Je m'attarde - Mot-clé - Isolement le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearLe Nœud coulant, de Wojciech Has (1958)urn:md5:0d14c9ca16061bbf160cc8c407d0fb722022-01-20T13:31:00+01:002022-01-20T13:31:00+01:00RenaudCinémaAlcoolIsolementPologneWojciech Has <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/noeud_coulant/.noeud_coulant_m.jpg" alt="noeud_coulant.jpg, déc. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Na zdrowie<br /></strong></ins></span>
</div>
<p>Dans un style très éloigné des films les plus connus de <strong>Wojciech Has </strong>comme <ins>La Clepsydre</ins> (ou même <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Poupee-de-Wojciech-Has-1968"><ins>La Poupée</ins></a>) qui déployaient (ou plutôt déploieront) une toile onirique extrêmement vigoureuse par-dessus un récit particulièrement ambitieux, <ins>Le Nœud coulant</ins> se présente comme l'immersion dans le quotidien d'un jeune alcoolique polonais d'une trentaine d'années. Le noir et blanc, l'ambiance stressante, les cadres exigus, tout porte à croire que l'on est dans un univers qui n'a rien à voir avec le voyage dans un étrange sanatorium doublé d'un voyage dans le temps du film précédemment cité. On se croirait presque dans un film noir américain, entre la sonnerie du téléphone déclenchant une angoisse viscérale ostensible chez le protagoniste et la présence de stéréotypes à peine esquissés.</p>
<p>Mais rien de tout cela : c'est l'histoire d'un alcoolique qui a décidé d'arrêter de boire mais qui doit attendre une journée avant de pouvoir commencer son sevrage en bonne et due forme. Une journée à être confronté à tout le microcosme qui connaît (voire participe à) sa réputation d'ivrogne, avec ceux qui le traitent comme un moins que rien en le rappelant sans cesse à sa triste condition ou la cohorte de camarades de bouteille. Cette journée dans la vie de Kuba, l'homme incarné par <strong>Gustaw Holoubek </strong>(très crédible dans son rôle, notamment au bar avec l'alcool qui semble transpirer par tous ses pores), s'apparente avant tout à une errance triste, une trajectoire qui cherche à s'extraire d'un cycle infernal mais qui se transforme sans cesse pour renouer avec un cercle vicieux.</p>
<p>L'anxiété omniprésente traverse sans mal l'écran pour développer une paranoïa kafkaïenne, à mesure que le personnage évolue dans les rues, dans les bars, jusque dans son appartement. Un homme qui tente désespérément d'échapper à son isolement mais qui échoue dramatiquement, laissant derrière lui un nuage alcoolisé hypnotisant. Absolument tout le ramène à cette obsession, à son addiction. Même une horloge et l'aiguille qui tourne s'impose comme un symbole oppressant à ses yeux. La bouteille de vodka comme principal antagoniste d'un simili film noir : le schéma était quand même très peu prévisible.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/noeud_coulant/.img1_m.png" alt="img1.png, déc. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/noeud_coulant/.img2_m.png" alt="img2.png, déc. 2021" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Noeud-coulant-de-Wojciech-Has-1958#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1025Happy People : un an dans la Taïga, de Werner Herzog et Dmitry Vasyukov (2010)urn:md5:bd0f4669b6d8b6794106234115a322d02021-04-01T20:25:00+02:002021-04-01T19:26:23+02:00RenaudCinémaBoisChasseChienForêtIsolementNaturePêcheRussieSibérieTaïgaWerner Herzog <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/happy_people_un_an_dans_la_taiga/.happy_people_un_an_dans_la_taiga_m.jpg" alt="happy_people_un_an_dans_la_taiga.jpg, mar. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Au pays du bois et de la neige<br /></strong></ins></span></div>
