Je m'attarde - Mot-clé - Histoire le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearTranchecaille, de Patrick Pécherot (2008)urn:md5:9a8187f511c803b3fb4dd47bfc55af892024-02-04T09:51:00+00:002024-02-04T19:52:49+00:00GillesLectureHistoireMarraines de guerreMutineriePermissionsPoilusPolarPremière Guerre mondialeShell ShockTranchées <p><img class="media-center" src="https://www.je-mattarde.com/public/GILLES/LIVRES/.Tranchecaille-pecherot-2008_m.jpg" alt="" /></p>
<p>Comment ne pas abonder dans le sens d’<a href="http://www.culture-sf.com/Tranchecaille-Patrick-Pecherot-cf-756" title="Critique de Tranchecaille par Olivier Csf">Olivier</a> qui m’a donné envie de lire ce roman de <strong>Patrick Pécherot</strong>. <ins>Tranchecaille</ins> coche toutes les cases du roman qui importe. Présumé coupable de l’assassinat de son lieutenant sur le front, le soldat Jonas s'apprête à être jugé par un conseil de guerre. Le verdict de son procès ne fait pas mystère, il est connu dès les premières pages. Les témoignages de Jonas seront confrontés aux dépositions de ses camarades poilus dans un style qui emprunte à l’argot des tranchées. Jonas émeut. L’ambivalence du personnage, au surnom de Tranchecaille qui lui vient d’une plaisanterie sur son uniforme trop large (écho à l’affaire du <a href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Lucien_Bersot#:~:text=Grelottant%20de%20froid%20dans%20les,mort%2C%20ce%20que%20Bersot%20refusa.">pantalon</a>), est désarmante. Jonas plaidera son innocence même quand les preuves et les circonstances l’accableront. Jonas semble singer l’absurdité militaire dans l’ombre de ses déclarations qui relatent son itinéraire scabreux. Soupçonnant son pouvoir de double jeu, le lecteur est plongé dans le doute et il faut bien la sagacité de ses attentifs enquêteurs - le capitaine Duparc et son greffier, le caporal Bohman - pour le défendre. Ce polar à la langue imagée dépasse largement le cadre de la fiction et réussit son travail de mémoire en posant son intrigue sur le Chemin des Dames, aux prémisses des mutineries qui suivirent l’hécatombe de la bataille de l’Aisne (110 000 morts et blessés) comme sur la Somme et à Verdun. </p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Tranchecaille-Patrick-Pecherot-2008#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1349Winter Break (The Holdovers), de Alexander Payne (2023)urn:md5:1b109820f1ec79ab26a43d8262925eaa2023-12-19T11:41:00+01:002023-12-19T11:41:00+01:00RenaudCinémaAlexander PayneDeuilDépressionEnseignementHistoireNoëlPaul GiamattiSolitudeVacances <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/winter_break/winter_break.jpg" title="winter_break.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/winter_break/.winter_break_m.jpg" alt="winter_break.jpg, déc. 2023" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"Life is like a henhouse ladder. Short and shitty."</strong></ins></span>
</div>
<p>Le programme est un peu trop évident dans son sillon de comédie dramatique très typée cinéma indie américain pétri de bons sentiments, mais <strong>Alexander Payne </strong>maintient assez bien le cap, en tous cas beaucoup mieux que son précédent <ins>Downsizing</ins> qui contrastait assez désagréablement avec le reste de sa filmographie. Dans <ins>The Holdovers</ins>, <strong>Paul Giamatti </strong>tient un rôle assez proche de celui qu'il occupait dans <ins>Sideways</ins>, à savoir un vieil intellectuel avec ses blessures intérieures qui va de manière plus ou moins involontaire être amené à renouer avec une certaine réalité, au moyen de relations sociales ténues mais renouvelées. Cela se faisait au travers du road trip d'un écrivain raté avec un ami au milieu des domaines viticoles hier, et aujourd'hui par un prof d'histoire contraint d'assurer la surveillance d'élèves ne pouvant pas rentrer chez eux pendant les vacances de Noël.</p>
