Je m'attarde - Mot-clé - Grève le temps d'un souffle<br />2024-03-29T14:52:11+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearLa Bataille du Chili (La batalla de Chile: La lucha de un pueblo sin armas), de Patricio Guzmán (1975, 1976, 1979)urn:md5:088bc7fdb0e7ec7985fd2af5cf33de222023-10-16T09:44:00+02:002023-10-16T08:45:54+02:00RenaudCinémaAugusto PinochetBourgeoisieCampagne électoraleChiliChris MarkerCoup d étatDocumentaireEtats-UnisGrèveMilitaireOuvrierPatricio GuzmánPolitiqueSalvador AllendeTémoignageViolence <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bataille_du_chili/bataille_du_chili.jpg" title="bataille_du_chili.jpg, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bataille_du_chili/.bataille_du_chili_m.jpg" alt="bataille_du_chili.jpg, oct. 2023" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Chroniques d'un coup d'état</strong></ins></span></div>
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<span style="font-size: 18pt;"><strong>1ère partie : L'Insurrection de la bourgeoisie</strong></span>
<p>Lorsqu'il enregistre les images et les sons de <ins>La Bataille du Chili</ins>, <strong>Patricio Guzmán </strong>réalise un documentaire en se trouvant exactement au bon endroit au bon moment, au détour d'une charnière historique dont il ne pouvait mesurer pleinement l'ampleur à l'époque du tournage, et qui aujourd'hui revêt une signification, une intensité et une émotion toutes incroyables. C'est sans doute un triptyque à ranger aux côtés du film de <strong>Abbas Fahdel </strong>en deux parties, <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Homeland-Irak-annee-zero-de-Abbas-Fahdel-2016">Homeland : Irak année zéro</a></ins>, sur la chute de Saddam Hussein et l’invasion américaine de 2003. <strong>Guzmán </strong>sillonnait la capitale chilienne quelques mois avant le coup d'état militaire du 11 septembre 1973, et les images de rue autant que les témoignages glanés auprès des différentes parties ont une valeur littéralement inestimable.</p>
<p>C'est donc une chronique des tensions politiques naissantes au tout début de l'année 1973, alors qu'à la surprise générale le gouvernement de <strong>Salvador Allende </strong>(à qui il consacrera un documentaire en 2004 portant son nom) est démocratiquement élu. Ce sont les prémices de la contre-révolution, qui trouveront pour point d'orgue le renversement d'<strong>Allende </strong>par un putsch militaire activement soutenu par les États-Unis et l'installation au pouvoir d'une dictature dirigée par <strong>Augusto Pinochet </strong>qui durera près de 17 ans jusqu'en 1990.</p>
<p>Pendant tout le docu, on a l'impression de parcourir les coulisses (bien réelles) du film (de fiction) de <strong>Costa-Gavras</strong>, <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Missing-porte-disparu-de-Costa-Gavras-1982">Missing - Porté disparu</a></ins>, qui s'intéressait précisément à la disparition d'un écrivain américain dans le tumulte des événements autour de Santiago. <strong>Guzmán </strong>capte dans un premier temps l'effervescence de la campagne électorale, en parcourant les foules et les sympathisants de tous bords et en recueillant sur le vif des réactions diverses, des bourgeois et d'ouvriers. Progressivement la dynamique des rapports de force prend une tournure surprenante, pour peu que l'on fasse abstraction historiquement de ce que l'on sait qui va advenir, puisque l'opposition au gouvernement <strong>Allende </strong>élu de manière inattendue se structure autour d'une réponse de plus en plus violente. C'est donc par hasard que la caméra enregistre de l'intérieur la structuration d'une stratégie d'affaiblissement du gouvernement, pas à pas, jusqu'à l'asphyxie économique.</p>
<p>Au travers d'une série de reportages de rue, de rassemblements politiques, de confrontations violentes, on réalise à quel point <strong>Guzmán </strong>a eu de la chance (ou du flair) de réunir autant d'images de ces mouvements sociaux, comme notamment la grève des mines de cuivre ou nombre d'autres perturbations financées par l'administration Nixon. Et cette première partie, sous-titrée "L'Insurrection de la bourgeoisie", de se terminer sur une image aussi choquante que bouleversante, l'assassinat du caméraman argentin et suédois <strong>Leonardo Henrichsen </strong>par un soldat participant au coup d'état.</p>
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<span style="font-size: 18pt;"><strong>2ème partie : Le Coup d'État militaire</strong></span>
