Je m'attarde - Mot-clé - Crise le temps d'un souffle<br />2024-03-29T08:45:23+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearThe Nest, de Sean Durkin (2020)urn:md5:e770484090682eaeb379469597992c5d2021-03-09T09:40:00+01:002021-03-09T09:40:00+01:00RenaudCinémaAngleterreChevalCoupleCriseFamilleJude LawRuralité <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/nest/.nest_m.jpg" alt="nest.jpg, fév. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"Things have dried up for me here."<br /></strong></ins></span></div>
<p>Derrière le glacis légèrement inquiétant de la photographie très typée 80s, la décomposition de la famille guette. Sans jouer sur le terrain de la surenchère esthétique, <strong>Sean Durkin</strong> parvient à recréer un univers ancien sans en faire trop et à y inscrire la lente décrépitude du couple Rory / Allison formé par les très bons <strong>Jude Law </strong>et <strong>Carrie Coon</strong>. <ins>The Nest</ins> n'est cependant pas un modèle d'innovation dans le registre de la famille à la dérive : on voit très vite où l'ardeur de ce courtier entrepreneur va le mener, lui et ses proches, quand il quitte les États-Unis et impose à sa famille un déménagement vers sa terre natale, en Angleterre. Ses rêves de vie (encore plus) argentée, son insatisfaction vis-à-vis de la situation actuelle pourtant confortable, ses belles promesses à sa femme à travers une nouvelle vie dans un vieux manoir en pleine campagne pour qu'elle puisse poursuivre sa passion pour le cheval : sur ces aspects-là, le scénario est d'une prévisibilité qui entache tout le reste.</p>
<p>Pourtant, malgré tout, au-delà de ces faux-espoirs d'argent facile, <ins>The Nest</ins> est assez intéressant dans un sujet décentré, ce nouveau départ qui s'évanouit avant de s'être un tant soit peu concrétisé, et cet équilibre familial qui se fissure progressivement, à travers l'isolement de chacun de ses membres — le père, la mère, les enfants. Un récit noir, hanté, qui investit un registre proche du fantastique par moments, le meilleur sans aucun doute : les moments où Allison est seule à la maison, inquiète, dans ce lieu austère, sombre et froid, sont bien gérés avec des sursauts de phénomènes inexpliqués, une porte qui s'ouvre, une radio qui s'allume. Dans ces passages, c'est presque un film de maison hantée. Un film d'atmosphère, très clairement, sans éclat notable mais avec un sens diffus de l'hostilité, avec quelques symboles parfois un peu trop frontaux à l'image de la mort du cheval (très) frontalement annonciatrice, et quelques passages obligés sur le couple en crise (comme la séquence au restaurant par exemple) qui auraient pu être facilement évités.</p>
<p>En tous cas, l'Angleterre des années 80 perçue depuis ce manoir victorien et depuis les ambitions professionnelles aussi chimériques que démesurées qui pèsent sur la vie familiale, voilà un prisme original pour contempler l'image fanée d'un bonheur anéanti. On sent bien la volonté du personnage de <strong>Jude Law</strong> d'aller profiter du système européen tant qu'il en est encore temps. La détresse des personnages est au centre du film dans la seconde moitié, une détresse mortifère qui enveloppe l'ensemble d'un voile inquiétant, et qui accompagne le couple de désillusion en désillusion. Quelques petits effets de mise en scène sont à regretter, comme notamment ces très légers zooms avant qui essaient un peu maladroitement d'enrichir l'ambiance pesante, mais dans l'ensemble un sens de l'étrange qui brouille les repères et intrigue fortement.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/nest/.allison_m.jpg" alt="allison.jpg, fév. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/The-Nest-de-Sean-Durkin-2020#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/913Fleurs d'équinoxe, de Yasujirō Ozu (1958)urn:md5:38432198cb85c3fb170423efb7565c252020-10-27T16:00:00+01:002020-10-27T16:04:06+01:00RenaudCinémaChishû RyûCriseFamilleJaponLibertéMariageMélancolieSetsuko HaraYasujirō Ozu <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fleurs_d_equinoxe/.fleurs_d_equinoxe_m.jpg" alt="fleurs_d_equinoxe.jpg, oct. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Équilibre du jour et de la nuit<br /></strong></ins></span></div>