<p><ins>The Holdovers</ins> est un de ces films qui adoptent un regard sur une époque (même si l'action est située dans les années 70, avec toute la technique qui suit à commencer par la pellicule, le discours conserve une valeur actuelle) sans trop de concessions, parfois un peu secs dans leurs affirmations, mais in fine assez tendres dans la conclusion. Une grande partie est dédiée à l'association entre un vieux professeur bourru et hautain, apprécié de personne, dont la carrière ratée a été détruite par un événement à Harvard dont on prendra connaissance un peu tardivement dans le récit, et un de ses étudiants, le seul coincé pour les vacances avec la cheffe cuisinière (qui elle aussi aura ses douleurs révélées, un fils mort au Vietnam), assez doué et fin rebelle, abandonné par sa mère et son beau-père tandis que son père croupit dans un hôpital psychiatrique. Le vieil historien ultra cultivé qui se croît supérieur en tous points, presque flatté de n'avoir aucun ami, face au jeune étudiant turbulent juste comme il faut, on voit quand même dans cette description un début (euphémisme) de stéréotype, et à ce titre c'est un film plutôt à destination de personnes qui apprécient les belles tirades et les joutes verbales — sur fond de comédie sentimentale avec des êtres malmenés par la vie, certes. <strong>Giamatti </strong>est très bon dans son rôle, avec son strabisme divergeant plus visible que jamais (une référence assez drôle y est faite, pour indiquer quel œil il faut regarder) et ses punchlines d'intellectuel (souvent en latin, bien sûr, mais pas uniquement : "Life is like a henhouse ladder. Short and shitty").</p>
<p>Le trio improbable trouvera dans leur cohabitation forcée une sorte de havre de paix pour se reconstruire, un peu, et en apprendre davantage sur les autres, aussi. Beaucoup de sarcasmes dans cette ambiance froide et douce-amère, parfois à la limite de la mièvrerie. Le lien qui se crée entre le prof et l'élève reste malgré tout assez touchant, sur les thèmes du deuil, de la dépression, et de la solitude, jusque dans leur séparation.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/winter_break/img1.jpg" title="img1.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/winter_break/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, déc. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/winter_break/img2.jpg" title="img2.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/winter_break/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, déc. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/winter_break/img3.jpg" title="img3.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/winter_break/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, déc. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/winter_break/img4.jpg" title="img4.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/winter_break/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, déc. 2023" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Winter-Break-de-Alexander-Payne-2023#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1309Je n'ai pas tué Lincoln, de John Ford (1936)urn:md5:03e9836da620b850eb13ba61bfa6e8762023-01-03T22:46:00+01:002023-01-03T22:46:00+01:00RenaudCinémaAbraham LincolnAssassinatEtats-UnisGuerreGuerre de SécessionHistoireInjusticeJohn FordPolitiquePrisonRédemption <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/je_n-ai_pas_tue_lincoln/.je_n-ai_pas_tue_lincoln_m.jpg" alt="je_n-ai_pas_tue_lincoln.jpg, nov. 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Fièvre jaune et rédemption</strong></ins></span>
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<p><ins>The Prisoner of Shark Island</ins> regroupe étonnamment beaucoup de facettes réputées de <strong>John Ford</strong>, tant du côté de ses qualités que de ses maladresses, et correspond au final assez bien au portrait (certes proche du panégyrique) qu'en faisait <strong>Bertrand Tavernier </strong>dans son livre plutôt conséquent <ins>Amis américains</ins>. C'est un personnage qui est difficile à saisir avec des grilles de lecture politiques ou morales françaises voire européennes, car il se range dans une catégorie hybride qu'on pourrait qualifier de conservateur libéral et qui transparaît de manière pas si manichéenne à travers sa conception des conflits autour de la guerre de Sécession — le cadre du film se positionne au lendemain, avec l'assassinat par <strong>John Wilkes Booth </strong>d'<strong>Abraham Lincoln </strong>lors d'une représentation théâtrale. <strong>John Ford </strong>semble partagé entre son attache idéaliste aux valeurs de démocratie et de liberté prônées par les Yankees du Nord mais également aux petites gens du Sud ségrégationniste qui luttent pour conserver leurs terres et leurs traditions. La maladresse du portrait tient, à mes yeux, essentiellement à cette façon de dépeindre ces gens, blancs ou noirs, dans une ambivalence reliant la rudesse de leur condition (y compris intellectuelle) et la spontanéité de leur générosité. Je ne suis pas intimement convaincu par ce portrait de gens montrés comme "bêtes mais gentils", pour grossir le trait.</p>
