Je m'attarde - Mot-clé - Irak le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearLeçons de ténèbres, de Werner Herzog (1992)urn:md5:61a14aac7bce850ea654ae49e3a31a062018-07-24T10:34:00+02:002018-07-24T10:09:32+02:00RenaudCinémaGuerreIncendieIrakScience-fictionWerner Herzog <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/lecons_de_tenebres/.lecons_de_tenebres_m.jpg" alt="lecons_de_tenebres.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="lecons_de_tenebres.jpg, juil. 2018" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Instantanés de destruction et poésie funèbre du chaos<br /></strong></ins></span>
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<p>J'étais prêt à enterrer le <strong>Herzog </strong>des années 90, sur la base très partielle d'œuvres assez peu passionnantes comme <ins>Jag Mandir</ins> (chronique d'une gigantesque fête indienne), et voilà que <ins>Leçons de ténèbres</ins> surgit presque par surprise, comme un éclair dans la nuit, avec sa vision apocalyptique de l'Irak au lendemain de la Première Guerre du Golfe. Avec tout le grandiose et le grandiloquent que suggère un accompagnement musical basé sur <strong>Grieg</strong>, <strong>Mahler</strong>, <strong>Prokofiev</strong>, <strong>Schubert</strong>, <strong>Verdi </strong>et surtout <strong>Wagner</strong>, <strong>Werner Herzog </strong>se lance dans un magnifique opéra funèbre. Comme un cousin éloigné et noir de <ins>Koyaanisqatsi</ins> ou <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Homo-Sapiens-de-Nikolaus-Geyrhalter-2016"><ins>Homo Sapiens</ins></a> misant presque tout sur la sidération de l'image : un regard totalement halluciné sur une réalité subtilement horrifiante.</p>
<p>Pourtant, on est tenté de rire lorsque <strong>Herzog </strong>nous invite au voyage, en nous indiquant que l'on se situe sur une planète inconnue du système solaire, et en ancrant le récit dans un cadre science-fictionnel auquel on ne croit pas un instant, bien sûr. "<em>Un être vivant tente de nous dire quelque chose</em>", là où un pompier américain missionné pour éteindre les gigantesques puits de pétrole enflammés fait des signes à l'équipe de tournage. Mais en dépit de toute vraisemblance, en citant <strong>Pascal </strong>(faussement, a priori : "<em>l’effondrement de l’univers stellaire se déroulera comme la création, dans une grandiose splendeur</em>") en introduction, <strong>Herzog </strong>parvient tout de même à nous projeter dès les premières images dans un monde étrange, dans une sorte de réalité parallèle et apocalyptique.</p>
<p><strong>Hervé Aubron </strong>rappelle comment <strong>Herzog </strong>a été hué et conspué lorsqu'il présenta ce film au festival de Berlin, accusé d'esthétiser l'horreur à outrance. C'est un trait que l'on ne saurait nier : l'esthétique magnifique de ces paysages désolés n'a d'égal que l'horreur sous-jacente qu'ils contiennent. Pourtant, <strong>Herzog </strong>n'a de cesse de nous rappeler la tristesse de ces images et ne nous confronter à un désenchantement permanent, loin de toute ambiguïté. Non, ces grandes étendues bleutées ne sont pas composées d'eau mais bien de pétrole, cette substance qui s'infiltre partout, dans la terre et jusque dans l'atmosphère à travers ces geysers géants.</p>
<p><strong>Herzog </strong>reste <strong>Herzog </strong>: on peine à le croire quand il affirme que les pompiers mettent volontairement le feu à des geysers de pétrole, pour la beauté du geste, alors qu'ils ont eu tant de mal à les éteindre. Mais il aura rarement été aussi pessimiste, malheureux, marqué par une telle affliction. En se plaçant dans un cadre de science-fiction, même de manière aussi artificielle, il souhaite faire un pas de côté, prendre ce recul salutaire qui permet de contempler la misère humaine dans toute sa puissance auto-destructrice. <ins>Leçons de ténèbres</ins> est presque entièrement constitué de prises de vue en hélicoptère, grandioses, consacrant le caractère aussi démesuré que spectaculaire de la catastrophe en train de se dérouler plus bas. Et le film de se terminer sur une succession de plans sur les machines utilisées pour éteindre les incendies et réparer les canalisations explosées d'où s'échappe un pétrole en fusion. Un magma de feu et d'acier, que les lances d'incendie tentent tant bien que mal de maintenir à l'état solide. Jamais des tracteurs n'auront paru aussi magnifiques, au cœur de la fournaise.</p>
