Je m'attarde - Mot-clé - Homosexualité le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearDeux, de Filippo Meneghetti (2020)urn:md5:dc07a37f3a8b1fceb9f072a74cc072f52024-01-17T10:06:00+01:002024-01-17T10:06:00+01:00RenaudCinémaAmourBarbara SukowaCambriolageFamilleHomosexualitéLéa DruckerMartine Chevallier <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/deux/deux.jpg" title="deux.jpg, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/deux/.deux_m.jpg" alt="deux.jpg, janv. 2024" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Barbara, une femme allemande</strong></ins></span>
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<p>Première chose qui frappe et qui intrigue fortement : la présence de Barbara Sukowa, du haut de sa soixantaine avancée et magnifique, dans un rôle dont l'émancipation chevillée au corps mais menacée forme un écho très lointain mais tout aussi tenace avec son rôle dans <ins>Lola, une femme allemande</ins>, il y a près de quarante ans chez <strong>Fassbinder</strong>. L'expérience est vraiment troublante, même si le (premier) film du réalisateur italien <strong>Filippo Meneghetti </strong>n'a pas du tout la même portée et les mêmes enjeux. Tout dans <ins>Deux</ins> est en réalité porté par le duo d'actrices principales, incluant <strong>Martine Chevallier</strong>, et dans la nature de leur relation amoureuse, à la fois intense, sincère, hésitante, et instable par nature puisque la famille de cette dernière n'est pas au courant.</p>
<p>Il y aurait beaucoup à redire sur les maladresses du film, sur la pauvreté de certains dialogues, sur la faiblesse d'écriture de certains personnages secondaires (l'aide-soignante et la fille surtout, encore que le personnage de <strong>Léa Drucker </strong>est doté d'un beau potentiel pas vraiment exploité), sur certains effets de manche pas hyper constructifs (le cambriolage final annoncé une scène plus tôt, par exemple). Mais les scénaristes sont parvenus à esquisser une relation sentimentale dont on ignore tout le passif mais qui s'établit naturellement, dans sa passion comme dans ses contraintes. Et la configuration, très crédible, de ces deux femmes qui ne sont que deux voisines pour le reste du monde, est le terreau fertile pour le développement d'une situation éminemment compliquée lorsque l'une d'entre elles fait un AVC et perd une partie de ses capacités. Cette sensation de tragique est très bien amenée, et renforcée par quelques scènes percutantes comme celle où la caméra se concentre sur les yeux de <strong>Chevallier </strong>qui alterne entre les deux interlocutrices (sans que ces dernières ne la regardent), prisonniers d'un corps presque immobile.</p>
<p>La pudeur de la mise en scène est particulièrement appréciable, tout comme le jeu avec les deux appartements et les doubles vies en toile de fond. Le mélange de complicité presque enfantine, d'attachement puissant, de souffrance soudaine, est très réussi et donne à la scène finale, danse intime sur fond de <strong>Betty Curtis </strong>(Sul Mio Carro) au milieu de l'appartement retourné, une certaine force. Point de chute d'une dernière partie construite autour d'un suspense grandissant et d'un coming out à demi-raté assez bien gérés.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/deux/img1.png" title="img1.png, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/deux/.img1_m.png" alt="img1.png, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/deux/img2.png" title="img2.png, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/deux/.img2_m.png" alt="img2.png, janv. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/deux/img3.png" title="img3.png, janv. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/deux/.img3_m.png" alt="img3.png, janv. 2024" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Deux-de-Filippo-Meneghetti-2020#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1331Le Droit du plus fort, de Rainer Werner Fassbinder (1975)urn:md5:4d5016400fe83f204bb41a0c58b0fff02023-08-17T09:27:00+02:002023-08-17T08:29:20+02:00RenaudCinémaAllemagneAmourArgentBourgeoisieConsumérismeCupiditéHomosexualitéHumiliationLotoLutte des classesManipulationMélodrameRacismeRainer Werner FassbinderRomance <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/droit_du_plus_fort/.droit_du_plus_fort_m.jpg" alt="droit_du_plus_fort.jpg, août 2023" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"Ce n'est pas le genre de gars que l'argent rend riche."</strong></ins></span>
