Gonna Be (500 Miles) de The Proclaimers qui apparaît dans la BO du film. Trop bon.

dimanche 05 août 2012

L'Histoire de France pour ceux qui n'aiment pas ça, par Catherine Dufour (2012)

Ni historienne, ni enseignante, Catherine Dufour est écrivaine, et elle s'est plongée avec une évidente passion et érudition dans l'écriture de ce livre sur l'Histoire de France dans lequel se dessine ses talents de conteuse.

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lundi 23 juillet 2012

Holy Motors, de Leos Carax (2012)

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Les deux derniers films que je suis allé voir au cinéma ont pour particularité de se dérouler dans une limousine.! C'était dans Cosmopolis de Cronenberg (voir le billet de Renaud), et Holy Motors de Leos Carax.

Quid de ces deux virées en longues limousines blanches..?

Bien... les deux films risquent de vous agacer à des niveaux différents, l'un par ses propos techno-capitalo-cyniques, et l'autre par un sens de l'absurde mal maitrisé qui frôle parfois le foutage de gueule. Les deux m'auront donc rendu perplexe.

Si les propos abscons de Cosmopolis ne m'ont pas empêché de trouver drôle et passionnante la descente incongrue d'un golden boy chez son coiffeur, c'est une toute autre histoire concernant Holy Motors qui réussit avec une idée originale à procurer à la fois un profond sentiment d'ennui, et d'exaspération.

Le pitch ! Dans la limousine, il y a Monsieur Oscar escorté par une grande dame énigmatique qui le transporte d'un « rendez-vous » à un autre dans Paris. Oscar sort de la limousine tour à tour grand patron, mendiant, meurtrier, créature monstrueuse... Toujours en train de jouer un rôle déjà écrit dans un “faux lieu” pour réaliser une "fausse action". Si l'idée paraît excellente - du cinéma où les caméras disparaitraient par le seul fait que la technologie les rendraient invisibles - le développement de l'idée se révèle lui terriblement décevant à l'image des trop rares dialogues, réflexions et instants de vérité du héros. Les multiples représentations du héros semblent le maintenir dans une illusion ininterrompue sans nul espoir de retrouver repos et réalité. Une seule petite fois, le film nous surprend dans cette confusion entre illusion et réalité quand je crois me trouver devant le vrai Oscar qui va chercher sa fille à une fête. Et encore, c'est que je ne suis pas de nature très perspicace.

Je peux envisager ce film comme une réflexion sur l’idée que la vie est un théâtre, vie dans laquelle nous jouons tous la comédie sans pouvoir jamais être sincère ce qui expliquerait sans nul doute la platitude volontaire de certains dialogues. Je comprends aussi que la scène d'ouverture du film nous place déjà dans une mise en abyme avec ce plan vu de face d'un public de cinéma plongé dans l'obscurité. Mais tout ça apparaît lourdingue, approximatif, et superflu. On ne se sent pas en apathie avec ce héros conditionné à vivre une vie de représentations, et non plus une vie ordinaire vécue. Certaines scènes sont tout simplement déplorables, tombant inutilement dans la bizarrerie. Buvez quelques verres, fumez avant, et allez y seuls, à la limite le film se révèlera peut-être une expérience surprenante. Sobre, c'est juste chiant.

lundi 04 juin 2012

Il était une fois en Anatolie, de Nuri Bilge Ceylan (2011)

« Vous êtes invités à monter à bord d'une voiture bondée, qui roule à travers un paysage désolé, par une nuit noire. Vous serez coincés entre un policier atrabilaire, un homme menotté et un jeune médecin qui se demande ce qu'il fait là. Vous allez cheminer dans une obscurité croissante, à la recherche d'un endroit vaguement défini (une fontaine, un arbre...) où l'homme menotté a peut-être enterré sa victime. La divagation dans la nuit d'Anatolie est éprouvante, d'autant qu'elle reste longtemps infructueuse. Cette épreuve a été conçue pour vous, spectateurs d'Il était une fois en Anatolie. » (1)

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L’intrigue policière fonctionne à son plein dans la première heure du film. La pénombre troublée par le seul feu des voitures creuse les traits de ces visages emprunts de lassitude, et nous inspire un profond sentiment d’inquiétude. Le film pêche par longueur bien que la recherche du cadavre prenne une tournure étrange et mystérieuse. La nuit orageuse, les champs chahutés par le vent, les éclairs à l’horizon donnent sa propre atmosphère à l’histoire. Pressé par un policier de moins en moins patient, le meurtrier qui a avoué son crime semble confus, désorienté, et se sentira incapable de reconnaître le lieu où il a enterré sa victime sous le poids de la fatigue.