<p>Le deuxième volet de <ins>La Bataille du Chili</ins>, bien qu'il soit sorti un an plus tard (pour des raisons qu'on imagine liées à des contraintes de production d'un tel film dans de telles conditions, les pellicules provenant par exemple de France, cadeau de <strong>Chris Marker</strong>) reprend le cours des événements exactement là où le premier s'était arrêté, et laisse de côté la captation de l'ambiance des rues pour tracer la trajectoire qui mènera au coup d'état du 11 septembre 1973. En partant de la première tentative de renversement du pouvoir par le groupe paramilitaire fasciste Patrie et Liberté en juin 1973, repoussée par les troupes restées loyales au gouvernement, le film épouse l'intensification des conflits entre les différents camps et témoigne très bien du caractère exceptionnel de la situation à laquelle doit faire face <strong>Allende</strong>. Face à lui, entre autres, des mouvements de résistance soutenus et financés par le gouvernement américain — à l'image de cette impressionnante grève des transporteurs routiers financée par la CIA qui paralysera le pays via la distribution de nourriture et de carburant.</p>
<p><strong>Patricio Guzmán </strong>montre bien le basculement stratégique de l'opposition, qui après l'échec de la tentative de destitution d'<strong>Allende</strong>, adopte un comportement beaucoup plus violent à mesure qu'une partie de l'armée pose le terrain pour le coup d'état à venir. Au travers des témoignages nombreux, on ressent un climat hautement singulier, avec d'un côté des divisions profondes à gauche quant à la position à adopter face aux menaces, et de l'autre une intervention militaire en préparation que tout le monde pressent : tout le monde en parle. La guerre civile n'est pas bien loin en milieu d'année 1973, jusqu'à l'assassinat par l'extrême droite de l'aide de camp naval d'<strong>Allende</strong>, Arturo Araya Peeters. Parmi les officiers du camp loyaliste, lors de son enterrement, on remarque un certain Augusto Pinochet.</p>
<p>Ce volet se termine lui aussi sur des images d'une rare intensité, avec le bombardement du palais de la Moneda par des avions de chasse, avec en fond sonore les derniers messages radios d'<strong>Allende </strong>adressés au peuple chilien. Les dirigeants de la junte s'afficheront ensuite à la télévision, annonçant "le retour à l'ordre du pays" et la fin "du cancer marxiste qui aura duré trois ans".</p>
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<span style="font-size: 18pt;"><strong>3ème partie : Le Pouvoir populaire</strong></span>
<p>Pour clore son triptyque réalisé au cœur de la tourmente, <strong>Patricio Guzmán </strong>revient quelques années en arrière, autour de 1972 (le troisième volet sortira plus tardivement, en 1979) pour s'intéresser à la structuration du travail, chez les ouvriers et les paysans, qui a conduit à la formation de milliers de groupes locaux — le "Pouvoir populaire" du sous-titre — dont la mission consistait essentiellement à distribuer de la nourriture et empêcher le sabotage d'usines en ces temps de crise profonde. C'est à mes yeux le segment le moins percutant des trois, glissant du militantisme visible à la propagande un peu trop appuyée sans que la narration et la mise en scène ne s'accompagnent, par exemple, d'un lyrisme communicatif à la <strong>Eisenstein </strong>ou <strong>Kalatozov</strong>.</p>
<p>Le docu est concentré en quelque sorte sur la réponse des ouvriers au contenu du premier volet, "L'Insurrection de la bourgeoisie", et leur stratégie d'occupation des lieux de travail ainsi que d'autogestion en gestation au travers de la formation de "cordones industriales". En tant que témoignage de cette époque de l'histoire chilienne, le contenu reste éminemment intéressant, mais on se situe tout de même un gros cran en-dessous des deux premiers volets en matière de puissance documentaire. Dans cet épisode, le gouvernement <strong>Allende </strong>ne sera quasiment pas cité, le ton change assez radicalement pour mettre l'accent sur les vertus des expérimentations politiques locales. Instructif, mais peu passionnant.</p>
<div id="centrage">