<p>Sans doute faut-il préciser et insister sur le fait qu'il ne s'agit pas vraiment d'un film de <strong>Herzog</strong>, puisque le réalisateur allemand est parti d'un travail documentaire effectué par <strong>Dmitry Vasyukov </strong>pour la télévision russe (quatre épisodes d'une heure) et y a seulement dans un second temps apposé sa célèbre voix off anglaise, teutonne et monotone. Précision importante qui n'entrave en rien le plaisir et la sidération émanant très naturellement de ce témoignage de la vie des trappeurs au fond de la taïga sibérienne, au sein d'environnements boisés et glacés magnifiques qui rappellent ceux des Inuits des régions arctiques de l'Amérique du Nord — avec toutefois la spécificité des forêts de bouleau et les trognes incroyables des chasseurs russes.</p>
<p>Deux éléments un peu fâcheux : la musique, un peu trop bassement lyrique, assez éloignée de ce qu'a pu composer <strong>Popol Vuh</strong> par le passé, et la qualité d'image, qui ne fait pas vraiment honneur à la magnificence spontanée des lieux.</p>
<p><ins>Happy People</ins> aurait pu durer deux heures de plus, on ne se serait toujours pas lassé de regarder Gennady Soloviev, Nikolay Nikiforovitch Siniaev et Anatoly Tarkovsky dans leurs activités quotidiennes au gré des saisons. Sauf exception, les conditions autarciques absolues dans lesquelles ils vivent les ont poussés à développer une autonomie et une indépendance surhumaines (ou préhistoriques, comme le dit <strong>Herzog</strong>). L'étendue des tâches qu'ils réalisent avec seulement un couteau et une hache est littéralement démentielle : ils construisent des skis pour avancer sur les immenses étendues neigeuses, ils fabriquent des canots pour naviguer sur le fleuve Ienisseï, ils construisent de nombreux pièges différents (en bois ou en acier) pour attraper principalement des zibelines, ils déploient des filets pour pêcher des énormes brochets sous la glace épaisse, ils construisent (et réparent) des refuges à l'aide de troncs, de terre et de mousse pour l'isolation, et de toiles plastiques pour les fenêtres (car les ours cassent trop facilement le verre). Tout juste utilisent-ils une tronçonneuse pour abattre les plus gros arbres et une petite motoneige pour parcourir des centaines de kilomètres par jour avec un chien qui suit derrière.</p>
<p>Petit moment semi-comique lorsque Gennady atteint son refuge au crépuscule, au terme d'une journée bien remplie, pour découvrir qu'un arbre a chuté sur le toit : patiemment, avec sa pelle et sa hache, il déplace des mètres cubes de neige et il débite le tronc imposant par moins 30 degrés. On rigole en revanche beaucoup moins lorsqu'il raconte l'épisode de l'affrontement avec l'ours qui coûta la vie à deux de ses chiens, éviscéré par la bête.</p>
<p>Mais ce qui domine dans <ins>Happy People</ins> à mes yeux, au-delà de ce mode de vie hallucinant qui nous parvient par bribes hallucinées, c'est le rapport intense et intime à la nature et à la matière. Le bois est coupé, recoupé, taillé, biseauté, troué, raboté, brûlé, durci, élargi. On en fait des outils, des canots, des abris, des pièges, de la chaleur, et même des coins fendeurs. Ils fabriquent même du répulsif anti-moustique à partir de concentré d'écorce de bouleau mélangé à de l'huile, à destination des adultes, des enfants et même des chiens. Inutile de lutter contre la neige, on compose avec, on déblaye le strict nécessaire pour pouvoir rentrer ou pour protéger le toit, on perce des ouvertures pour accéder à l'eau des rivières gelées. Ces gens-là vivent seuls, au rythme des éléments presque toute l'année, ils travaillent le bois le matin, ils installent des filets de pêche le midi et ils réparent des maisons le soir.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/happy_people_un_an_dans_la_taiga/.bois_m.jpg" alt="bois.jpg, mar. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/happy_people_un_an_dans_la_taiga/.gennady_m.jpg" alt="gennady.jpg, mar. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/happy_people_un_an_dans_la_taiga/.maison_m.jpg" alt="maison.jpg, mar. