Je m'attarde - Mot-clé - Déterminisme social le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearLe Temps du châtiment, de John Frankenheimer (1961)urn:md5:c5b4a78bb8e87da769fb47f98ea851ec2022-12-16T14:56:00+01:002022-12-16T14:56:00+01:00RenaudCinémaBurt LancasterDéterminisme socialJohn FrankenheimerMeurtrePréjugéPsychanalyseTribunal <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/temps_du_chatiment/.temps_du_chatiment_m.jpg" alt="temps_du_chatiment.jpg, déc. 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"You think I can afford this phony idealism of yours? I've got a job to do."<br /></strong></ins></span>
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<p>Le second film (pour le cinéma, car il a déjà un grand passif à la télévision en 1961) de <strong>John Frankenheimer</strong> souffre d'un côté bien trop scolaire dans la démonstration pour qu'il soit véritablement intéressant, mais quelques particularités en font un film que l'on accueille avec bienveillance. Déjà, il sort la même année que l'adaptation de <ins>West Side Story</ins> et les thématiques communes sont légion — la romance et l'aspect comédie musicale en moins. Ensuite, en ce tout début des années 60, il est curieux de voir la place accordée à l'interprétation psychanalytique des agissements d'un trio de jeunes dépravés qui ont assassiné un jeune aveugle. Cette époque où on percevait la psychanalyse comme une possible explication rationnelle et scientifique à tous les comportements déviants... Je trouve ça touchant, personnellement. Et enfin, le plus gros morceau, on reconnaît la fibre sociale de <strong>Frankenheimer </strong>et de <strong>Lancaster </strong>(qui ne se sont pas bien entendus sur le tournage, sans pour autant empêcher la suite de leurs nombreuses collaborations) qui dépense beaucoup d'énergie à dépeindre la toile de fond des déterminismes les plus tragiques.</p>
<p>Bon déjà, le décor social des origines ethniques variées est posé dès le vocabulaire : on alterne sans cesse entre nigger, wop ("rital") et spic ("espingouin"), formant un jargon assez large pour illustrer l'animosité entre les bandes rivales. Beaucoup d'antagonismes trouvent leur source dans cet aspect-là, à commencer par le procureur <strong>Lancaster </strong>d'origine italienne qui enquête sur le meurtre d'un porto-ricain. On le comprend assez vite, <ins>The Young Savages</ins> défend la thèse de "la misère engendre la misère" et cherche à contextualiser l'ensemble des méfaits, en trouvant systématiquement des circonstances atténuantes par-ci et des faits cachés par-là — typiquement, le jeune aveugle servait de cachette vivante à armes à feu à sa bande, chose qu'on avait du mal à imaginer. Les apparences sont trompeuses, le credo est martelé avec beaucoup d'insistance. Le film se sert du crime pour considérer beaucoup d'aspects contextuels qui trouvent comme point de convergence la scène de prétoire finale, explosion des préjugés, des rancœurs et des troubles intimes. Les trois garçons accusés offrent trois portraits un peu trop parfaits pour asseoir un discours calibré, et le changement de psychologie de <strong>Lancaster </strong>pendant le procès est un morceau somme toute assez conséquent gros à avaler.</p>
<p>Mais il est à noter que ce dernier a droit à quelques séquences mémorables, assorties de répliques qui claquent : "When was the last time you had to scrounge for a buck? You think I can afford this phony idealism of yours? I've got a job to do."</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/temps_du_chatiment/.img1_m.png" alt="img1.png, déc. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/temps_du_chatiment/.img2_m.png" alt="img2.png, déc. 2022" />
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/temps_du_chatiment/.img4_m.png" alt="img4.png, déc. 2022" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Temps-du-chatiment-de-John-Frankenheimer-1961#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1101De sang-froid, de Richard Brooks (1967)urn:md5:a69fda709adc44dc9368f20d473efe882020-07-03T10:06:00+02:002020-07-03T10:06:00+02:00RenaudCinémaDéterminisme socialEtats-UnisFuiteMeurtrePeine de mortRichard BrooksViolence <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sang_froid/.sang_froid_m.jpg" alt="sang_froid.jpg, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>