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bataille_du_chili/img7.png" title="img7.png, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bataille_du_chili/.img7_m.png" alt="img7.png, oct. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bataille_du_chili/img8.png" title="img8.png, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bataille_du_chili/.img8_m.png" alt="img8.png, oct. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bataille_du_chili/img9.png" title="img9.png, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bataille_du_chili/.img9_m.png" alt="img9.png, oct. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bataille_du_chili/img10.png" title="img10.png, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bataille_du_chili/.img10_m.png" alt="img10.png, oct. 2023" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Bataille-du-Chili-de-Patricio-Guzman-1975-1976-1979#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1256Avec la permission de Gandhi, par Abir Mukherjee (2022)urn:md5:a423375194c9d9acc6a66db45ae063c42023-03-07T10:13:00+00:002023-03-07T12:20:18+00:00GillesLecture1920sCalcuttaGandhiGrèveIndePolar <img src="https://www.je-mattarde.com/public/GILLES/LIVRES/.Avec-la-permission-de-Gandhi-Abir-Mukherjee_m.jpg" alt="" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<p>Une série policière me sort de la léthargie, il faut dire que le plaisir de lecture est grand. Le contexte historique pour l'Inde dans les années 1920 est un choix assurément passionnant pour ces intrigues policières, cette époque où le Raj britannique se délite. Le troisième roman - <ins>avec la permission de Gandhi</ins> - en est peut-être le plus emblématique. L'éclairage historique et l'humour subversif d'<strong>Abir Mukherjee</strong> colorent d'une certaine gaieté ces périodes de colonialisme où les divisions culturelles, religieuses et politiques sont exacerbées. </p>
<blockquote><p>Calcutta est une ville divisée de plusieurs façons. Au nord il y a Black Town, habitée par la population indigène ; au sud, White Town pour les Britanniques, et entre les deux une zone grise et informe peuplée de Chinois, Arméniens, Juifs, Parsis, Anglo-Indiens et tous les autres qui ne sont pas intégrés. Il n'y a pas de loi qui cloisonne la ville, pas de barrières ni de murs ; la ségrégation est un phénomène naturel qui a évolué sans que personne n'y prête attention. Il y a des bizarreries, naturellement, un Anglo-Indien à Alipore ou deux Anglais à Bow Bazar, mais dans l'ensemble la règle se maintient.</p>
</blockquote>
<p>Les enquêtes du capitaine Sam Wyndham et son acolyte indien le sergent
Satyendra Banerjee sont palpitantes. Comme toute bonne série policière traditionnelle, l'enquêteur Sam Wyndham est un spécimen de choix du genre humain, ancien combattant de la première guerre mondiale et ancien inspecteur de Scotland Yard, il débarque à Calcutta pour intégrer la police impériale. Son addiction à l'opium - thérapie à ses affres et à ses cauchemars - lui vaut quelques déboires et mauvais détours. Sam à propos de Banerjee son aide de camp : </p>
<blockquote><p>Partager un appartement avec un subordonné, un indigène de surcroît, n’est pas précisément une pratique courante dans la police impériale, et ma décision de le faire a été accueillie avec stupéfaction par les uns et consternation par les autres, mais cela ne m’a pas dissuadé. En fait, j’aime bien l’idée que mes actes soient vus avec horreur par certains.</p>
</blockquote>
<p>Le suspens ne manque pas dans ces trois premiers volets. Les arcanes, les bas-fonds et les forces corruptrices de Calcutta sont le ressort de <ins>l'attaque du Calcutta-Darjeeling</ins> (2019). L'Inde comme terre spirituelle et superstitieuse est davantage au cœur <ins>des princes de Sambalpur</ins> (2020) qui lorgne parfois du côté du roman d'aventures dans un petit royaume de l'Orissa. Retour ensuite dans une Calcutta en ébullition <ins>avec la permission de Gandhi</ins> (2022), <strong>Abir Mukherjee</strong> positionne l'intrigue dans le théâtre de la mobilisation indépendantiste. Le Mahatma Gandhi et ses Volontaires font le coup de force de transformer le nationalisme en religion pour parvenir à rallier les foules.</p>
<blockquote><p>[...] Un mouvement national de masse conduit par un saint dont la stratégie consiste à vous sourire avant d’ordonner à ses disciples de s’asseoir, bloquer les rues et faire semblant de prier.</p>
</blockquote>
<p>Le quatrième volet - <ins>le soleil rouge de l'Assam</ins> (2023) - m'attend à ma bibiliothèque favorite et je mise que l'humour, l'intelligence et le suspens seront toujours au rendez-vous.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/GILLES/LIVRES/L-Attaque-du_Calcutta-Darjeeling-Abir-Mukherjee.jpg" title="le-soleil-rouge-de-l-Assam-Abir-Mukherjee.jpg">
<img style="margin: 0 auto;" src="https://www.je-mattarde.com/public/GILLES/LIVRES/.L-Attaque-du_Calcutta-Darjeeling-Abir-Mukherjee_s.jpg" alt="" />
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/GILLES/LIVRES/Les-Princes-de-Sambalpur-Abir-Mukherjee.jpeg" title="le-soleil-rouge-de-l-Assam-Abir-Mukherjee.jpeg">
<img style="margin: 0 auto;" src="https://www.je-mattarde.com/public/GILLES/LIVRES/.Les-Princes-de-Sambalpur-Abir-Mukherjee_s.jpg" alt="" />