<p>En tous cas, il flotte sur ce film le contraste classique chez <strong>Ford</strong>, illustré ici par le hiatus entre les abolitionnistes émancipateurs des Noirs mais également vecteurs d'une agressivité et d'une injustice notables, d'une part, et d'autre part la terre sudiste berceau de l'esclavage, divisée entre le picaresque des uns et les privilèges aristocratiques des autres. De la nuance insérée au forceps, pour le dire autrement.</p>
<p>Mais on est en droit de suspendre son incrédulité pour épouser le destin du docteur Samuel Mudd, dont l'histoire est inspirée d'événements bien réels. Il soigne l'assassin du président en toute innocence, et se retrouve accusé de complicité, condamné à la détention à perpétuité par un tribunal militaire expéditif et envoyé sur une prison insulaire où il subira la haine et le sadisme des gardiens. Il y a dans le regard de <strong>Ford </strong>pour son personnage une forme de bienveillance naïve, qui s'étend jusqu'à la construction d'une figure et d'une trame christiques, marquées par l'injustice, la souffrance et la rédemption. Très peu d'interprétation de ma part à ce sujet, étant données les remarques répétées du tortionnaire sergent Rankin (<strong>John Carradine</strong>) le traitant de Judas pour avoir tué le saint Lincoln.</p>
<p>On ne peut pas dire que la dynamique rédemptrice soit d'une subtilité à toute épreuve, que ce soit dans la prévisibilité de son rôle dans la gestion d'une épidémie de fièvre jaune meurtrière, dans sa capacité à dénouer une mutinerie de la part des gardes noirs effrayés par la maladie, ou encore dans le changement drastique de comportement du sadique Rankin. Mais il est toutefois possible de se focaliser sur le versant compatissant du film, avec la célébration de l'intégrité et la question de la conscience — dans un registre pour le coup beaucoup moins lourdaud que dans <ins>Le Mouchard</ins> réalisé un an avant. On reconnaît également une volonté omniprésente chez <strong>Ford</strong>, qui passe toujours par une allégorie, celle de panser les plaies de la nation entière, ici avec comme cadre la discorde par excellence des conséquences de la guerre de Sécession.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/je_n-ai_pas_tue_lincoln/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, nov. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/je_n-ai_pas_tue_lincoln/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, nov. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/je_n-ai_pas_tue_lincoln/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, nov. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/je_n-ai_pas_tue_lincoln/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, nov. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/je_n-ai_pas_tue_lincoln/.img5_m.jpg" alt="img5.jpg, nov. 2022" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Je-n-ai-pas-tue-Lincoln-de-John-Ford-1936#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1092Le Héros sacrilège, de Kenji Mizoguchi (1955)urn:md5:75e4e6ec24999f81057a91b4f2620e4f2020-06-19T16:47:00+02:002020-06-19T16:47:00+02:00RenaudCinémaCritiqueHistoireIntégritéJaponKenji MizoguchiMoyen ÂgePouvoirSamouraïSecret <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.heros-sacrilege_m.jpg" alt="heros-sacrilege.jpg, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Émancipation de la classe des samouraïs<br /></strong></ins></span></div>
