Je m'attarde - Mot-clé - Google le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearEx Machina, d'Alex Garland (2015)urn:md5:218447696b3021f96ee632f0f0ef386a2015-03-09T22:23:00+01:002015-05-29T16:20:00+02:00RenaudCinémaAliénationErotismeGoogleHuis closIntelligence artificielleScience-fiction <p><img title="ex_machina_poster.jpg, fév. 2015" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="ex_machina_poster.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ex_machina/.ex_machina_poster_m.jpg" /></p>
<div id="centrage"><p><span style="font-size: 18pt;"> <ins><strong>Non, les androïdes ne rêvent plus de moutons électriques<br /></strong></ins></span></p>
</div>
<p><ins>Ex Machina</ins> correspond à l'idée que je me fais d'un film simple, malin, et (surtout) réussi. Les ingrédients sont élémentaires : une idée originale, en phase avec son époque et exploitée habilement du début à la fin, germant lentement au cœur d'une ambiance soignée et cohérente, agrémentée çà et là des petits grains de folie et d'audace qui rendent l'ensemble dynamique et enivrant. Si l'on découvre ce genre de films sans a priori, sans attente particulière, sans perturbation extérieure, il y a peu de chance d'être déçu. À moins, bien sûr, d'être réfractaire aux thématiques qui leur sont propres... Avis à la population : il sera ici question d'intelligence artificielle, traitée en douceur et en huis clos.</p>
<p>Aussi, plutôt que de témoigner cet enthousiasme dans une bafouille béate, essayons de le dissimuler derrière une forme d'expression légèrement différente : la citation. Le film d'<strong>Alex Garland</strong> n'est bien sûr pas totalement dépourvu de défauts, et le plus gênant est sans doute la thématique un brin poussive relative à la Genèse. Et ce, dès le sous-titre de l'affiche anglaise : « <em>To erase the line between man and machine is to obscure the line between men and gods </em>». Aux six jours qu'il fallu à dieu (ce fainéant) pour créer la Terre répondent les six jours que Nathan (<strong>Oscar Isaac</strong>) donne à Caleb (<strong>Domhnall Gleeson</strong>) pour tester l’intelligence (artificielle, donc) de sa dernière création : un robot humanoïde nommé Ava, auquel la charmante <strong>Alicia Vikander </strong>prête certains de ses traits — et certaines de ses formes. Ajoutons un troisième "6" (mouahaha) au tableau en analysant ce <ins>Ex Machina</ins> à travers le prisme de six films récents, six lumières différentes qui éclaireront, en les conditionnant, les raisons d'une appréciation.</p>
<p>Citons donc en six temps.</p>
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<p>1°) <ins>Blue Ruin</ins> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Blue-Ruin-de-Jeremy-Saulnier-2014">lien vers le billet</a>), <strong>Jeremy Saulnier</strong>, 2014 : la surprise d'un traitement rigoureux et une esthétique travaillée.<br />Comme <strong>Jeremy Saulnier</strong>, <strong>Alex Garland</strong> est scénariste du film qu'il met en scène. On retrouve dans ces deux longs métrages un certain savoir-faire dans cet exercice d'écriture : intelligibilité, simplicité, cohérence, immersion, et une trame narrative qui sait surprendre en se jouant des canons du genre. On retrouve également les préoccupations du réalisateur et directeur de la photographie de <ins>Blue Ruin</ins> : une esthétique léchée et des plans composés avec minutie, se traduisant dans le cas présent par le motif récurrent des configurations symétriques.</p>