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/happy_people_un_an_dans_la_taiga/.piege_m.jpg" alt="piege.jpg, mar. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/happy_people_un_an_dans_la_taiga/.taiga_m.jpg" alt="taiga.jpg, mar. 2021" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Happy-People-un-an-dans-la-Taiga-de-Werner-Herzog-et-Dmitry-Vasyukov-2010#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/926Ága, de Milko Lazarov (2018)urn:md5:37ec4348b917ed3488efc5684608602e2021-02-21T12:27:00+01:002021-02-21T12:32:45+01:00RenaudCinémaDocumentaireFroidIsolementMineMortNeigeRussieSibérieSolitude <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/aga/.aga_m.jpg" alt="aga.jpg, fév. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Hommage en demi-teinte à Nanouk<br /></strong></ins></span></div>
<p>Les films (documentaires ou de fiction) qui explorent cette région du globe, l'extrême Nord-Est sibérien tout près du cercle polaire arctique, ne sont pas légion. <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Kolyma-Road-of-Bones-de-Stanislaw-Mucha-2017"><ins>Kolyma: Road of Bones</ins></a> sorti récemment s'intéressait à une route plus au Sud, marquée par le passé des camps de travail forcé. On pense également à <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Dersou-Ouzala-d-Akira-Kurosawa-1975"><ins>Dersou Ouzala</ins></a> et à <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Lettre-inachevee-de-Mikhail-Kalatozov-1959"><ins>La Lettre inachevée</ins></a> pour les meilleurs moments, et à <ins>7 chants de la toundra</ins> pour la partie moins engageante du voyage. Il y a aussi les contreparties sous d'autres longitudes, du côté du grand Nord canadien, avec <ins>Atanarjuat, la légende de l'homme rapide</ins> et bien sûr le pilier de <strong>Flaherty </strong><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Nanouk-l-Esquimau-de-Robert-Flaherty-1922"><ins>Nanouk l'Esquimau</ins></a> auquel se réfère beaucoup le réalisateur bulgare <strong>Milko Lazarov </strong>ici : on reconnaît la captation de certains gestes traditionnels, reproduits dans cette fiction tournée en décor réels par des acteurs non-professionnels pour certains.</p>
<p>Une région où la norme tourne autour du -40°C, rien que ça. Dans ce coin unique, <ins>Ága</ins> n'a pas vraiment à forcer pour capter la beauté plastique sidérante des environs, et le format retenu pour la pellicule ne fait qu'exacerber cela. Le blanc immaculé de la neige, le bleu pur du ciel... c'est un cadre hors du commun, pourtant un peu trop esthétisé à mon goût ici par la sur-composition des cadres, dans une dimension extrêmement contemplative un peu dommage, qui gâche le potentiel immense. Le récit prend l'allure d'un conte moderne dans un coin extraordinaire, avec un parti pris esthétique très fort, mais plutôt limité, malheureusement. Un style quasi documentaire, une grande limitation dans les dialogues, le maniement de symboles un peu forts (la blessure de la femme, ulcère qu'elle soigne en cachette, la marque rouge du sang sur la neige, l'arbre et la pierre au milieu de l'immensité blanche, le blanc de la fourrure du renard, etc.) forment un tout attachant sous certains aspects, malgré de nombreuses traces de gros sabots.</p>
<p>Les violons en sont sans doute la partie la plus visible, déclenchés dans quelques moments dramatiques qui ne demandaient pas à être autant soulignés par la bande-son : la disparition de la femme, les retrouvailles avec la fille, avec bonus larmes, etc. L'acte final est assez inattendu mais ce n'est pas le climax émotionnel visé. On en restera donc à la photographie renversante dans des conditions extrêmes plus qu'à l'exploration culturelle du peuple iakoute, grandement limité à une autarcie autour d'une yourte avec un chien de traineau unique. Un peuple en passe d'être englouti par la modernité, à l'image de cette mine de diamants finale, magistrale plaie au milieu de la terre capturée en travelling arrière.