<p>La situation initiale pourtant bien détaillée dès l'introduction de <ins>Le Héros sacrilège</ins> est un obstacle à la compréhension en soi, du moins lorsqu'on n'est pas Japonais et en pleine connaissance de son histoire médiévale. Il faut un certain temps pour bien s'imprégner de tous les détails, tous les antécédents, et tous les rapports de force qui constituent la toile de fond sur laquelle viendra s'écrire cette histoire en 1170, à une époque où le Japon était gouverné par deux empereurs — source de nombreux conflits. Un long préambule écrit résume la situation complexe du pays, au sein duquel le pouvoir est accaparé et maintenu par un groupe social hétérogène composé de nobles et de moines, qui chacun à sa façon désire entretenir des privilèges en exerçant des pressions de nature politique ou religieuse. <strong>Mizoguchi </strong>fait le choix de s'intéresser à une classe alors inférieure, celle des samouraïs, condamnés à constituer le bras armé du pouvoir tout en restant exclus des sphères décisionnelles et des zones de respect.</p>
<p>C'est dans ce cadre, maillé par un réseau complexe de liens de subordination, que le samouraï Tadamori et son fils Kiyomori essaient de se frayer un chemin vers la cour impériale, de retour d'une guerre victorieuse, dans l'espoir d'obtenir de l'estime de la part des puissants en lieu et place du mépris ancestral.</p>
<p>La couleur en teintes pastel, chose rare chez <strong>Mizoguchi </strong>(sa filmographie, essentiellement en noir et blanc, ne comptera que deux tentatives de la sorte), contribue très efficacement au sentiment d'immersion, notamment dans les premières séquences, en évoluant dans différents recoins d'un marché. La dynamique des foules, les scènes de liesse au même titre que les échauffourées, témoigne un certain sens du détail très appréciable. Tous ces éléments graphiques composent aussi un discours, en illustrant successivement les différentes situations de domination, lorsque Tadamori est traité avec condescendance, puis lorsqu'il est adoubé (avec les costumes de circonstance) avant d'être à nouveau déchu. Ce sera la même chose pour Kiyomori, attiré par les beaux tissus, dans sa position de valeureux guerrier pourfendeur de la superstition : la scène en habits de combat, où il tire sur les miroirs des palanquins avec son arc, brisant ainsi des croyances centenaires entretenues par les moines opportunistes, est d'une grande beauté. <strong>Mizoguchi </strong>fait le choix de ne pas s'intéresser aux conséquences ultérieures de ces actes, au-delà de la terreur immédiate suscitée chez les moines, pour se concentrer sur la confiance nouvelle dont Kiyomori peut enfin bénéficier, sûr de l'identité de son géniteur et de ses origines après avoir déjoué un complot.</p>
<p>D'un scénario historique complexe jalonné de conflits politiques, <strong>Mizoguchi </strong>en extrait une très belle parabole sur l'avènement de la gouvernance des samouraïs. Une plongée acerbe dans le système féodal profondément inégalitaire, gangréné par les luttes de pouvoir, qui ne sera dépassé que par l'acharnement d'une émancipation sacrilège mais bienveillante, à travers les classes et détachée des liens parentaux traditionnels. La dernière séquence, dans laquelle Kiyomori observe sa mère insouciante dans une vaste champ sans pouvoir l'approcher, offre en ce sens un délicieux dernier regard.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.arbres_m.jpg" alt="arbres.jpg, juin 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.arc_m.jpg" alt="arc.jpg, juin 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.foret_m.jpg" alt="foret.jpg, juin 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heros_sacrilege/.robe_m.jpg" alt="robe.jpg, juin 2020" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Heros-sacrilege-de-Kenji-Mizoguchi-1955#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/793Samuraï, de Kihachi Okamoto (1965)urn:md5:7afdd61e2b81acf29381981453b4c0d22019-09-04T11:40:00+02:002019-09-04T10:55:41+02:00RenaudCinémaCritiqueDésillusionHistoireJaponKihachi OkamotoPouvoirSamouraïToshirō MifuneViolence <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/samourai/.samourai_m.jpg" alt="samourai.jpg, sept. 2019" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Les arcanes de l'écriture de l'histoire</strong></ins></span>