<p>2°) <ins>Her</ins> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Her-de-Spike-Jonze-2014">lien vers le billet</a>), <strong>Spike Jonze</strong>, 2013 : un film à ambiance avec, en toile de fond, un des futurs possibles.<br />L'alternance de plans en intérieur, dans la résidence spacieuse de Nathan, et de plans fixes en extérieur, magnifiant la nature norvégienne, confère au film une atmosphère particulière. La froideur des uns et la vitalité des autres se renforcent mutuellement, créant ainsi un déséquilibre grandissant. L'air de rien, les deux films extrapolent des habitudes du présent dans un futur hypothétique pour mieux les railler. Au handicap social généralisé des accros à l'électronique dans <ins>Her</ins> répond ici la culture geek et branchée, avec ses hipsters à poil long et ses amateurs de sushis. La caricature se fait plus constructive quand le regard se porte sur la société dont Nathan est le PDG : « BlueBook » (inutile de faire un dessin). Et si on pouvait créer des robots sur mesure, demain, conçus à partir de la masse de données nous concernant et que Google et Facebook revendent à tour de bras ? Et si l'avenir de la pub personnalisée, élaborée à partir de notre navigation sur Internet, c'était le robot sexuel élaboré à partir de notre profil Youporn ?</p>
<p>3°) <ins>Imitation Game</ins> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/The-Imitation-Game-de-Morten-Tyldum-2014">lien vers le billet</a>), <strong>Morten Tyldum</strong>, 2014 : le test de Turing.<br />Là où <ins>Imitation Game</ins> ignore son sujet-titre dans une indifférence totale, <ins>Ex Machina</ins> remet au goût du jour un questionnement vieux de plus de 60 ans. Plus qu'une simple allusion, il s'agit en réalité d'un regard actualisé prenant en compte les avancées théoriques et technologiques. En résumé : on ne prend pas le spectateur pour un jambon. Il ne s'agit pas de donner un cours de traitement du signal sur l'inférence bayésienne, mais de traduire en termes cinématographiques les nouveaux enjeux qui y sont liés. Est-il aujourd'hui possible de faire littéralement oublier le fait qu'on dialogue avec une machine ? Les contours de la problématique sont un peu flous, et les références rapides aux théories déterministe et stochastique feront sourire les adeptes des chaînes de Markov. Mais peu importe : l'idée est de suggérer que d'autres méthodes, d'autres aspects peuvent aujourd'hui entrer en ligne de compte dans la détermination de l'intelligence d'une machine et de sa capacité à imiter un comportement humain (le parallèle avec l'automatisme d'un <strong>Jackson Pollock</strong> est à ce titre intéressant). Le tout, naturellement, sans Voigt-Kampff...</p>
<p>4°) <ins>Birdman</ins> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Birdman-d-Alejandro-Gonzalez-Inarritu-2015">lien vers le billet</a>), <strong>Alejandro González Inárritu</strong>, 2015 : comment délivrer son message.<br />Le travail de montage est considérable dans les deux cas. Mais dans <ins>Birdman</ins>, <strong>Inárritu </strong>a un message à faire passer et il utilise l'artillerie lourde de la technique pour assurer sa tache (je ne sais plus s'il faut un accent circonflexe ou pas). <strong>Alex Garland</strong> y préfère une direction radicalement différente : il prend le parti de la suggestion et de la modestie, la lourdeur du message se retrouvant uniquement dans la symbolique biblique un peu trop appuyée. La technique est toujours en filigrane, les effets spéciaux discrets mais efficaces ; tellement discrets qu'ils se font peu à peu oublier, jusqu'à ce qu'un bourdonnement électro-mécanique tout à fait opportun, occasionné par les mouvements d'Ava, ne nous rappelle leur présence.</p>
<p>5°) <ins>The Signal</ins>, <strong>William Eubank</strong>, 2014 : prétention et ambition.<br /><ins>Ex Machina</ins>, c'est l'antithèse de <ins>The Signal</ins>. Les connaisseurs gardent probablement en mémoire un film loin d'être inintéressant, non dénué de bonnes idées, mais dévoré par ses prétentions, astronomiques, alors que la médiocrité du scénario se retrouve conforté par un twist final ridicule. Ici, c'est tout l'inverse : l'intrigue se dessine lentement, et l'intérêt grandit à chaque pierre apportée à l'édifice, le tout dans une direction très claire et dans un but précis. Cela ne veut pas dire que les rebondissements sont proscrits, ils sont simplement sensés, logiques, constructifs, et circonscrits au cadre d'un récit bien défini.</p>