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<p>Accepter et s'habituer au style de <strong>Fassbinder </strong>n'est pas une mince affaire, et il m'aura fallu beaucoup de temps et de films avant de commencer à apprivoiser le lascar. L'épreuve aura été rude, parfois un peu ingrate, mais elle aura permis de voir émerger l'appréciation de ce <ins>Droit du plus fort</ins> et ne serait-ce que pour ça, elle aura été récompensée au centuple. Il n'y a que chez <strong>Fassbinder </strong>que l'on peut voir le mélodrame à la <strong>Sirk</strong>, genre du cinéma américain classique par excellence, assimilé et régurgité dans un moule totalement différent, dans une version allemande et homosexuelle (quand bien même sur ce dernier point, le caractère homosexuel des tribulations du protagoniste est traité de manière parfaitement équivalente à la norme de l'époque, au milieu des années 70) de la lutte des classes. Il parvient à illustrer de façon aussi émouvante que percutante un échec sentimental autant que social, à travers cette histoire de relation asymétrique entre un jeune forain ayant gagné une forte somme d'argent au loto et un jeune bourgeois dont l'entreprise est au bord de la faillite. Non, l'amour ne sera pas la passerelle entre les classes, et <strong>Fassbinder </strong>nous l'assène très violemment.</p>
<p>Il faut tout d'abord réussir à pénétrer dans cette ambiance, très théâtrale sous certains aspects, constamment filmée de manière crue. Cette crudité dans le regard renforce qui plus est la dimension masochiste du geste du réalisateur-acteur, avec une série constante d'humiliations de son personnage : il incarne à merveille ce paumé trop sensible qui met la main sur un gros paquet d'oseille tout en restant aveugle à la cupidité de son entourage. Il y a toujours ce mélange de bourrin, de malsain et de vulnérable dans les films de <strong>Fassbinder</strong>, ici en l'occurrence pour montrer comment Franz aka Fox ne voit rien venir de la machination dégueulasse qui se trame autour de lui, ou encore comment les rapports de classe produisent des chocs frontaux — au travers de la séquence du repas où le prolo ne comprend pas pourquoi on s'obligerait à boire du blanc avec du poisson.</p>
<p>Et finalement c'est assez drôle de voir Fox devenir peu à peu l'amant d'un fils de bourgeois, tendre et soumis, à mesure qu'on lui fait découvrir cet univers qu'il ne connaissait absolument pas et contrastant fortement avec le bistro crado dans lequel il avait l'habitude de traîner. De temps en temps, des signaux plus ou moins explicites se manifestent à lui : en vacances au Maroc, il se heurte à une forme étrange de racisme qui interdit le personnage de <strong>El Hedi ben Salem </strong>(dans un rôle moins ambitieux que celui de <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Tous-les-autres-s-appellent-Ali-de-Rainer-Werner-Fassbinder-1974">Tous les autres s'appellent Ali</a></ins>), déclassé parmi les déclassés, de rentrer dans leur hôtel. Mais tous ces signaux convergent finalement vers le dernier plan, d'une cruauté et d'une noirceur folles. Les agissements de son amant ne sont pas forcément le résultat d'une abominable machination, ce dernier étant largement mis en scène dans des situations d'incertitude et d'hésitation : il y a bien davantage une question de fatalité, d'incompatibilité presque constitutive de leur couple.</p>
<p>De manière brutale, <strong>Fassbinder </strong>fait déambuler son protagoniste au milieu des horreurs du racisme, du consumérisme et des sphères bourgeoises gay pour mieux le fracasser contre le mur de son innocence : l'argent lui aura fait miroiter une sensation d'appartenance à une classe supérieure, mais en l'absence de connaissance de ses codes et de ses coutumes, elle ne sera que de très courte durée une fois la fortune dilapidée. Comme le dira un des personnages au sujet de Fox, "ce n'est pas le genre de gars que l'argent rend riche". Jamais l'amour entre les deux n'aura trouvé de terreau fertile, et le constat est sans doute l'un des plus tristes que j'aie vus chez <strong>Fassbinder</strong>.