Nouveau monde, nouveaux monstres : parallélisme des structures
</strong></ins></span></div>
<p><ins>In Cold Blood</ins> est un film qui déborde de qualités, et ce à tous les niveaux : composante documentaire s'attachant à contextualiser l'horrible tragédie au centre névralgique des deux heures, travail photographique incroyable pour composer des atmosphères nocturnes à l'aide d'un noir et blanc tranchant, montage intelligent qui joue avec différentes temporalités et différents régimes d'explicite qui fait de la rétention d'information un puissant carburant pour l'intrigue... La liste est longue pour tenter de détourer les raisons d'une telle réussite, sur la toile de fond d'une histoire sordide : deux jeunes hommes en liberté conditionnelle qui assassinèrent une famille d'agriculteurs sans véritable mobile, poussés par l'appât d'un gain illusoire basé sur des rumeurs, acculés dans leur fourvoiement. Une histoire inspirée d'un fait survenu 10 ans plus tôt, en 1959. En sous-texte, le portrait d'une certaine Amérique, peuplée de rêveurs qui aspirent à la réussite qu'on leur a vendue mais qui se heurtent à la dure réalité sociale. Perry et Dick incarnent ainsi un concentré de ressentiments à l'égard de leur pays, de l'institution, et de ce qu'ils perçoivent comme une injustice fondamentale : "<em>Ever see a millionaire fry in the electric chair?</em>".</p>
<p>Si l'on peut reprocher une chose à <strong>Richard Brooks</strong>, c'est d'avoir mis les bouchées doubles pour légitimer la fragilité psychologique de Perry en usant et abusant du traumatisme passé qui resurgit constamment dans sa perception du présent. Pour le reste, il fait preuve d'une finesse appréciable dans le portrait du duo, dans l'avancement de l'enquête en parallèle de la fuite, avec pour point de convergence la révélation finale des événements qui ont scellé leur sort, à la faveur d'un ultime flashback. Une séquence riche en tension qui vient habilement (du point de vue de la dramaturgie mais pas nécessairement de la logique psychologique) consacrer les comportements des deux protagonistes.</p>
<p>Le travail de montage est vraiment ce qui rend le film aussi efficace à mes yeux, aidé en cela par la qualité de la photo qui sait conserver une grande part de sobriété. Au montage parallèle qui fait progresser le travail des enquêteurs en même temps que les pérégrinations des tueurs après leur méfait (tout en prenant le soin de ne rien dévoiler de manière explicite, pour préserver une incertitude), répond le parallèle des deux temps forts finaux, avec tout d'abord le massacre imprévu de la famille prise en otage suivi de la longue attente des détenus dans le célèbre couloir de la mort. Ces deux moments contiennent une même dimension suffocante, éprouvante, épuisante, et se font le reflet de deux excroissances malades des États-Unis, sans tomber ni dans le pamphlet contre la peine de mort (même si le constat est explicite) ni dans le réquisitoire contre deux assassins (partagés entre l'horreur de leur crime et une sorte de déterminisme social tragique). Sans doute, à mon sens, que lever le pied sur l'explication psychologique de l'acte meurtrier aurait conféré au film une puissance supérieure.</p>
<p>Mais pour le reste de la proposition, la structure est d'une efficacité redoutable, filant tout droit vers ses derniers moments, avec d'un côté les chocs de la responsabilité individuelle contre la responsabilité collective qui explosent lors de l'interrogatoire (Dick passant du psychopathe en contrôle à la victime qui se déresponsabilise) et de l'autre l'impasse caractérisée de l'exécution de la peine capitale (qui ne résout absolument rien en se cachant derrière de saintes valeurs). La mécanique de la violence est d'une implacabilité sidérante. C'est un peu comme si on assistait à la naissance d'un nouveau monde, avec ses nouveaux monstres, parfois sincères, parfois effroyables, tour à tour égoïstes et inconscients. Le malaise est total.