<p>Le cinéma d'<strong>Ozu </strong>comporte quelques composantes qui traversent l'ensemble de son œuvre, dans son intégralité (ou presque), pouvant conduire à deux réactions opposées dans un parcours cinéphile donné, à l'heure de la dernière pierre ajoutée à l'édifice. Ainsi, à l'issue de <ins>Fleurs d'équinoxe</ins>, on peut observer la manifestation d'une très grande cohérence thématique, une constance remarquable, à travers cette énième variation sur le conflit des générations qui se dessine par petites touches successives. La sobriété épurée de la mise en scène alliée à la grande pudeur qui se dégage de cette chronique du quotidien familial peut toutefois s'accompagner ou se décanter peu à peu en une sensation de quasi-stagnation, comme si jamais rien de fondamental ne survenait à un instant donné. Difficile, pourtant, de ne pas ressentir l'épiphanie irriguée par la soudaine attitude du père envers sa fille, à l'issue du film, même si geste paraît infime. <strong>Ozu</strong>, c'est toujours la même chose, pourrait-on dire. Ou presque.</p>
<p>Mais tout est dans le "ou presque", dans ce portrait qui s'affine très progressivement, autant à l'intérieur de chaque film, de manière autonome, que d'un film à l'autre, dans une dynamique au long cours.</p>
<p>D'un point de vue strictement chronologique, la rupture qui saute aux yeux est bien sûr celle du passage à la couleur, pour la première fois chez <strong>Ozu</strong>. Il en a une utilisation toute particulière, comme en témoigneront des films ultérieurs comme <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Bonjour-de-Yasujiro-Ozu-1959">Bonjour</a></ins> ou <ins>Le Goût du Saké</ins>, et son sens de la composition trouve un nouveau mode d'expression : après cet attrait du cadre "à hauteur de tatami" caractéristique, on pénètre dans des lieux marqués par leur ambiance colorimétrique. Le gris du bureau, avec les murs, le mobilier et les vêtements, s'oppose clairement aux tons crème des intérieurs résidentiels, des cloisons ocres à la paille de riz des tatamis. Dans ces espaces aux teintes unifiées, le moindre élément qui détonne offre un contraste saisissant qui explose aux yeux.</p>
<p>La toile de fond, thématique cette fois-ci, s'inscrit sans surprise dans la continuité de ce qui a précédé, à savoir les accrocs entre parents et enfants (et plus précisément entre père et fille) à une époque charnière, comme si un ancien monde était en train de s'évanouir, en silence. Dans <ins>Fleurs d'équinoxe</ins>, c'est très nettement la difficulté du père à laisser sa fille s'épanouir comme elle l'entend qui occupe le devant de la scène, avec tout ce que cela implique en termes de lourd héritage (et de vieilles traditions) dont il faut s'affranchir. Bien évidemment, cette étape d'émancipation se fera sans éclat notable mais au creux d'une douleur diffuse, celle des blessures intérieures, dans un mouvement partagé entre sa douceur et sa mélancolie. Mais pas d'effusion de sentiments : on est quand même très proche de la catalepsie émotionnelle. C'est à ce titre que le film mûrit très bien, une fois le visionnage terminé, dans ce que sa constance continue d'irradier par continuité — un peu comme chez <strong>Naruse</strong>.</p>
<p>Si on peut reconnaître une certaine sécheresse instantanée tout au long du film (par les dialogues polis, les positionnements moraux, l'intériorité des affects), il ne faudrait pas négliger la composante humoristique qui est tissée avec force avec le reste. Rien à voir avec les blagues autour de l’aérophagie de <ins>Bonjour</ins> : c'est cette mise en scène de la part de l'amie de la fille, qui prend le père au piège en lui exposant une situation qui n'est autre que celle de sa fille, conduisant dans un cas de figure à rejeter le choix (celui de sa fille) de l'homme aimé et dans l'autre cas de figure à pousser la rebelle (l'amie) à aller à l'encontre de la décision de ses parents. Cette façon de mettre le père face à ses propres contradictions, très progressiste quand il s'agit des autres mais très conservateur lorsqu'il est question de son foyer, est vraiment délicieuse. Même si tout le monde ne l'acceptera pas aisément, à l'image de sa femme. L'humour s'exprime aussi beaucoup dans un bar, à travers la gêne de l'employé qui se trouve confronté à son patron et qui doit feindre de ne pas être un habitué du saké de la maison.</p>