<p>6°) <ins>Under The Skin</ins>, <strong>Jonathan Glazer</strong>, 2013 : robotique érotique.<br />Enfin, à l'instar de son compatriote anglais <strong>Jonathan Glazer</strong>, <strong>Alex Garland</strong> exploite le potentiel érotique d'un corps non-humain. Là où <strong>Scarlett Johansson</strong> incarnait une extraterrestre au charme vénéneux, <strong>Alicia Vikander </strong>prend peu à peu conscience de ce potentiel et se l'approprie en cherchant à dissimuler ses attributs (de femme et de robot). Le désir de s'humaniser et de vivre la complexité des sensations humaines, sans les milliards de capteurs qui parcourent notre corps, est très bien retranscrit à l'écran. À l'inverse, Nathan s'amusera à devenir un robot le temps d'une danse et d'une chanson. Une scène courte mais collector, aux côtés de Kyoko, la version asiatique du robot (incarnée par <strong>Sonoya Mizuno</strong>), sur une musique funky à souhait d'Oliver Cheatham : <a title="https://www.youtube.com/watch?v=t2UZ7BGRkE4" href="https://www.youtube.com/watch?v=t2UZ7BGRkE4">https://www.youtube.com/watch?v=t2UZ7BGRkE4</a>.</p>
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<p>Le film se termine sur une note légèrement maladroite, moralisatrice, alimentant le message contenu dans son sous-titre. Mais il questionne adroitement, par la même occasion, les limites des consciences (humaine et artificielle) et leur interface, laissant ainsi se dessiner l'appréhension d'une aliénation et les prémices d'une émancipation.</p>
<div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ex_machina/.masque_m.jpg" alt="masque.jpg" title="masque.jpg, fév. 2015" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ex_machina/.test_m.jpg" alt="test.jpg" title="test.jpg, fév. 2015" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ex_machina/.cerveau_m.jpg" alt="cerveau.jpg" title="cerveau.jpg, fév. 2015" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ex_machina/.couloir_m.jpg" alt="couloir.jpg" title="couloir.jpg, fév. 2015" /></div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Ex-Machina-d-Alex-Garland-2015#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/272Les Stagiaires, de Shawn Levy (2013)urn:md5:519b5e9fa55bffcd553ecfc24e5e2a822014-12-08T17:25:00+01:002014-12-09T00:09:03+01:00RenaudCinémaEtats-UnisGooglePublicité <p><img title="stagiaires.jpg, déc. 2014" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="stagiaires.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/stagiaires/.stagiaires_m.jpg" /></p>
<p><ins>Les Stagiaires</ins>, donc, petite perle de 2013 qui brille non pas par ses qualités cinématographiques (scénario bateau, aspects « buddy movie » usés jusqu'à la corde, quota silicone respecté) mais par les questions qu'il soulève. En clair : où se termine le cinéma et où commence la publicité ? Une thématique qui ne devait pas figurer dans le cahier des charges (que Google n'a même pas eu besoin de signer) de <strong>Shawn Levy</strong>...</p>
<p>L'origine des fonds nécessaires à tout processus de création artistique est une problématique antédiluvienne. Comment se manifestent les aides financières et la redevabilité qui en découle en termes de contraintes techniques, éthiques ou morales ? Rien n'est moins opaque dans le cas général, et ces flux de capitaux sont aussi omniprésents que protéiformes. Ils peuvent tout d'abord apparaître de manière directe dans un film en faisant figurer le logo de la marque, en fonction de la législation en vigueur dans le pays de production : il peut s'agir d'une cible précise, directe ou indirecte (<ins>Taxi</ins> et ses voitures, la région Nord-Pas de Calais dans <ins>Bienvenue chez les ch'tis</ins> pour l'indirect, <ins>World War Z</ins> avec une gorgée de Pepsi, <ins>I, Robot</ins> et son quota « pompes et bagnoles » incroyable, ou encore Head & Shoulders dans <ins>Évolution</ins> pour des références plus frontales), ou bien d'un véritable défilé (<ins>Sex and the City : Le Film</ins> ou n'importe quel <ins>James Bond</ins> récent). On distingue plus difficilement les intérêts des différentes parties quand l'apport se fait en pré-production, dans l'élaboration du budget et des prévisions...</p>