Peut-être n’arriverez-vous pas jusqu’à la fin du film partagé entre lassitude, langueur et solitude. N’en reste pas moins que ce film imprime des plans d'une beauté saisissante avec ses sublimes images nocturnes du fin fond de la Turquie rurale. Il faut voir cette scène où, dans un clair-obscur propice à la rêverie, les hommes somnolant sont cueillis par le regard d’une jeune fille qui vient leur servir le thé. Elle se tient derrière la lampe à pétrole qu'elle porte avec elle. Un ange passe. Et, le silence dit long sur la tristesse, le ressentiment et la fragilité de ces hommes sur chacun desquels plane le souvenir d'une femme.

C'est une histoire fleuve qui se termine auprès du médecin légiste pratiquant l'autopsie du cadavre. Aucun flash-back ne reviendra sur les faits, le spectateur sera à même de deviner l'enchaînement de cet homicide à placer dans les sombres pages des faits-divers.

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(1) Ce synopsis vient d’une chronique de Thomas Sotinel parue dans le journal le Monde. Un très bel article sur le film dont je vous invite à lire la suite ici.

dimanche 03 juin 2012

Dont stop me now, par David Armand

En 2011, dans l'émission Fast and Loose diffusée sur BBC Two, une troupe de comédiens participait à plusieurs jeux avec ce qu'il faut de difficultés pour des habitués de la planche et de l'impro. Le jeu intitulé Interpretive dance qui met en scène David Armand reste le plus réjouissant à voir de l'émission. David Armand doit mimer une chanson populaire, tandis que les deux autres participants qui portent des casques anti-bruit essaient de deviner la chanson interprétée. Même si on ne comprend pas toutes les paroles (in english of course), les expressions et les trouvailles de l'acteur sont délicieusement drôles.

Have a good time.

D'autres performances de David Armand sont disponibles sur le site de l'émission ou sur YouTube. On y retrouve les autres jeux de l'émission comme :

  • Forward/Rewind : les acteurs ont un scénario à jouer, et le présentateur peut demander comme il lui plaît une avance rapide ou un retour en arrière, et en conséquence les comédiens doivent s'accorder au tempo.
  • Double Speak Game : les joueurs sont en duo. Chaque paire doit répondre en improvisant et à l'unisson aux questions du présentateur sur un sujet cocasse.
  • Sideways Scene : les joueurs doivent jouer une scène en étant couché sur le sol. La caméra est positionnée au plafond, ce qui donne aux téléspectateurs l'impression que les joueurs sont debout.

jeudi 31 mai 2012

Unica, de Elise Fontenaille (2007)

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Ce roman à la fois polar et roman d'anticipation suit deux personnages aux relations ambigües, d'un côté Unica une petite fille aux cheveux blancs qui semble ne vieillir jamais, leader d'une bande de cinq enfants qui s'enferment dans une cabale sanglante contre les cyberpédophiles, et de l'autre Herb, un cyberflic qui traque les détraqués sexuels en infiltrant les sites et réseaux pédophiles avant de les cueillir revolver au poing dans leur baraque pour les livrer à la justice. Épuisé par sa vie déstructurée, brûlé par son travail, la seule consolation de Herb est un enregistreur de rêve dont il se repasse les films oniriques. Il les montre parfois à Salinger, la psychiatre de la brigade « CYBER ».

Le passé de ces deux personnages cache des mystères qui ne cessent d'intriguer. Le roman ciselé en courts chapitres s'articule autour du récit de Herb, tour à tour intimiste, sensible, et dérangeant. Elise Fontenaille a écrit en 160 pages un polar psychologique avec une intrigue redoutable sur un sujet difficile qu'elle enfonce sans dérobade. Le premier chapitre en accroche, on ne démord plus de ce qui ressemble bel et bien à un chef d’œuvre !

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