<p>Là où <strong>Chishû Ryû </strong>révélait les angoisses d'un père veuf contraignant sa fille au célibat dans <ins>Le Goût du saké</ins>, <ins>Fleurs d'équinoxe</ins> s'intéresse beaucoup plus au rapport de force qui s'établit entre le père et sa fille, et dans la position de cette dernière, contrainte à défier un symbole d'autorité à cause des prémices d'un mariage arrangé — un peu comme dans <ins>Printemps tardif</ins> avec <strong>Chishû Ryû</strong>, encore, et <strong>Setsuko Hara</strong>. Et c'est aussi un très beau portrait féminin choral, puisque la toute-puissance apparente du père autoritaire sera lentement grignotée, avec calme et détermination, par une série de considérations initiées par des femmes, son épouse, sa fille, ou une amie. Un équilibre est en train de se construire. La dernière séquence se lit à ce titre comme une très belle victoire.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fleurs_d_equinoxe/.couple_m.jpg" alt="couple.jpg, oct. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Fleurs-d-equinoxe-de-Yasujiro-Ozu-1958#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/853Castaway, de Nicolas Roeg (1986)urn:md5:34f19f0bac141186e1d413c07df3b1ed2020-06-02T10:39:00+02:002020-06-02T09:41:30+02:00RenaudCinémaAventuresCoupleCriseDésirErotismeIleIle déserteIsolementMariageNatureNicolas RoegOliver ReedVoyage <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/castaway/.castaway_m.jpg" alt="castaway.jpg, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"I believe in our future here."</strong></ins></span>
</div>
<p>La présence d’<strong>Oliver Reed </strong>dans un tel film, ça dépasse l'entendement. 15 ans après sa prestation outrée, hallucinée et over the top dans <ins>Les Diables</ins> de <strong>Ken Russell</strong>, on le retrouve embarqué dans cette histoire renversante, adaptée de deux livres autobiographiques, dédiée à la lubie romantique d’un écrivain échoué volontaire sur une île déserte australienne en très bonne compagnie — qu'il avait pris le temps de soigneusement sélectionner au préalable. C'est le récit authentique de Lucy Irvine, une employée londonienne de 25 ans, blasée par la vie citadine, qui répond à une annonce dans Time Out London stipulant "écrivain d'une trentaine d'années recherche jeune épouse pour passer une année dans une île tropicale"... Une annonce placée par Gerald Kingsland, 49 ans, qui sélectionna cette femme parmi plus de cinquante candidates et avec qui il se maria (afin de respecter une loi australienne restreignant l'immigration) pour aller passer un an sur l'île de Tuin. Chacun des deux écrira un livre à l'issue de cette aventure, base de travail pour cette adaptation réalisée par le décidément très singulier <strong>Nicolas Roeg</strong>.</p>
<p>Ainsi, <ins>Castaway</ins> (à ne pas confondre avec le film de <strong>Robert Zemeckis</strong>, <ins>Cast away</ins>, "Seul au monde" en français) se résume à 2 heures presque intégralement sur une île déserte, en compagnie d’<strong>Oliver Reed </strong>en écrivain rêveur emphatique puis bougon et d'<strong>Amanda Donohoe </strong>en aspirante à l'émancipation sous les tropiques, essentiellement nue — un argument marketing incontournable, sans aucun doute. Elle dira d'ailleurs de manière assez drôle, au sujet du tournage : "<em>Well, naked on a desert island with Oliver Reed – it was a tabloid fantasy, wasn't it? He was an alcoholic and his behaviour was erratic, but he was always a courteous and good actor. His personal life wasn't working but he never crossed any lines professionally.</em>" Ce rêve de publicitaire lubrique se révèlera comme la cohabitation d'un homme et d'une femme mal assortis, découvrant très rapidement qu'ils ne partagent pas tout à fait la même conception de l'idylle exotique et du paradis paresseux. Loin, très loin de la robinsonnade annoncée.</p>
<p>De manière tout à fait surprenante et improbable, <strong>Nicolas Roeg </strong>parvient à tisser une atmosphère originale et bizarre de ce postulat de départ rachitique, en instillant peu à peu les ingrédients discrets d'une discorde qui détruira le magnifique paysage. Elle rêvait d'apprendre à survivre sur cette île dotée d’un incroyable potentiel, un peu à l’image d’un peuple primitif profitant de la faune et de la flore locales, mais lui avait tout simplement prévu de vivre d'amour et d'eau fraîche (fraîchement et régulièrement envoyée par son éditeur, comme une avance sur la publication du livre retraçant cette expérience à paraître) et de se repaître de sa monumentale flemme. Aventurier dans les mots (cette façon de déclamer "<em>I believe in our future here</em>" avec grandiloquence...), mais pas vraiment dans les actes. Malheureusement, emmuré dans son obsession contemplative et voluptueuse, il perd l'assentiment de sa conjointe qui en retour refuse de faire l'amour — alors que, rappelons-le, elle passe l’essentiel de son temps à marcher dans le sable blanc et à nager dans les lagons avoisinants dénudée. Au final, c'est bien elle qui se révèlera la plus apte à vivre dans ces conditions et sous ces latitudes, avec le désir et la force de caractère nécessaires. Ce sera le point de départ d’une longue hystérie bicéphale, principalement articulée autour d’une série de monologues, décrivant une situation d'incommunicabilité délirante, ponctuée par-ci par-là d'infections et de maladies assez peu glamours. Sur un rythme vraiment très étrange, avec un sens très singulier de la poésie et de l’attente, le paradis annoncé se transforme en un purgatoire parfaitement insolite.