<p>Une partie de cet argent est probablement un mal nécessaire : ma bonne dame, vous comprenez, « il faut prendre l'argent où il est », et je suis intimement persuadé, si ce n'est conscient, que de nombreuses œuvres sur différents supports ne pourraient pas voir le jour aujourd'hui sans ces capitaux. C'est une évidence. Il existe des moyens de financements alternatifs, mais c'est quelque chose que je comprends bien et que j'approuve bien sûr totalement. Mais quand l'autre partie, celle qui sert plus des intérêts particuliers que des finalités artistiques, prend le dessus, c'est une toute autre histoire. Et autant dire qu'à ce niveau là, <ins>Les Stagiaires</ins> est champion toute catégorie.</p>
<p>Car ce film, même s'il est loin de révolutionner le genre, même s'il fait preuve d'une certaine naïveté presque attendrissante, est loin d'être inoffensif.<strong> Shawn Levy </strong>(ou ses scénaristes, ses producteurs) n'est pas niais au point de dire de manière explicite et ostensible "Google, c'est mal !" ou "Google, c'est bien !". Le réalisateur fait preuve d'une certaine subtilité (si je puis dire) et montre ses deux protagonistes initialement un peu dubitatifs, réfractaires à cette boîte aseptisée. Il profitent des larges services que propose l'entreprise qui les emploie en tant que stagiaires, mais ils voient cela d'un œil sceptique et circonspect, presque amusé. Mais une fois qu'on a fait le tri dans les personnages, entre les vrais gentils et les faux méchants (au sens où l'entend le film), au-delà des stéréotypes éculés du genre qui jalonnent les deux heures, que reste-t-il ? Des employés de la sainte entreprise qui travaillent avec ardeur, fougue et passion pour délivrer leur message de bonheur du nouveau millénaire : « <em>Nous améliorons la vie des gens.</em> » Loin de moi l'idée de douter de la sincérité de leurs intentions, un sujet à mon sens tout aussi passionnant, mais une question aussi simple qu'essentielle se pose à moi : le cinéma est-il un média adapté pour ce genre de message ? Le contenu « film » n'est-il pas censé être ce qui se trouve entre les deux tranches bien grasses de publicité qui le recouvrent au cinéma ou à la télé ?</p>
<p>Il s'agit peut-être d'une obsession personnelle, pathologie que je ne démens pas tout à fait, mais que retient-on du film une fois évanouis 1°) les images de gonzesses peu vêtues et très avenantes lors de la virée nocturne, 2°) les bons sentiments (l'effort collectif, la tolérance, le dépassement de soi) étalés à la truelle, et 3°) la dose de cool savamment pesée ? Ce qui reste de tangible, c'est quand même ces conditions de travail extraordinaires (on est aux États-Unis...) et cette boîte dans laquelle il faudrait vraiment être con pour ne pas avoir envie d'y travailler, corps et âme. On nous invite presque à envoyer un CV à la filiale Google du coin pour unir nos compétences dans la joie et la bonne humeur. Super toutes ces fonctionnalités, Gmail, Chrome et tutti quanti, magnifiquement compilées dans le générique de fin grâce à... Google Creative Labs bien sûr !</p>