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/droit_du_plus_fort/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, août 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/droit_du_plus_fort/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, août 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/droit_du_plus_fort/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, août 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/droit_du_plus_fort/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, août 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/droit_du_plus_fort/.img5_m.jpg" alt="img5.jpg, août 2023" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Droit-du-plus-fort-de-Rainer-Werner-Fassbinder-1975#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1213La Rumeur, de William Wyler (1961)urn:md5:42c2b06ad30a14f106c2eb744279eddc2023-08-11T10:45:00+02:002023-08-11T10:45:00+02:00RenaudCinémaAmitiéAmourAudrey HepburnChantageFemmeHomosexualitéMensongeMélodrameRumeurShirley MacLaineVengeanceWilliam Wyler <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/rumeur/.rumeur_m.jpg" alt="rumeur.jpg, juil. 2023" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"There's always been something wrong. Always, just as long as I can remember. But I never knew what it was until all this happened."</strong></ins></span>
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<p>Il aura fallu un film très académique — sans connotation péjorative — et très intimiste de la part de <strong>William Wyler</strong>, seulement deux ans après le péplum XXL <ins>Ben-Hur</ins> et un renversement assez monumental de style, pour me réconcilier avec le format de l'adaptation cinématographique d'une pièce de théâtre américaine. Ils sont rares les mélodrames de cette nature, enfermés dans un carcan formel inhérent au respect de différentes contraintes (l'unité de lieu notamment), un peu figés dans les considérations morales de leur époque (en l'occurrence sur les relations homosexuelles, qui fournit très indirectement des signaux à caractère documentaire sur l'état d'esprit de la fin des années 50), qui parviennent à trouver un chemin et se faufiler au travers de ma carapace.</p>
<p><ins>The Children's Hour</ins> semble s'engager sur un sentier assez balisé, comme prévisible, mais il bifurquera dans un dernier temps au point de scinder le film en deux entités presque indépendantes. Il y a tout d'abord la description du tissu social qui permettra l'apparition de la rumeur éponyme, option mensonge d'enfant : le cadre est celui d'une institution pour jeunes filles dirigée par deux amies interprétées par <strong>Audrey Hepburn </strong>et <strong>Shirley MacLaine</strong>, toutes deux excellentes. Le scénario s'intéresse aux conditions qui poussent une enfant à mentir, et développe assez bien le petit réseau de coercition qui se crée autour de cette fille (la définition de la peste) qui agit principalement dans une logique de vengeance suite à une engueulade. Elle implique une autre fille de son âge dans le mensonge, au creux d'une dynamique de chantage, et non sans une certaine insistance (tant dans le film qu'à l'extérieur de la diégèse) elle parvient à mêler une personne adulte dans le scandale. Le scandale étant : les deux directrices seraient amantes en secret, même si ce n'est jamais clairement explicité (code Hays oblige), ce qui constitue un faux-pas moral non-négligeable dans la société américaine du début des années 60.</p>
<p>La partie charnière qui suit, avec confrontation des différentes parties, est à mes yeux un des plus grands points faibles de <ins>La Rumeur</ins> car le scénario suit de manière un peu trop forcée le cap qu'il s'est fixé, à savoir que les adultes vont croire la parole de l'enfant (forcément angélique, pure, incapable d'imaginer de genre de choses) en dépit des nombreuses incohérences constatées. D'autant que Rosalie, une jeune fille cleptomane, parvient à exprimer sa partie avec beaucoup moins d'ostentation que la manipulatrice Mary. La tante absente ne pouvant témoigner en leur faveur, également, n'aide pas à huiler les rouages du script. Les conséquences seront en outre drastiques pour les deux femmes injustement accusées, "injustement" au sens où rien dans les faits ne pouvait leur être reproché (elles n'ont littéralement rien fait), et non pas au sens où elles auraient très bien pu assumer leur relation saphique — le film se garde bien d'aborder cette question, il est suffisamment avant-gardiste pour l'époque sur le sujet "contre-nature" traité de manière très frontale. La réplique qui entérine cet aspect-là est assez percutante : "You've always had a jealous, possessive nature even as a child. If you had a friend, you'd be upset if she liked anybody else. And that's what's happening now! And it's unnatural. It's just as unnatural as it can be". Là où <strong>James Garner </strong>se révèle bien fade dans l'archétype de l'autorité masculine, il faut reconnaître à <strong>Audrey Hepburn </strong>et <strong>Shirley MacLaine </strong>un sacré talent dans la composition de leurs rôles respectifs. Pas d'homophobie violente à leur égard, pas de manichéisme, pas de stéréotypes outranciers, juste la rumeur qui est partie comme un feu de paille et qui les a conduites à la réclusion.</p>