<p>Ces images, aériennes sur d'immenses colonnes de feu et de fumée mêlés, ou terrestres sur ces monstrueuses machines de métal, forment un magnifique instantané de destruction. Une poésie funèbre du chaos qui n'est pas près de quitter ma rétine.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/lecons_de_tenebres/.noir_m.jpg" alt="noir.jpg" title="noir.jpg, juil. 2018" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/lecons_de_tenebres/.mine_m.jpg" alt="mine.jpg" title="mine.jpg, juil. 2018" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/lecons_de_tenebres/.feu_m.jpg" alt="feu.jpg" title="feu.jpg, juil. 2018" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/lecons_de_tenebres/.structure_m.jpg" alt="structure.jpg" title="structure.jpg, juil. 2018" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/lecons_de_tenebres/.fumee_m.jpg" alt="fumee.jpg" title="fumee.jpg, juil. 2018" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/lecons_de_tenebres/.lune_m.jpg" alt="lune.jpg" title="lune.jpg, juil. 2018" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Lecons-de-tenebres-de-Werner-Herzog-1992#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/531Homeland, Irak année zéro : "Avant la chute" et "Après la bataille", de Abbas Fahdel (2016)urn:md5:b28489aa6e31a77e80050837351351082016-05-08T00:30:00+02:002016-05-08T19:16:35+02:00RenaudCinémaEtats-UnisGuerreInvasionIrak <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homeland_irak_annee_zero/.homeland_irak_annee_zero_m.jpg" alt="homeland_irak_annee_zero.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="homeland_irak_annee_zero.jpg, mai 2016" />
<div id="centrage"><p><span style="font-size: 18pt;"> <ins><strong>La guerre (d'Irak) jusque dans l'intime<br /></strong></ins></span></p>
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<p>Certains documents amateur n'auraient jamais eu l'immense valeur qu'ils ont aujourd'hui si le cours de l'Histoire avait plus ou moins légèrement dévié du chemin qu'il a emprunté. On peut trouver de nombreux exemples de personnes, se trouvant au bon endroit au bon moment, qui ont eu conscience que quelque chose de majeur était en train de se passer. Dans les documentaires vus récemment, je pense notamment à la retranscription des événements autour du siège de Sarajevo par <strong>Rémy Ourdan</strong> et <strong>Patrick Chauvel</strong>, sobrement intitulé <ins>Le Siège</ins> : témoignage poignant d'une survie et d'une résistance, d'une communauté emprisonnée malgré elle. Si les États-Unis n'avaient pas envahi l'Irak en mars 2003 pour une durée totale de presque neuf ans (jusqu'en décembre 2011), les vidéos d'<strong>Abbas Fahdel</strong> seraient sans doute restées à l'intérieur d'un cercle familial restreint et n'auraient pas acquis l'incroyable puissance du documentaire de guerre indirect qu'est <ins>Homeland : Irak année zéro</ins>.</p>
<p>De février 2002 à avril 2003, avec une interruption pendant les combats armés de la "guerre préventive" (George W. Bush déclara l'achèvement des combats le 1er mai 2003, sous la bannière "Mission accomplie"), le réalisateur franco-irakien filme ses proches, sa famille, ses amis. Il ne le sait pas à l'époque, mais il filme l'Irak aux portes de la guerre, à travers le prisme de son entourage et des soucis grandissants. Résultat (en deux parties) : cinq heures et trente minutes de témoignages, principalement sous forme de chroniques de la vie quotidienne, avant et après l'invasion américaine.</p>
<p><img title="haidar1.jpg, mai 2016" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="haidar1.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homeland_irak_annee_zero/.haidar1_m.jpg" /></p>
<p>Dans la première partie, le conflit est dans toutes les têtes mais il n'a pas encore éclaté. Beaucoup d'incertitudes à tous les âges, les questions fusent, mais on est encore loin d'avoir conscience de l'implication de la population irakienne et de ses conséquences. On ne comprend pas encore les mécanismes de la géopolitique internationale à l'œuvre, mais <strong>Abbas Fahdel </strong>sait qu'une lourde page est en train de se tourner :</p>