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/castaway/.cuisine_m.jpg" alt="cuisine.jpg, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/castaway/.plage_m.jpg" alt="plage.jpg, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/castaway/.soleil_m.jpg" alt="soleil.jpg, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Castaway-de-Nicolas-Roeg-1986#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/783Le Désert rouge, de Michelangelo Antonioni (1964)urn:md5:4858a83f7ad647ed8ef815a3290099992019-06-14T17:29:00+02:002019-06-14T17:25:10+02:00RenaudCinémaCriseFemmeGrisailleMichelangelo Antonioni <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/desert_rouge/.desert_rouge_m.jpg" alt="desert_rouge.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="desert_rouge.jpg, juin 2019" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Dans la brume imprégnée de rouille</strong></ins></span>
</div>
<p>Le passage à la couleur chez <strong>Antonioni </strong>(après 20 années de noir et blanc) se fait dans une grisaille épaisse — continuité presque parfaite avec celle qui envahissait l'univers de <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/An-Elephant-Sitting-Still-de-Hu-Bo-2018">An Elephant Sitting Still</a></ins>. De ces épaisses couches en tons de gris, seuls quelques éclats parviennent à percer : quelques couleurs, du rouge ou du jaune surtout, et le personnage de Giuliana sous les traits de <strong>Monica Vitti </strong>qui irradie autant de son charme que de sa détresse. Certains traits un peu maladroits (ou tributaires d'un charme désuet, c'est selon) m'empêchent de plonger entièrement dans cette proposition éprouvante, mais on ne ressort pas de ce film indemne, c'est à peu près sûr.</p>
<p><ins>Le Désert rouge</ins> met en lumière une ambivalence à mes yeux constitutive du cinéma d'<strong>Antonioni</strong>, cette intellectualité chevillée au corps sans cesse contrebalancée par un puissant pragmatisme sensuel. Un cinéaste radical dans ses choix artistiques et ses partis pris, à la veille de son exil artistique pour les États-Unis (où <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Zabriskie-Point-de-Michelangelo-Antonioni-1970"><ins>Zabriskie Point</ins></a> verra le jour), au lendemain de films comme <ins>L'Avventura</ins>, <ins>La Nuit</ins> et <ins>L'Éclipse</ins> marqués par la crise et le questionnement existentiel.</p>
<p>L'ambiance qui règne dans cette région industrielle délabrée, emplie de rouille, de fumées jaunes et de contaminations variées, fascine autant qu'elle inquiète. Giuliana semble être la seule à y être sensible (et la seule à être sensible, de manière plus générale), à en concentrer les effets sous la forme de crises diverses. Sensibilité extrême ou simple conscience du monde qui l'entoure, on ne saura jamais vraiment dire, mais elle évoluera dans le film, au milieu de ses semblables et des décors, comme une âme en peine qui restera éternellement incomprise. Comme si elle était en proie à une constante agression extérieure, invisible aux yeux des autres. Son désarroi, très appuyé par moments, est fatalement palpable : cette histoire d'accident de voiture permettant à son entourage d'évacuer toute préoccupation, toute responsabilité, alors qu'il s'agit d'une tentative de suicide, ce mari insensible à sa souffrance, cet enfant manipulateur presque tortionnaire... Le désarroi est total dans cet univers toxique.</p>
<p>On peut voir dans ce mal-être permanent une spirale infernale, une lente descente aux enfers qui emprisonne Giuliana dans son angoisse incommunicable. Rien ne sera jamais véritablement explicité, il restera toujours de nombreuses énigmes (comme toujours chez <strong>Antonioni </strong>semble-t-il, avec les mystères de l'amour, de l'identité, de la femme, etc.) perdues au milieu d'un tableau abstrait qui, un peu comme chez <strong>Tarkovski</strong> (référence peut-être un peu hardie), magnifie la beauté de l'angoisse dans la brume imprégnée de rouille.