<p>Et puis il y a cette ellipse qui n'est pas annoncée, quelque temps après le procès perdu par les deux amies, enclenchant la dernière partie de l'intrigue portée sur un cinéma extrêmement classique (ici aussi dans l'acception non-péjorative du terme, simplement un peu trop démonstratif vu d'aujourd'hui) dans la mise en scène comme dans les mécanismes de la tragédie qui se noue. Le travail sur la psychologie et les émotions de <strong>MacLaine</strong>, elle qui aurait commis une faute et rongée par la culpabilité, fournit un combustible très efficace à la dernière demi-heure qui consacrera l'aboutissement du délitement d'une relation affective. Conclusion particulièrement dramatique de l'étouffement de cette petite ville américaine puritaine et oppressante, au terme d'une lente désagrégation des rapports sociaux.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/rumeur/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, juil. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/rumeur/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, juil. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/rumeur/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, juil. 2023" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Rumeur-de-William-Wyler-1961#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1210Mishima, de Paul Schrader (1985)urn:md5:018ccef131847d057e42550df0b699b92020-08-03T21:49:00+02:002020-08-03T20:51:29+02:00RenaudCinémaEmpereurHomosexualitéJaponMusculationNationalismePaul SchraderPhilip GlassYukio Mishima <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/mishima/.mishima_m.jpg" alt="mishima.jpg, août 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"À l'instant où la lame déchira ses chairs, le disque du soleil explosa derrière ses paupières, illuminant le ciel pour un instant."<br /></strong></ins></span></div>
<p><strong>Paul Schrader</strong>, le réalisateur de <ins>Blue Collar</ins> sur la classe ouvrière américaine et la difficile union des forces en syndicat multiculturel qui s'essaie au biopic sur une figure phare du nationalisme japonais, forcément, il y a de quoi attiser la curiosité. Mais réduire <strong>Yukio Mishima </strong>à cet unique aspect politique serait bien réducteur à l'égard de l'écrivain dont les romans, pièces de théâtre et essais jalonnent <ins>Mishima</ins> comme un ballet en trois temps. Un personnage hautement atypique, grand amateur de littérature française, adepte de la musculation et des arts martiaux, dont l'œuvre est empreinte de souffrance, de pessimisme et d'homosexualité — latente, on le comprend bien, dans le Japon des années 60 dont il se protègera en adoptant une vie de famille bien normée. <strong>Marguerite Yourcenar </strong>dira plus tard, dans les années 80, que sa mort par seppuku en 1970 fut l'une de ses œuvres, et au-delà de cela, son œuvre la plus soigneusement préparée.</p>
<p>C'est d'ailleurs l'une des nombreuses facettes de cette biographie non-conventionnelle et fragmentée : le dernier jour de la vie de <strong>Mishima </strong>constitue en quelque sorte le fil conducteur du film de <strong>Schrader </strong>qui déroule plusieurs fils entremêlés, portrait kaléidoscopique de sa vie d'artiste haute en couleur autant que de son enfance en noir et blanc. Une figure éminemment controversée de la culture japonaise, dont les paradoxes forment une myriade de points saillants, et dont l'idéal de pureté mêlé à un mal intérieur et une chute presque inexorable semblent alimenter une puissante passion chez <strong>Schrader</strong>. En partant de l'engagement de <strong>Mishima </strong>dans les Forces japonaises d'autodéfense (avant de former la milice privée Tatenokai, "la société du bouclier" destinée à assurer la protection de l’empereur) qui conduiront à une prise d'otage dérisoire et à son geste sacrificiel, <ins>Mishima</ins> se lit moins comme un biopic classique que comme un essai sur la signification de son suicide et une interprétation non-chronologique de trois temps de sa vie selon trois tonalités et trois esthétiques différentes (enfance & biographie, écriture & stylisation, accès putschiste & semi-documentaire). La musique de <strong>Philip Glass </strong>s'accorde à ce titre très bien aux expérimentations visuelles baroques et aux élans existentiels de <strong>Mishima</strong>.</p>