<p>Moi, à l'issue du film, j'étais dans un état comparable à celui que me procurent les discussions avec ces adorables témoins de Jéhovah. Le label « religion certifiée cool » en plus. Je souris poliment devant cette croyance tolérante (avez-vous remarqué comment les quotas sont scrupuleusement respectés ?) et j'invite ses sympathiques représentants à aller se faire foutre en toute courtoisie. Après tout, on sait exactement à quoi s'attendre quand on tombe sur un exemplaire de "La Tour de garde" et autres "Réveillez-vous !", très loin du bourrage de crâne insidieux que nous propose <ins>Les Stagiaires</ins>. Comme quoi, encore une fois, Google est meilleur que la concurrence, y compris en terme de recrutement de leurs représentants de commerce.</p>
<p><em><ins>N. B.</ins> : Merci à Cultural Mind et peterKmad pour leur motivation, directe et indirecte.</em></p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Stagiaires-de-Shawn-Levy-2013#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/265Le Monde diplomatique - Novembre 2011urn:md5:f20d129608c7e4d7a9e8079317bf54292011-11-25T19:23:00+01:002012-03-19T16:57:39+01:00RenaudPresseCrise économiqueEconomieEuropeFrançois RuffinGoogleLe Monde diplomatiqueLinguistiquePolitique <p><a title="diplo_201111.jpg" href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/PRESSE/diplo/diplo_201111/diplo_201111.jpg"><img title="Diplo, nov. 2011" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="diplo_201111.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/PRESSE/diplo/diplo_201111/.diplo_201111_m.jpg" /></a></p>
<p>Ce mois-ci, dans le Diplo : Google, ou l'extension du capitalisme à la linguistique ; et une enquête sur la Banque centrale européenne.</p>
<p><em>Nota Bene</em> : dans le cadre du dossier « Où est la gauche ? », <strong>Franck Poupeau</strong> aborde le thème de l'utopie et évoque le livre d'<strong>Isabelle Fremeaux</strong> et <strong>John Jordan</strong>, <ins>Les Sentiers de l'Utopie</ins> (<a href="https://www.je-mattarde.com/?post/Les-Sentiers-de-l-Utopie%2C-par-Isabelle-Fremeaux-et-John-Jordan-%282011%29">voir le billet à ce sujet</a>) dans un article intitulé <ins>Des gens formidables...</ins>. Une vision singulière, assez critique, sur l'aspect « soluble dans le capitalisme » de ces utopies.</p>
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<div id="centrage"><span style="font-size:15pt"><ins>Quand les mots valent de l'or</ins></span><br /> Vers le capitalisme linguistique<br /><strong>Frédéric Kaplan</strong></div>
<p>Tout le monde connaît Google, le célèbre moteur de recherche dont l'hégémonie <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Monde-diplomatique-Novembre-2011#ecogine">(2)</a> est aujourd'hui avérée ; moins nombreux en revanche sont ceux qui connaissent les raisons d'une telle notoriété. Elle repose en grande partie sur deux algorithmes : le premier, permettant de trouver les pages recherchées par les internautes de manière efficace, l'a rendu incroyablement populaire. Le second, affectant une valeur marchande à ces requêtes, l'a rendu démesurément riche.</p>
Google fut développé par deux étudiants en thèse à l'université de Stanford (Californie), Larry Page et Sergey Brin à la fin des années 1990. Il propose alors une nouvelle définition de la pertinence d'une recherche, en s'inspirant des méthodes utilisées pour la valorisation des publications scientifiques : elle se base non plus sur le nombre d'occurrences d'un mot dans une page mais plutôt sur le nombre de liens hypertextes pointant vers cette page. En outre, à chaque fois qu'un utilisateur effectue une recherche, il se voit proposer une série de liens commerciaux liés à sa requête qui viennent se greffer aux résultats escomptés. Les entreprises à l'origine de ces publicités <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Monde-diplomatique-Novembre-2011#adblock">(3)</a> choisissent elles-mêmes les mots-clés auxquels elle souhaitent être associées, et paient l'« annonceur » chaque fois qu'une personne clique sur un de ces liens. Puis, pour déterminer <em>in fine</em> quelles publicités afficher parmi tous les candidats, il fait appel à un algorithme en trois étapes.