<blockquote><p>"Quand s’est précisée la menace d’une guerre, j’ai compris que l’Irak de ma jeunesse, celui que j’avais quitté pour venir étudier le cinéma à Paris, que cet Irak-là était en passe de disparaître. J’ai décidé d’y retourner avec une caméra, de filmer toutes les petites choses du quotidien pour les sauver de l’anéantissement. Pour rejoindre les miens aussi, et peut-être mourir avec eux. Comme le dit l’un des protagonistes du film : à quoi bon rester en vie, si tout le reste de notre famille mourrait ? Peut-être me sentais-je aussi coupable d’être parti. Et puis, j’étais également animé par une sorte de superstition : tant que je les filmais, rien ne pouvait leur arriver. Cela s’est d’ailleurs confirmé. Un mois après que j’ai eu arrêté de tourner, mon neveu Haidar, très présent dans le film, a été assassiné. Quelques mois plus tard, deux de ses cousins ont été tués à leur tour."</p>
</blockquote>
<p>Il part alors en Irak et dessine le portrait d'un pays à travers les préoccupations des membres de sa famille. Derrière les gestes communs de l'école, du jardinage et de la cuisine, sous le poids des clichés occidentaux et de la propagande du régime, au-delà de la tension grandissante qui accompagne un conflit imminent, le roman familial devient illustration des manuels d'Histoire. On vit littéralement avec cette grande famille dans ses élans de peur et d'espoir, on capte l'air de Bagdad durant cette époque charnière, on comprend comment la guerre influence le quotidien avant qu'elle ne commence et après qu'elle soit terminée. C'est tout le poids écrasant de l'Histoire qui confère au film familial devenu documentaire sa force, sa particularité, sa valeur. La réalité du peuple irakien d'alors n'aura jamais été montrée d'aussi près, dans une aussi grande diversité, de manière aussi immersive et en instaurant une telle proximité. Haidar, 13 ans, neveu du réalisateur, est un personnage de réalité et de fiction incroyable, inoubliable.</p>
<p><img title="balles.jpg, mai 2016" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="balles.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homeland_irak_annee_zero/.balles_m.jpg" /></p>
<p>Après la menace d'une guerre et l'attente insupportable que génère la crainte d'une invasion racontées dans le premier volet, la seconde partie se place dans l'après. Aux stigmates des guerres du Golfe passées, encore profondément ancrées dans les paysages urbains, se sont ajoutées des crevasses plus récentes. "Après la bataille" retrace le quotidien d'une décomposition, celle d'un pays dont le tyran a été chassé et qui plonge dans le chaos. Les langues se délient : c'est là qu'on prend conscience du silence de la population au sujet de Saddam Hussein dans la première partie, "Avant la chute", alors qu'il était omniprésent, des spots de propagande à la télévision aux immenses posters et statues à son effigie. La censure parle d'elle même dès qu'elle n'est plus. Les journées sont aussi plus dures, marquées par les coupures d'électricité, les actes sauvages des pillards, et les produits de première nécessité qui se font rares. On accumule les rations alimentaires, on creuse des puits, on se protège comme on peut mais on sent bien que l'équilibre est extrêmement fragile. L'humour, comme toujours, arrondit les angles. <strong>Abbas Fahdel </strong>filme très bien la réalité aussi simple qu'extraordinaire, aussi banale que dangereuse.</p>
<p>Il se dégage de <ins>Homeland, Irak année zéro</ins> une incroyable authenticité dans l'intime et on en vient à oublier la présence du réalisateur derrière la caméra. Le documentaire brille par la pluralité de ses angles d'attaque et de ses points de vue, sur le régime de Saddam Hussein et du Parti Baas comme sur l'intervention de la coalition. Il y a quelques vérités qui résonnent de manière bien étrange quand elles sortent de la bouche d'un dictateur ou quand elles sont pressenties et ressenties par une population à la veille d'un conflit qui bouleversera l'équilibre du pays. D'une histoire de famille à l'Histoire d'un pays, du cercle intime de ses proches à celui d'un peuple, <strong>Abbas Fahdel </strong>raconte la guerre en général et celle d'Irak en particulier, à travers ce précieux document, de manière proprement exceptionnelle.</p>
<p><img title="haidar2.jpg, mai 2016" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="haidar2.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homeland_irak_annee_zero/.haidar2_m.jpg" /></p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Homeland-Irak-annee-zero-de-Abbas-Fahdel-2016#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/316