<p>On peut reconnaître à <strong>Paul Schrader </strong>un certain tact (voire pourquoi pas un certain talent) dans le portrait absolument pas caricatural ou univoque qu'il est parvenu à dresser de cet écrivain, presque contemporain du film, adepte d’un culte démesuré pour l’empereur et grand nostalgique de la splendeur du japon impérial. Le réalisateur américain paraît entièrement absorbé par cette figure d'extrême-droite porteuse de contradictions, qu'il aborde comme un emblème de tout ce que le Japon contiendrait comme ambigüités. Le format parfois très abstrait que le film adopte peut se révéler rebutant, notamment dans sa recherche un peu trop systématique de la sophistication formelle lors des séquences d'illustration des romans. Il y a une forme d'hermétisme dans la fascination de <strong>Schrader </strong>— ainsi que celle de <strong>Mishima </strong>— qui peut rendre difficile la pénétration de l'intimité d'un tel personnage. Mais cet ultime geste d'éviscération, que l'on sent venir de très loin, comporte une part non-négligeable de vertigineux. Un anéantissement presque détaché, en réponse à l'incompréhension de la majorité de ses semblables militaires (" j'ai perdu le rêve que j'avais de vous", dira-t-il à la foule qui le conspue), qui débouche sur le vide. Le mélange des formes et des temporalités, bien qu'abscons par moments, constitue une matière troublante et fascinante qui file vers la beauté tragique de ses derniers vers : "À l'instant où la lame déchira ses chairs, le disque du soleil explosa derrière ses paupières, illuminant le ciel pour un instant."</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/mishima/.rose_m.jpg" alt="rose.jpg, août 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/mishima/.dore_m.jpg" alt="dore.jpg, août 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/mishima/.rouge_m.jpg" alt="rouge.jpg, août 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/mishima/.seppuku_m.jpg" alt="seppuku.jpg, août 2020" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Mishima-de-Paul-Schrader-1985#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/815Trois dans un sous-sol, de Abram Room (1927)urn:md5:5f36f509156d4b32bdb96c5faa01b8af2020-03-16T08:59:00+01:002020-03-16T09:03:59+01:00RenaudCinémaAvortementCinéma muetEmancipationFéminismeHomosexualitéJeunesseMoscouRussie <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/trois_dans_un_sous-sol/.trois_dans_un_sous-sol_m.jpg" alt="trois_dans_un_sous-sol.jpg, mar. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" /><div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Avant-garde de l'émancipation</strong></ins></span>
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<p>Derrière ce titre mi-suggestif mi-glauque se cache un film soviétique d'une étonnante liberté de ton. On est dans les années 20 et <strong>Abram Room </strong>aborde de manière parfaitement explicite une série de thèmes d'une modernité incroyable : dans cet appartement moscovite (aux apparences légèrement bourgeoises quand même) où se retrouveront deux ouvriers et la femme de l'un d'eux, il sera question de triolisme et de libertinage à peine voilés, d'homosexualité, de féminisme et même d'avortement.</p>
<p>Cette scène comique dans laquelle les deux hommes Vladimir et Nikolaï s'embrassent, l'un faisant une blague et l'autre pensant embrasser la femme, est vraiment mémorable. De l'autre côté du spectre émotionnel, il y a ce moment où les deux hommes décident de concert que la femme enceinte doit avorter, sans avoir cherché à en discuter au préalable avec la principale concernée. Lorsque Lioudmila se retrouvera dans la salle d'attente d'une clinique, toute seule, au moment de faire un choix, c'est la place de la femme au sein de la société soviétique qui se trouve questionnée. Elle choisira la voie de l'émancipation en mettant les voiles.</p>
<p>On se croirait à certains moments dans l'équivalent russe du Forbidden Hollywood, ces films de l'ère Pré-Code qui manifestaient une incroyable liberté de forme et de ton avant la mise en place de la censure Hays. Avec en prime quelques aperçus poétiques de la vie à Moscou au début du 20ème siècle, dans la rue et sur les chantiers de construction, comme une vague évocation du cinéma à venir de <strong>Dziga Vertov </strong>(<ins>L'Homme à la caméra</ins> sort deux ans plus tard) — ou <strong>Walter Ruttmann</strong> la même année, du côté allemand, avec <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Berlin-symphonie-d-une-grande-ville-de-Walther-Ruttmann-1927">Berlin, symphonie d'une grande ville</a></ins>.</p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/trois_dans_un_sous-sol/.appart_m.jpg" alt="appart.jpg, mar. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Trois-dans-un-sous-sol-de-Abram-Room-1927#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/747Cruising, la chasse, de William Friedkin (1980)urn:md5:f74116405a12731e09dd1aa53f3418082019-05-06T10:42:00+02:002019-05-06T12:58:26+02:00RenaudCinémaAl PacinoHomosexualitéIdentitéIncertitudeThrillerWilliam Friedkin <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/cruising/.cruising_m.jpg" alt="cruising.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="cruising.jpg, mai 2019" /><div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"There’s a lot about me you don’t know."</strong></ins></span>