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<li>La première consiste à fixer le montant de l'<em>enchère</em>, c'est à dire le prix maximum qu'une entreprise est prête à payer, sans pour autant avoir la garantie que la publicité associée à l'enchère la plus élevée figurera dans la première page de la recherche, comme on va le voir par la suite.</li>
<li>La seconde associe à chaque publicité un <em>score </em>(dont le calcul est tenu secret) en fonction de sa pertinence vis-à-vis de la requête utilisateur.</li>
<li>Enfin, la dernière étape calcule le <em>rang</em> — actualisé des millions de fois par seconde — comme la multiplication de l'<em>enchère</em> par le <em>score</em> d'une publicité donnée, de sorte que ces deux paramètres entrent en balance et permettent par exemple à une publicité dotée d'une faible enchère mais plutôt pertinente de figurer parmi les premiers résultats.</li>
</ol>
<p>Ce procédé s'avère particulièrement lucratif puisqu'il a permis à la firme d'engranger 9,72 milliards de dollars pour le troisième trimestre 2011, un bénéfice en hausse de plus de 30% par rapport<img title="Google (is watching you)" style="float: right; margin: 0.8em 0 0 1em;" alt="google_bigbrother.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/public/RENAUD/PRESSE/diplo/diplo_201111/.google_bigbrother_s.jpg" /> à 2010. D'un côté, on peut y voir une fabuleuse base de données statistiques qui fournit des indications sur l'évolution sémantique d'une langue : on suit par exemple les fluctuations du marché avec la variation des saisons (les mots-clés « bikini » et « crème solaire » ont plus de valeur en été, contre « ski » et « vêtements de montagne » en hiver), et on peut observer la concurrence féroce autour des mots-clés comme « amour » et « sexe ». C'est aussi un modèle linguistique très performant, en constante actualisation, qui prend de vitesse nos bons vieux académiciens. Mais d'un autre côté, force est de constater que cela constitue une énième extension (tentacule ?) d'un capitalisme protéiforme, s'attaquant cette fois-ci au domaine de la langue, où chaque mot est vu comme une marchandise. Quand Google propose une correction orthographique, il ne fait pas que nous rendre service en corrigeant une faute : il transforme un matériau sans grande valeur en une ressource économique directement rentable. Quand il prolonge le début d'une phrase, il ne se contente pas de nous faire gagner du temps : il nous fait emprunter un chemin statistique tracé par les autres internautes pour nous amener dans un domaine dont il saura pleinement tirer profit. À ce titre, Google participe à une forme de régularisation de la linguistique, et sans évoquer la théorie du complot, il est légitime de se demander non pas quand, mais dans quelle mesure va-t-il contribuer à la transformer.</p>
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<div id="centrage"><span style="font-size:15pt"><ins>Enquête dans le temple de l'euro</ins></span><br /> La Banque centrale, actrice et arbitre de la débâcle financière<br /><strong>Antoine Dumini </strong>et <strong>François Ruffin</strong></div>
<p>En septembre 2011, les deux journalistes se sont rendus à Francfort, dans les locaux de la Banque centrale européenne (BCE), pour interviewer le président de l'époque, Jean-Claude Trichet <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Monde-diplomatique-Novembre-2011#trichet">(1)</a>. Comme tous les dirigeants de la BCE, il déroule le programme du Fonds monétaire international, et préconise à tout-va l'application méthodique de « plans d'ajustement structurel ». Un terme récurrent de la novlangue néolibérale qui se précise :</p>
<blockquote><p>« Nous devons aller vers l'élimination des clauses d'indexation automatique des salaires et un renforcement des accords entreprise par entreprise, de manière à ce que les salaires et les conditions de travail puissent s'adapter aux besoins spécifiques des entreprises. Ces mesures doivent s'accompagner de réformes structurelles, en particuliers dans les services, et, quand c'est approprié, de la privatisation de services aujourd'hui fournis par le secteur public, de manière à faciliter les gains de productivité et à soutenir la compétitivité. »</p>
<p>Jean-Claude Trichet, discours du jeudi 8 septembre 2011.</p>
</blockquote>