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/GILLES/LIVRES/Avec-la-permission-de-Gandhi-Abir-Mukherjee.jpg" title="le-soleil-rouge-de-l-Assam-Abir-Mukherjee.jpg">
<img style="margin: 0 auto;" src="https://www.je-mattarde.com/public/GILLES/LIVRES/.Avec-la-permission-de-Gandhi-Abir-Mukherjee_s.jpg" alt="" />
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/GILLES/LIVRES/le-soleil-rouge-de-l-Assam-Abir-Mukherjee.jpg" title="le-soleil-rouge-de-l-Assam-Abir-Mukherjee.jpg">
<img style="margin: 0 auto;" src="https://www.je-mattarde.com/public/GILLES/LIVRES/.le-soleil-rouge-de-l-Assam-Abir-Mukherjee_s.jpg" alt="" />
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</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Avec-la-permission-de-Gandhi-Abir-Mukherjee-2022#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1140Norma Rae, de Martin Ritt (1979)urn:md5:f77514928a8a003fbbbfc1e124a5bece2021-05-17T10:30:00+02:002021-05-17T10:30:00+02:00RenaudCinémaFemmeGrèveMartin RittNouvel HollywoodOuvrierSally FieldSyndicatTravail <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/norma_rae/.norma_rae_m.jpg" alt="norma_rae.jpg, avr. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Femme de combats<br /></strong></ins></span></div>
<p>La filmographie de <strong>Martin Ritt </strong>est décidément un très bon filon à suivre, comme le montre cet excellent film américain (la précision est importante, étant donné le thème) sur la classe ouvrière, réalisé en fin de carrière, à la fin de la période du Nouvel Hollywood. Un an après le jalon <ins>Blue Collar</ins> posé par <strong>Paul Schrader </strong>et focalisé sur les ouvriers d'une usine de voitures de Detroit, un an également après <ins>FIST</ins> de <strong>Norman Jewison</strong> qui mettait en scène <strong>Sylvester Stallone </strong>dans le rôle d'un manutentionnaire de Cleveland à l'origine d'un mouvement syndical, c'est au tour de l'histoire de la syndicaliste <strong>Crystal Lee Sutton</strong> d'être transcrite à l'écran, sous les traits de l'incroyable et émouvante <strong>Sally Field</strong>, pour raconter le combat de cette ouvrière de l'industrie du textile en Caroline du Nord aux côtés d'un syndicaliste new-yorkais venu dans le coin pour impulser, non sans résistance, le mouvement. Un trio remarquable du cinéma américain qui tient sur moins de deux ans, à la fin des années 70.</p>
<p>La description de la condition de la femme dans <ins>Norma Rae</ins> passerait presque avant tout le reste : c'est une femme divorcée, mère de deux enfants, une ouvrière du textile dans une usine qui a vu passer ses parents, probablement ses grands-parents, et qui emploiera sans doute ses enfants. Une industrie dans une petite ville du Sud des États-Unis dont la main d'œuvre est majoritairement féminine, faisant du combat de Norma Rae quelque chose qui progressera de l'individuel au collectif. Tout sauf une exception, en somme. Assez vite dans le film, les conditions de vie de la protagoniste apparaissent comme très difficiles, partagées entre sa vie professionnelle, syndicale, familiale, sentimentale. Elle jongle entre tous les registres et pèse sur tous les tableaux : comme elle est grande gueule, elle ne se laisse pas facilement marcher sur les pieds.</p>
<p>On peut regretter certaines facilités d'écriture, au sens où la progression de l'adhésion syndicale se fait un peu trop facilement en regard du caractère effarouché de Norma Rae. Mais en un sens la dimension vraisemblable (ou non) de cette partie-là importe peu car ce n'est pas vraiment l'objet du film, davantage tourné vers la construction d'un désir, qu'il soit sentimental ou politique. Le contexte social est bien ancré, du côté de la famille comme du côté des relations hiérarchiques au travail — avec tous ses rapports de subordination. <strong>Ritt </strong>évite toute condescendance, tout manichéisme, il garde à bonne distance les archétypes du genre pour établir des portraits contrastés tout en nuances. Il n'y a pas de héros ici, et l'ouvrière militante tout comme l'intellectuel juif sont dépeint avec toutes leurs faiblesses.</p>