</div>
<p>Étrangement, il ne me semble pas que le film ou même les milieux décrits dans le film aient vraiment vieilli — sous entendu, mal vieilli : les années 80 se flairent quoi qu'il en soit à des kilomètres. Au contraire, à mes yeux, <ins>Cruising</ins> renvoie une image très nette de cette décennie, avec une myriade de symboles, de styles, de préoccupations thématiques et esthétiques. Tout est resté intact. Je rejetterais les accusations d'homophobie dont le film a fait l'objet ici ou là, bien que je ne sois pas le mieux placé pour en parler, car dès l'introduction du contexte de la mission d'<strong>Al Pacino</strong> on nous signale bien le fait que le milieu dans lequel le protagoniste va devoir s'infiltrer n'a rien de la communauté homosexuelle "traditionnelle", mais est plutôt porté sur des pratiques SM qui n'ont rien de représentatif. J'y vois là un signe manifeste de la part de <strong>Friedkin</strong>, une sorte de gage pour précisément éviter ces accusations... Peine perdue.</p>
<p>On peut croire dans un premier temps à une banale enquête policière, dans un contexte social certes particulier, mais cela aurait été bien mal connaître <strong>Friedkin</strong> et ses petites lubies. Faux sujet, faux thriller. Tout cela est progressivement mis de côté, un prétexte tout au plus, pour se focaliser sur le portrait de plus en plus ambigu de <strong>Pacino</strong> en immersion, en plein questionnement existentiel (et pas uniquement sexuel). On peut assez facilement voir dans la traque du tueur une quête introspective du flic, le véritable enjeu au centre du film.</p>
<p>Ce qui est tout aussi appréciable, à un autre niveau, c'est la façon relativement subtile dont sont disséminés plusieurs faux indices, comme autant de vrais symboles. Je ne les ai probablement pas tous recensés, mais l'ensemble forme une toile de fond intrigante, qui se densifie et se complexifie au cours du temps. Il y a bien sûr les "évidences" de fin de film, avec le meurtre de son ancien voisin et les habits (les mêmes que portait le probable tueur) qu'il a conservés, témoignant l'instabilité de son état. Mais il y a bien plus que cela, et de nombreuses questions essaimées tout au long de <ins>Cruising</ins> resteront en suspens. Pourquoi l'assassin, quand il est filmé de manière directe mais partielle, semble-t-il constamment changer de visage, parfois presque d'une scène à l'autre ? Pourquoi <strong>Pacino </strong>semble-t-il s'être trompé en mettant un foulard jaune dans sa poche arrière (signification : donneur ou receveur de golden shower), alors qu'il venait de demander au commerçant le sens de ces foulards de couleur ? Son "<em>there’s a lot about me you don’t know</em>" final entretient savamment le doute. Ce faisceau d'indices un peu flous tant sur la personnalité du personnage que sur les motivations du film construit une belle incertitude.</p>
<p>Loin des préoccupations hypothétiquement documentaires (ce dont je doute), et au-delà de l'absence de jugement moral (qui me paraît sincère, encore une fois), <strong>Friedkin</strong> esquisse une continuité dans la transmission du mal et dans le caractère contagieux de la perversion qui donne à <ins>Cruising</ins> une couleur presque fantastique.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/cruising/.flics_m.jpg" alt="flics.jpg" title="flics.jpg, mai 2019" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/cruising/.porche_m.jpg" alt="porche.jpg" title="porche.jpg, mai 2019" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/cruising/.escaliers_m.jpg" alt="escaliers.jpg" title="escaliers.jpg, mai 2019" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Cruising-La-Chasse-de-William-Friedkin-1980#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/645Le Dossier 51, de Michel Deville (1978)urn:md5:3a86f44f61e221530aae6c80bac97e842019-01-18T15:22:00+01:002019-01-18T15:22:00+01:00RenaudCinémaChantageDiplomatieEspionnageHomosexualitéInvestigationServices secretsSurveillance <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/dossier_51/.dossier_51_m.jpg" alt="dossier_51.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="dossier_51.jpg, janv. 2019" /><div id="centrage">