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<p>Les années 60 ont vu fleurir dans le paysage cinématographique japonais de nombreuses œuvres arborant des considérations très éloignées du mythe du samouraï vertueux, détachées de l'idéal de probité prôné par le bushido et ses nombreux principes moraux. Aux côtés de <strong>Masaki Kobayashi </strong>ou <strong>Hideo Gosha</strong>, il faut donc accorder une place de choix à <strong>Kihachi Okamoto</strong>. Là où un <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Hara-Kiri-de-Kobayashi-a-Miike">Hara-kiri</a> cherchait à dénoncer l'austérité et la rigidité qui s'étaient développées au sein de ces codes, là où un <ins>Le Sabre de la bête</ins> proposait une plongée presque satirique dans l'enfer des compromissions derrière les belles postures, <ins>Samouraï</ins> y oppose une construction éminemment psychologique. En faisant la part belle à une grande galerie de personnages, Okamoto échafaude un réseau incroyablement dense et complexe de rapports directs et implicites, au sein desquels les antagonismes n'auront de cesse d'enfler jusqu'à un climax final d'une intensité et d'une violence inouïes.</p>
<p>Le film s'ouvre et se clôt sur un même lieu, dans les mêmes conditions météorologiques, mais dans deux configurations bien différentes. On est en 1860, 7 ans avant la fin hautement symbolique du shogunat Tokugawa (comme dans <ins>Le Sabre de la bête</ins>) vieux de près de 3 siècles, devant la porte de Sakurada, sous une neige abondante : un ministre de haut rang est sur le point de se faire assassiner par un groupe de samouraïs plus ou moins errants. La séquence introductive consacre l'avortement d'une première tentative, la séquence conclusive illustre un fait historique connu sous la dénomination "incident de Sakuradamon", et entre les deux figure une longue contextualisation où les rivalités s'entrechoqueront autant que les temporalités.</p>
<p>C'est dans cette partie que réside l'un des principaux intérêts du film : tout au long de la narration, tandis que la caméra enregistre le déroulement des événements, un scribe sauvegarde la même chose sur papier, dans le même mouvement. Mais alors que nous, spectateurs, observons la réalité telle qu'elle est survenue (du moins, c'est ainsi que les faits sont présentés), l'écriture officielle de l'histoire subira de nombreuses retouches. Comme un corollaire du principe selon lequel ce sont les vainqueurs qui écrivent l'histoire, certaines choses doivent être tues, semble nous dire ceux qui tiennent les rênes — et le pinceau. À la faveur de l'effondrement de l'empire des samouraïs et du basculement vers l'ère moderne, <strong>Okamoto </strong>invite à considérer l'histoire (grande ou petite, individuelle ou collective) comme une substance mouvante, fluctuante, partielle et résolument instable. Les nombreux flashbacks qui ornent le récit et dessinent les contours de la personnalité de <strong>Toshirō Mifune </strong>vont ainsi dans ce sens : on n'oublie jamais que l'histoire n'est pas accessible en prise directe, elle nous est racontée en grande partie à l'aide d'un intermédiaire.</p>
<p>Ce tissu narratif dense et incertain alimente une autre composante essentielle, que l'on pourrait rapprocher de la tragédie grecque. L'ironie largement dramatique de la boucherie finale intervient dans un contexte de profonde déstabilisation, alors que l'ère des samouraïs arrive à son terme. Le groupe de protagonistes renégats, à la tête duquel trône <strong>Yûnosuke Itô </strong>et sa gueule inimitable de méchant patibulaire, s'interroge sur la capacité du shogun a gérer le pays : "<em>Comment un shogun de 14 ans peut-il diriger le pays ? Que fera-t-il face à la Russie, à l'Amérique, à la France ? Le Japon est menacé de toutes parts.</em>" Dans ce climat instable, les zones d'ombre volontairement entretenues par les uns constituent autant d'incertitudes chez les autres : c'est ainsi que Niiro, le personnage interprété par <strong>Mifune</strong>, se retrouvera avec la tête décapitée d'un haut dignitaire au bout de son sabre sans en connaître la véritable identité. Au terme d'une séquence finale incroyablement rageuse et sanglante, l'électrochoc délivrée par cet accès de violence (à faire pâlir un <strong>Misumi</strong>, ou presque) confère au discours teinté d'amertume et de désillusion une puissance phénoménale.