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/aga/.couple_m.jpg" alt="couple.jpg, fév. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/aga/.traineau_m.jpg" alt="traineau.jpg, fév. 2021" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Aga-de-Milko-Lazarov-2018#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/917L'Éveil de la glèbe, de Gunnar Sommerfeldt (1921)urn:md5:6ac2f9d78b3296621714edcca7f985fe2020-10-12T22:27:00+02:002020-10-12T21:31:11+02:00RenaudCinémaBoisCinéma muetForêtIsolementMineNorvègePaysan <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/eveil_de_la_glebe/.eveil_de_la_glebe_m.jpg" alt="eveil_de_la_glebe.jpg, oct. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Naissance d'une nation<br /></strong></ins></span></div>
<p>Un obscur film norvégien (bien qu'adapté d'un roman à succès écrit par un prix Nobel de littérature) qu'on croyait perdu jusqu'à ce qu'on retrouve deux bobines complémentaires au début des années 2000 — qui ne permirent pas de reconstituer la totalité du film, une vingtaine de minutes étant toujours considérées comme perdues aujourd'hui. Une œuvre en l'état incomplète, donc, à prendre avec des pincettes. On peut supposer que les scènes manquantes figurent dans les deux derniers tiers, tant l'histoire y est sujette à des ellipses conséquentes et à des zones très floues qui rendent la narration assez chaotique.</p>
<p>Mais on peut tout de même apercevoir quelque chose de très intéressant au-delà de ces coutures approximatives un peu trop visibles : l'établissement du paysan Isak dans les contrées très reculées de la Norvège sauvage, de sa petite hutte de fortune pour passer l'hiver jusqu'à sa maison en bois construite de ses propres mains, dégage un lyrisme champêtre et une poésie extrêmement charmante. C'est un peu la naissance d'une nation (d'une communauté, disons), au creux de landes vierges et presque stériles, particulièrement inhospitalières. Sa recherche d'une gouvernante, puis sa rencontre avec Inger, occupe l'essentiel du premier segment de <ins>L'Éveil de la glèbe</ins>, jusqu'à ce qu'elle tombe deux fois enceinte. Au troisième accouchement, une fille naîtra avec le trait distinctif de la mère, un bec de lièvre, qui provoquera une intense horreur, au point qu'elle enterrera le nouveau-né sur le champ, vivant. On a un peu de mal à s'approprier son geste, tant la chose est rapide et décontextualisée, et il en résulte une poussée dramatique un peu excessive. Le personnage d'Oline en rajoutera des couches et des couches dans la tragédie, conduisant à l'emprisonnement de la mère, son infanticide lui coûtant 8 ans de bagne. Gageons que les bobines manquantes se trouvaient à cet endroit de la pellicule.</p>
<p>Au-delà de l'isolement du fermier Isak, perdu au milieu de paysages montagneux magnifiques, c'est la lente apparition d'une communauté dans ces montagnes enneigées qui vaut le détour. D'abord une vache, puis un cheval, puis des enfants, puis un bailli, puis des voisins, puis des mineurs, etc. C'est dans cette dernière direction que le film se montre relativement brouillon, tant la construction de la mine et les soucis qui en découleront semblent décousus, au sein d'une narration plutôt inconsistante comportant d'étranges omissions. Mais c’est aussi au cours de ce segment que le titre du film prend tout son sens, comme l’épiphanie de tout ce qui a précédé — la glèbe était la terre d’un domaine auquel un serf était attaché, à l’époque féodale.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/eveil_de_la_glebe/.paysan_m.jpg" alt="paysan.jpg, oct. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Eveil-de-la-glebe-de-Gunnar-Sommerfeldt-1921#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/850Castaway, de Nicolas Roeg (1986)urn:md5:34f19f0bac141186e1d413c07df3b1ed2020-06-02T10:39:00+02:002020-06-02T09:41:30+02:00RenaudCinémaAventuresCoupleCriseDésirErotismeIleIle déserteIsolementMariageNatureNicolas RoegOliver ReedVoyage <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/castaway/.castaway_m.jpg" alt="castaway.jpg, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"I believe in our future here."</strong></ins></span>