<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>La vie privée d'un diplomate jetée en pâture aux services secrets<br /></strong></ins></span>
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<p>On peut affirmer sans trop d'hésitation, une fois refermé ce <ins>Dossier 51</ins>, qu'il s'agit d'une expérience cinématographique unique en son genre. Même si l'ensemble ne constitue pas une œuvre totalement inédite, car adaptée d'un roman, le travail d'adaptation constitue un exercice de style immersif et passionnant, doublé d'une originalité conséquente. Comme happé par l'intrigue dès les premières minutes, plongé sans ménagement au cœur d'une enquête sur un haut fonctionnaire afin d'en exposer la vie privée pour mieux le manipuler, on suit une entreprise d'espionnage particulièrement minutieuse du début à la fin de la mission. Contraste étonnant : d'un côté, les informations au sujet de l'organisation qui commandite l'opération resteront extrêmement parcellaires, maquillées derrière des noms de code et des alias à profusion, et de l'autre, les opérations en question seront retranscrites au plus près de l'action, à travers les yeux des nombreux espions à l'œuvre via une caméra subjective. Un dispositif très rare au cinéma, qu'une série de documents, photos et autres témoignages, viennent régulièrement ponctuer. Peu à peu, les voix off qui commentent la conduite de l'opération (on peut parfois penser à <ins>La Jetée</ins> de <strong>Chris Marker</strong>) dévoilent leurs identités, pour terminer sur la préparation de l'acte final à visages découverts — mais toujours en caméra subjective.</p>
<p>Le procédé peut rebuter, évidemment, dans la lourdeur des mécanismes narratifs développés ici, et les premières minutes seront déterminantes dans l'adhésion au schéma global. Une fois passé un temps d'adaptation introductif où l'on se familiarise avec l'environnement de travail sans cerner tous les tenants et aboutissants, on finit par mener l'enquête de l'intérieur, en adoptant le point de vue de l'horrible entreprise en charge de collecter des informations sur Dominique Auphal, surnommé "51".</p>
<p>Certaines révélations, notamment concernant la sexualité du personnage éponyme, ne font plus aujourd'hui l'effet qu'elles faisaient, sans doute, à la fin des années 70. Le secret s'évente de lui-même un peu avant le climax théorique de l'œuvre. La séquence presque finale d'exploitation de cette faille, à grand renfort de psychologie freudienne orthodoxe parfaitement catégorique, peut faire sourire, en 2018. Mais la violence de l'opération est intacte. <ins>Le Dossier 51</ins>, de par sa mise en scène si intense et si minutieuse, reste tout à fait prenant et produit tout de même des effets surprenants, comparables à ceux de <ins>Conversation secrète</ins> ou <ins>Blow Out</ins>, dans leurs registres bien distincts.</p>
<p>Aussi glaçant que prenant, on se retrouve presque malgré soi embarqué dans une entreprise de démolition méticuleuse qui suscite autant d'émotion que d'effroi. Le ton neutre, sur le thème du pseudo-documentaire, renforce cette dimension-là, et souligne indirectement la cruauté d'une telle machination. Aucune prise de distance n'est permise : on est maintenu au plus près du déroulement des opérations d'espionnage, sans recul possible. Avec quelques notes d'humour disséminées çà et là, principalement liées à la mise en concurrence de plusieurs services d'espionnage, le dossier ainsi constitué, que le spectateur consulte en regardant le film, en quelque sorte, forme un ensemble extrêmement hétéroclite. Au sein de l'entreprise d'exposition de l'intimité de "51", il n'est pas rare de voir à travers les yeux du projectionniste qui change une bobine, ou à travers ceux d'un espion à l'œuvre, en plein crochetage qu'il trouvera gratifiant. Tous ces éléments annexes, presque chaleureux, ne font paradoxalement que renforcer la dimension austère de l'ensemble. Une note originale supplémentaire, sur une partition décidément très singulière.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/dossier_51/.ecran_m.jpg" alt="ecran.jpg" title="ecran.jpg, janv. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/dossier_51/.reunion_m.jpg" alt="reunion.jpg" title="reunion.jpg, janv. 2019" />
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