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/samourai/.duo_m.jpg" alt="duo.jpg, sept. 2019" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/samourai/.bataille_m.jpg" alt="bataille.jpg, sept. 2019" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Samurai-de-Kihachi-Okamoto-1965#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/705La Cité des douleurs, de Hou Hsiao-Hsien (1989)urn:md5:36a33f47bafd01eb98bf314cbb9c7baf2019-07-27T16:26:00+02:002019-07-27T16:13:41+02:00RenaudCinémaChineFamilleHistoireJaponMutismeSeconde Guerre mondialeSurditéTaïwanTony Leung Chiu-Wai <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/cite_des_douleurs/.cite_des_douleurs_m.jpg" alt="cite_des_douleurs.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="cite_des_douleurs.jpg, juil. 2019" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Taiwan story</strong></ins></span>
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<p>C'est un créneau très particulier dans l'histoire de Taïwan, une fenêtre temporelle de quelques années à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui a déterminé dans les grandes lignes ce que deviendrait l'île pour les décades à venir et qui fait l'objet du film de <strong>Hou Hsiao-Hsien</strong>, <ins>La Cité des douleurs</ins>. Le réalisateur taïwanais choisit un angle d'attaque singulier, le premier (et même l'unique, il me semble) à traiter de manière aussi explicite cette parcelle d'histoire, de 1945 à 1949. Quatre années déterminantes dans l’édification d'un pays qui sortait tout juste d'une période de cinquante ans de colonisation japonaise, et qui s'apprêtait à rentrer dans une nouvelle ère de domination, cette fois-ci sous l'emprise du leader nationaliste et généralissime Tchang Kaï-Chek. Le principal représentant du Kuomintang, le parti nationaliste qui s'opposa aux communistes suite à la capitulation du Japon, sortit perdant de la guerre civile et pris la fuite pour se réfugier sur l'île de Formose. Il y établit un gouvernement jusqu'à sa mort en 1975, et les événements durant cette période, marquée par des exactions du Kuomintang ayant fait des milliers de victimes, restent encore aujourd'hui tabous.</p>
<p>C'est donc au creux de cette époque charnière, en pleine restitution de Taïwan à la Chine continentale, que <strong>Hou Hsiao-Hsien </strong>déploie l'histoire de la famille Lin et de ses quatre enfants. On le comprend assez vite, chacun des fils affrontera ou subira cette situation de manière très différente : il y a ceux qui fêtent une naissance hors mariage sans s'intéresser au cours de l'Histoire, ceux qui purgent une peine de prison après avoir été accusés de collaboration durant l'occupation japonaise, ceux qui sont portés disparus après avoir servi dans l'armée, et ceux qui tentent de survivre simplement dans ce nouvel environnement. Cette dernière configuration occupe une place de choix dans le film à travers le personnage sourd-muet de Wen-Ching (<strong>Tony Leung Chiu-Wai</strong>), qui se consacre à la photographie tandis qu'une relation amoureuse voit le jour.</p>
<p>Comme on peut s'y attendre chez <strong>Hou Hsiao-Hsien</strong>, la description des événements se fera dans une atmosphère extrêmement contemplative, en dépit de la violence omniprésente, basée sur l'attente et la suggestion. L'évocation de la répression du gouvernement nationaliste chinois, filtrée par l'histoire de la famille Lin, se fera dans une tonalité très mélancolique : le tumulte politique est constamment lié aux aléas intimistes de la fratrie. La sobriété narrative est de plus accentuée par le mutisme du protagoniste, contraint à communiquer à l'aide de petits papiers retranscrits via des cartons qui rappellent le cinéma muet, offrant de nombreuses zones de non-dits. Cela pourrait paraître quelque peu poussif du côté de la tragédie, mais la chronique familiale épouse remarquablement bien la trajectoire de son pays, comme si l'une emportait l'autre et réciproquement.</p>