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/desert_rouge/.vitti$_m.jpg" alt="vitti$.jpg" title="vitti$.jpg, juin 2019" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/desert_rouge/.gris_m.jpg" alt="gris.jpg" title="gris.jpg, juin 2019" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Desert-rouge-de-Michelangelo-Antonioni-1964#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/655Qui a peur de Virginia Woolf ?, de Mike Nichols (1966)urn:md5:23fe7f258ced89ab47df435b695d27572017-06-12T09:56:00+02:002017-06-12T08:58:14+02:00RenaudCinémaAlcoolCoupleCriseMariageMike Nichols <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/qui_a_peur_de_virginia_woolf/.qui_a_peur_de_virginia_woolf_m.jpg" alt="qui_a_peur_de_virginia_woolf.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="qui_a_peur_de_virginia_woolf.jpg, juin 2017" /><div id="centrage"><p><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>MARIAGE [maʁjaʒ] n. m. — Institution pour malades mentaux.</strong></ins></span></p>
</div>
<p>Drôle d'expérience que de voir le film après une représentation de la pièce d'<strong>Edward Albee</strong> de 1962, dont il fut adapté quelques années plus tard. C'est un cas de visionnage un peu à part, l'intrigue étant étrangement familière : ce n'est pas un remake, pas une véritable découverte, mais plutôt un autre regard sur une situation de crise très singulière, un pas de côté appuyé par les artifices du cinéma et sans les arguments du théâtre. Dans les deux cas, la satire prend plusieurs chemins, entre la psychanalyse un peu poussive de deux couples appartenant à deux générations différentes et le portrait contemporain de l'Amérique aux relents acides.</p>
<p>Lorsque les grandes lignes de la toile narrative et le contenu de la diatribe sont connus à l'avance, même grossièrement et par le biais d'une autre représentation artistique, on se concentre sur autre chose, en léger décalage avec l'essentiel. Deux choses m'ont profondément marqué : la quantité d'alcool ingurgitée, qui rivalise aisément avec les hectolitres de bière absorbés dans <ins>Wake In Fright</ins> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Reveil-dans-la-terreur-de-Ted-Kotcheff-1971">un ptit canon pour la route ?</a>), et la violence acharnée des échanges entre <strong>Elizabeth Taylor </strong>et <strong>Richard Burton</strong>, incessante, protéiforme, et dépassant sans doute le strict cadre des personnages fictionnels de Martha et George (cf. les nombreux épisodes tumultueux de leur vie commune dans la réalité). Ces deux aspects, alcool et violence principalement morale, dans leur caractère extrêmement répétitif et intense, sont au cœur de l'expérience très éprouvante que constituent les deux heures de cet affrontement. Ou plutôt <em>ces </em>affrontements, tant les schémas d'opposition bourgeonnent dans tous les recoins de l'histoire. Un conflit allant crescendo jusqu'à la guerre totale, ou tous les coups sont permis pour rabaisser l'autre et se sortir de l'état d'ennui et de torpeur mêlés qui semble les paralyser depuis longtemps.</p>
<p>C'est une façon très originale (et abominable) d'évoquer une relation de couple à l'écran : tous les échanges se font à travers le filtre de l'humiliation morale et de la torture psychologique, dont l'intensité croît avec le taux d'alcoolémie et le temps qui passe. Une peinture de crise profonde, qui semble durer depuis une éternité étant donnés les sous-entendus et autres règles qui semblent tout de même exister dans leur jeu de massacre. Dans son insistance, dans sa longueur, dans sa brutalité, le film rend la folie des personnages palpable, la maladie devient claire et tangible (et peut, aussi, lasser). Les deux névrosés nous éclaboussent de leur démence et étendent l'épreuve de leur couple au cadre du visionnage du film, tout aussi éprouvant.</p>
<p>Si le film est beaucoup plus explicite que l'œuvre originale quant à l'origine du mal qui ronge ses deux sociopathes, si le parallèle entre les deux couples est plus appuyé (une relation pétrie d'amour autant que de haine et basée sur des mensonges dissimulant des cicatrices), l'expérience n'en est pas moins irrespirable. Le mariage ressemble dans ces conditions à une institution pour malades mentaux, source des pires maux et théâtre de psychothérapies meurtrières. Le jeune couple invité, pris en otage, finira désintégré par le souffle de l'explosion.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/qui_a_peur_de_virginia_woolf/.parapluie_m.jpg" alt="parapluie.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="parapluie.jpg, juin 2017" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Qui-a-peur-de-Virginia-Woolf-de-Mike-Nichols-1966#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/415