<p>Pourtant, on ne peut pas vraiment parler d'ordres ou de « diktats » émanant de la BCE, pas plus que de simples conseils ou messages comme le prétendent ses dirigeants. Depuis la crise, il s'agit plutôt de conditions via lesquelles le prêteur exerce une forte pression sur l'emprunteur pour être sûr qu'il applique les réformes considérées comme bonnes et nécessaires. Au final, cette crise aura été une incroyable opportunité pour la BCE...<br />
<img title="Jean-Claude Trichet" style="float: left; margin: 0.2em 1em 0.2em 0;" alt="trichet.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/PRESSE/diplo/diplo_201111/.trichet_s.jpg" />Mais M. Trichet est-il un acteur politique ? Bien qu'il s'en défende (il considère son institution comme apolitique), tout porte à croire que les mesures qu'il préconise forment un véritable programme de gouvernement ultra-libéral : « Augmenter les salaires en Europe serait la dernière bêtise à faire » disait-il en février, alors que les dividendes étaient en hausse de 13% pour atteindre les 40 milliards d'euros à la même époque ; il était également un fervent défenseur du contrat première embauche (CPE) de 2006, en tant que chantre de la « souplesse sur le marché du travail », tout en n'estimant pas souhaitable une taxe sur les transactions financières, etc. La liste est longue ! Rappelons tout de même que M. Trichet était conseiller de Valéry Giscard d'Estaing en 1978, avant d'être nommé par Édouard Balladur comme directeur du cabinet du ministère de l'économie et des privatisations. Aussi, ce n'est que pure coïncidence si le nouveau président de la BCE, Mario Draghi, exerçait comme vice-président de la branche européenne de Goldman Sachs, chargé notamment des dettes souveraines au moment où la banque d'affaires maquillait les comptes de la Grèce... Qui oserait parler de conflit d'intérêt ?</p>
<blockquote><p>« Ni la BCE, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peut solliciter ni accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements, des États membres ou de tout autre organisme. »</p>
<p>Article 107 du traité de Maastricht.
</p>
</blockquote>
<hr><p><em>À écouter : <ins>Là-bas si j'y suis</ins>, l'émission quasi-quotidienne de <strong>Daniel Mermet</strong> sur France Inter, consacrée au Diplo une fois par mois. Celle de novembre est accessible sur <a title="http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2305" hreflang="fr" href="http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2307">http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2307</a></em>.</p>
<span style="font-size: 9pt;">
<br /> <a name="trichet">(1)</a> En complément, cinq émissions de <ins>Là-bas si j'y suis</ins> sur le thème « Francfort, capitale du capital », diffusées du 3 au 7 octobre 2011 : <a href="http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2262" hreflang="fr" title="http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2262">émission n°1/5</a>,<a hreflang="fr" href="http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2263">émission n°2/5</a>, <a hreflang="fr" href="http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2264">émission n°3/5</a>, <a hreflang="fr" href="http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2265">émission n°4/5</a> et <a hreflang="fr" href="http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2266">émission n°5/5</a>.
<br /> <a name="ecogine">(2)</a> Connaissez-vous <a href="http://www.ecogine.org/" hreflang="fr" title="http://www.ecogine.org/">Ecogine</a> ?
et <a title="http://www.addictomatic.com" href="http://www.addictomatic.com">Addictomatic</a> ? et <a title="http://www.exalead.fr" hreflang="fr" href="http://www.exalead.fr">Exalead</a> ? et <a title="http://search.wikia.com" hreflang="fr" href="http://search.wikia.com">Wikia</a> ? et <a title="http://www.veosearch.com" hreflang="fr" href="http://www.veosearch.com">Veosearch</a> ? et <a title="http://www.blackle.com" hreflang="fr" href="http://www.blackle.com">Blackel</a> ? Une petite vidéo résume tout ça <a title="http://www.telerama.fr/techno/visite-cliquee-6-decouvrons-les-moteurs-de-recherche-dont-le-nom-ne-commence-pas-par-g,38697.php" hreflang="fr" href="http://www.telerama.fr/techno/visite-cliquee-6-decouvrons-les-moteurs-de-recherche-dont-le-nom-ne-commence-pas-par-g,38697.php">ici</a>. Et <a title="http://blekko.com/" hreflang="fr" href="http://blekko.com/">Blekko</a> ?<br /> <a name="ecogine">(3)</a> Connaissez-vous <a hreflang="fr" href="https://addons.mozilla.org/fr/firefox/addon/adblock-plus/">Adblock</a> ?
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