<p> En introduction, il y avait l'annonce faite par l'empereur du Japon de la capitulation de son pays, mettant un terme à une période d'un demi-siècle. Le film se termine sur une autre annonce, celle de la souveraineté chinoise à travers des haut-parleurs proclamant l'instauration de la loi martiale et le début d'une période appelée la terreur blanche de Taïwan, qui dura de 1949 à 1987, et qui conduisit à des centaines de milliers d'emprisonnements.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/cite_des_douleurs/.photo_m.jpg" alt="photo.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="photo.jpg, juil. 2019" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Cite-des-douleurs-de-Hou-Hsiao-Hsien-1989#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/697Le Trésor, de Corneliu Porumboiu (2015)urn:md5:821aed2e65acdb9a13c718496bd0c6c62018-05-24T13:46:00+02:002018-05-24T12:57:40+02:00RenaudCinémaBurlesqueComédieHistoireRoumanieTrésor <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/tresor/.tresor_m.jpg" alt="tresor.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="tresor.jpg, mai 2018" /><div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Il était une fois en Transylvanie</strong></ins></span>
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<p>Voilà un genre d'humour que je ne connaissais pas dans l'absolu, pas sous cette forme précise, et encore moins dans le cadre du cinéma d'Europe de l'Est, plus connu (en France en tous cas) pour ses drames glaciaux que pour ses francs moments de rigolade. Ceci étant dit, on est bien loin de la comédie franche, mais cet humour pince-sans-rire roumain qui inonde une bien étrange tragicomédie aura eu un effet inattendu.</p>
<p>Au tout début du film, d'ailleurs, on ne dispose d'aucun véritable repère pour savoir si on s'embarque dans un drame social, mais l'idée d'une quelque forme de comédie que ce soit paraît tout aussi éloignée. En faisant se rencontrer deux voisins de palier au sujet d'un hypothétique trésor enfoui dans un jardin, <strong>Corneliu Porumboiu </strong>se lance dans une rhétorique de l'excavation aux sens multiples : les deux compères creusent la terre à la recherche d'un trésor quand le réalisateur farfouille dans l'histoire de son pays. Des enjeux beaucoup moins anodins que ce qu'on aurait pu penser dans un premier (ou second, une fois que le registre de la comédie est plus ou moins clairement établi) temps. Seront convoquées, au fil des zones scannées et des trous creusés dans une jolie symphonie burlesque très nuancée, toujours dans les environs de la même villa aujourd'hui abandonnée : la révolution roumaine de 1848 (une composante du Printemps des peuples assez peu évoquée dans les manuels, me semble-t-il), la présence communiste après la Seconde Guerre mondiale, l'ère post-communiste avec une boîte à strip-tease à la fin des années 1980, et l'ère actuelle avec ces ruines comme vestiges de la crise de la fin des années 2000. Un sacré voyage temporel.</p>
<p><strong>Porumboiu </strong>parsème son film de questionnements divers, principalement liés à l'histoire de la Roumanie, sur fond de chasse au trésor radicalement adulte dans les faits, mais étrangement enfantine dans l'intention, bien sûr. <ins>Le Trésor</ins> est garni de séquences cocasses, un genre de burlesque froid et décalé, tout en sobriété, donnant aux élucubrations des deux pieds nickelés un caractère presque surréaliste. Des dialogues confinant à l'absurde quant au mode opératoire optimal à suivre pour la recherche du trésor, les disputes qui s'ensuivent, un sens du sérieux qui vire au comique quand il est poussé à l'extrême dans des situations apparemment anodines, un voleur qui aide les policiers à ouvrir le coffre déterré alors qu'eux-mêmes vont ponctionner (légalement) leur part du butin... Et bien sûr le contenu du trésor, qui relativise les histoires familiales et ancre le film dans le présent. L'occasion pour le père d'enfiler les habits de Robin des bois, de héros et de menteur sur fond d'espoir et de contes à enseigner aux nouvelles générations.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/tresor/.boite_m.jpg" alt="boite.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="boite.jpg, mai 2018" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Tresor-de-Corneliu-Porumboiu-2015#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/517