<p>Le travail sur le son est particulièrement notable, aussi, avec le bruit assourdissant qui émane des machines dans l'atelier de tissage : un aperçu des conditions de travail imposées aux ouvriers, mais aussi l'occasion d'une très belle scène (tirée d'un épisode bien réel) lorsque ces mêmes machines seront arrêtées une à une. Un film sur la naissance du syndicalisme dans un petit coin de campagne, en parallèle d'une prise de conscience presque malgré elle chez Norma Rae, avec toute la lenteur du phénomène, tous les obstacles qui se dressent sur son chemin. Dans ces moments-là, particulièrement sobres, <strong>Martin Ritt </strong>lorgne presque du côté du documentaire : il filme les gestes du travail, les temps de pause, les espaces entre ateliers et bureaux des supérieurs, la devanture de l'usine. Pas de morale, pas de mièvrerie, pas même de sentimentalisme entre les deux protagonistes : seulement une très belle histoire d'amitié entre deux êtres qui correspondaient à l'origine à deux archétypes relativement opposés.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/norma_rae/.medecin_m.jpg" alt="medecin.jpg, avr. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/norma_rae/.usine_m.jpg" alt="usine.jpg, avr. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/norma_rae/.livre_m.jpg" alt="livre.jpg, avr. 2021" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Norma-Rae-de-Martin-Ritt-1979#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/953Le Seigneur des porcheries, de Tristan Egolf (1998)urn:md5:85fcd11219d73d7d71cff32ae1a7f71f2019-02-01T17:54:00+01:002019-02-01T17:54:00+01:00RenaudLectureEtats-UnisGrèveIncendiePauvretéViolence <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/seigneur_des_porcheries/.seigneur_des_porcheries_m.jpg" alt="seigneur_des_porcheries.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="seigneur_des_porcheries.jpg, janv. 2019" /><div id="centrage">
<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Les raisons de la colère<br /></strong></ins></span>
</div>
<p>La comparaison du style de <strong>Tristan Egolf </strong>avec celui de <strong>Steinbeck </strong>ou de <strong>Faulkner</strong> pourrait paraître présomptueuse a priori, mais une fois refermée l'histoire du périple de John Kaltenbrunner dans <ins>Le Seigneur des porcheries</ins>, elle se révèle relativement fondée. Comme une réactualisation du regard concentré sur la description des classes populaires américaines, avec toutefois ici une composante acerbe, virulente et vindicative que je n'avais jamais ressentie comme telle chez les deux autres auteurs. En suivant le parcours du fils Kaltenbrunner, <strong>Egolf </strong>dessine un portrait complexe, diversifié, et très peu porté sur le compromis, celui du protagoniste et de son incroyable mauvaise chance qui conduira à plusieurs reprises à des explosions de rage particulièrement violentes (et jouissives, du point de vue de la lecture), mais aussi le portrait de cette ville de Baker, petite bourgade désenchantée perdue au milieu de la Corn Belt.</p>
<p>Du point de vue du style, si on peut instantanément et naturellement apprécier la qualité de la description des lieux et des situations (que ce soit l'incendie de la maison d'individus qui voulaient du mal à sa mère, le conflit qui l'opposa aux harpies de l'église méthodiste, ou bien sûr ce final complètement dingue où un match de basket s'est peu à peu transformé en apocalypse générale), quelques effets de style répétitifs peuvent légèrement déranger, comme par exemple cette façon d'annoncer la colère à venir dans un sens du teasing un peu forcé, avec en substance des annonces du type "mais on n'avait jamais vu ce qui s'apprêtait à arriver". Des effets de manche qui virent presque au systématique et qui deviennent un peu désagréables quand on a eu la malchance de se focaliser dessus. Mais rien de fondamentalement préjudiciable, ceci dit, au regard de la qualité du contenu.</p>
<p>Le plus beau passage, au sens propre, c'est sans doute lorsque John rencontrera le groupe travaillant dans l'entreprise de nettoyage des ordures de Baker, souvent décrits comme des rebuts de la société. C'est là que le sous-titre anglais trouve tout son sens : "tuer le veau gras et armer les justes". La grève dans laquelle s'engagera le noyau dur réuni autour de John est un moment magnifique, dans l'impact qu'elle aura sur la communauté, et assez horrible dans les conséquences à court et long termes. Le final conjuguera tous les vices de cette ville très conservatrice perdue au fin fond des États-Unis, pétrie de racisme, d'homophobie, de bigoterie, d'alcoolisme, et bien sûr de violence. L'histoire d'une vengeance et surtout d'une colère, celle de l'ennemi public n°1 malgré lui en quelque sorte, exclu parmi les exclus au sein d'une société cruelle, en dépit de son intelligence et de sa bonne volonté.</p>
<p>Difficile de ne pas être profondément ému par un tel récit, au terme du voyage, à la fin du cataclysme.</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Seigneur-des-porcheries-de-Tristan-Egolf-1998#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/611