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sang_froid/.arme_m.jpg" alt="Screen Shot 2015-06-10 at 12.25.58 PM.tif, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" title="Screen Shot 2015-06-10 at 12.25.58 PM.tif" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/De-sang-froid-de-Richard-Brooks-1967#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/797Passe ton bac d'abord, de Maurice Pialat (1978)urn:md5:8ef71830c512ae48f4d64a8a7107419a2020-04-26T17:40:00+02:002020-04-26T16:41:47+02:00RenaudCinémaAmourDéterminisme socialLycéeMaurice Pialat <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/passe_ton_bac_d-abord/.passe_ton_bac_d-abord_m.jpg" alt="passe_ton_bac_d-abord.jpg, avr. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Naturalisme de la moyenne</strong></ins></span>
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<p>Les premières séquences suffisent à susciter un net intérêt, que je situerais entre le semi-documentaire et le regard social. Ces gueules d'adolescents, ces pulls en laine, ces situations familiales : pas de doute, on est en plein dans cette époque à cheval entre les années 70 et 80. C'est précisément le cadre temporel de la génération de mes parents et si je suis géographiquement assez peu proche de ces régions nordistes, <ins>Passe ton bac d'abord</ins> revêt une perspicacité incroyable à mes yeux. De bac, d'ailleurs, il ne sera pas beaucoup question. <strong>Pialat</strong>, comme à son habitude, emporte sa caméra qu'on pourrait qualifier de naturaliste pour aller capter le vent de l'adolescence paumée.</p>
<p>Initialement, le cadre peut déranger. Cette direction d'acteur si particulière (des non-professionnels pour beaucoup, j'imagine), cette crudité dans le regard à la lisière du documentaire, les zones d'inconfort sont nombreuses. Mais à mesure que cette ambiance se tisse, la familiarisation se fait et permet d'apprécier la proposition de manière plus détendue. Souvent, on ne sait pas s'il faut trouver ça drôle ou dramatique. Les élans et les tonalités sont très nombreux, entre les sentiments amoureux, les rapports conflictuels avec les parents, la tutelle d'un prof de philo, etc. Ce tissu social sert de démonstration pour Pialat, sans que cela ne soit trop démonstratif, pour illustrer une forme de reproduction de schémas. On est comme enfermé dans des cycles, de violence, d'ignorance, de mépris. La bêtise des parents réactionnaires est un magnifique exemple de cela, archétype d'un discours sur l'âge d'or de la génération précédente qui reste invariable au cours du temps. De manière plus comique, il y a le discours du prof, qui se veut informel et presque amical, qui reste le même d'une année à l'autre. Entre l'introduction et la conclusion, une année est passée mais pas grand-chose n'a changé.</p>
<p><strong>Pialat </strong>sert presque une chronique des errances du secondaire, avec beaucoup de tendresse mais sans pour autant verser dans une complaisance aveugle ou niaise. Il y a une forme de "niveau moyen" qui se ressent à tous les niveaux : des gens, enfants et parents, ni pauvres, ni riches, ni idiots ni brillants. La grisaille de la moyenne. Ils gravitent tous dans un univers morose et informe, avec le chômage, l'école, l'émancipation, le mariage. C'est d'une certaine authenticité touchante, en évoluant d'une famille à l'autre sans jamais se fixer nulle-part, en délivrant une forme de désespoir tranquille, une survie résignée. Et dans cette redondance cyclique témoignant une forme de déterminisme social et territorial, comme le dit le prof de philo au sujet de la nécessité de désapprendre et de la prof de gym qui hurle "démarquez-vous !", on sent comme un appel à faire table rase du passé.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/passe_ton_bac_d-abord/.bisou_m.png" alt="bisou.png, avr. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Passe-ton-bac-d-abord-de-Maurice-Pialat-1978#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/766