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<p>La présence d’<strong>Oliver Reed </strong>dans un tel film, ça dépasse l'entendement. 15 ans après sa prestation outrée, hallucinée et over the top dans <ins>Les Diables</ins> de <strong>Ken Russell</strong>, on le retrouve embarqué dans cette histoire renversante, adaptée de deux livres autobiographiques, dédiée à la lubie romantique d’un écrivain échoué volontaire sur une île déserte australienne en très bonne compagnie — qu'il avait pris le temps de soigneusement sélectionner au préalable. C'est le récit authentique de Lucy Irvine, une employée londonienne de 25 ans, blasée par la vie citadine, qui répond à une annonce dans Time Out London stipulant "écrivain d'une trentaine d'années recherche jeune épouse pour passer une année dans une île tropicale"... Une annonce placée par Gerald Kingsland, 49 ans, qui sélectionna cette femme parmi plus de cinquante candidates et avec qui il se maria (afin de respecter une loi australienne restreignant l'immigration) pour aller passer un an sur l'île de Tuin. Chacun des deux écrira un livre à l'issue de cette aventure, base de travail pour cette adaptation réalisée par le décidément très singulier <strong>Nicolas Roeg</strong>.</p>
<p>Ainsi, <ins>Castaway</ins> (à ne pas confondre avec le film de <strong>Robert Zemeckis</strong>, <ins>Cast away</ins>, "Seul au monde" en français) se résume à 2 heures presque intégralement sur une île déserte, en compagnie d’<strong>Oliver Reed </strong>en écrivain rêveur emphatique puis bougon et d'<strong>Amanda Donohoe </strong>en aspirante à l'émancipation sous les tropiques, essentiellement nue — un argument marketing incontournable, sans aucun doute. Elle dira d'ailleurs de manière assez drôle, au sujet du tournage : "<em>Well, naked on a desert island with Oliver Reed – it was a tabloid fantasy, wasn't it? He was an alcoholic and his behaviour was erratic, but he was always a courteous and good actor. His personal life wasn't working but he never crossed any lines professionally.</em>" Ce rêve de publicitaire lubrique se révèlera comme la cohabitation d'un homme et d'une femme mal assortis, découvrant très rapidement qu'ils ne partagent pas tout à fait la même conception de l'idylle exotique et du paradis paresseux. Loin, très loin de la robinsonnade annoncée.</p>
<p>De manière tout à fait surprenante et improbable, <strong>Nicolas Roeg </strong>parvient à tisser une atmosphère originale et bizarre de ce postulat de départ rachitique, en instillant peu à peu les ingrédients discrets d'une discorde qui détruira le magnifique paysage. Elle rêvait d'apprendre à survivre sur cette île dotée d’un incroyable potentiel, un peu à l’image d’un peuple primitif profitant de la faune et de la flore locales, mais lui avait tout simplement prévu de vivre d'amour et d'eau fraîche (fraîchement et régulièrement envoyée par son éditeur, comme une avance sur la publication du livre retraçant cette expérience à paraître) et de se repaître de sa monumentale flemme. Aventurier dans les mots (cette façon de déclamer "<em>I believe in our future here</em>" avec grandiloquence...), mais pas vraiment dans les actes. Malheureusement, emmuré dans son obsession contemplative et voluptueuse, il perd l'assentiment de sa conjointe qui en retour refuse de faire l'amour — alors que, rappelons-le, elle passe l’essentiel de son temps à marcher dans le sable blanc et à nager dans les lagons avoisinants dénudée. Au final, c'est bien elle qui se révèlera la plus apte à vivre dans ces conditions et sous ces latitudes, avec le désir et la force de caractère nécessaires. Ce sera le point de départ d’une longue hystérie bicéphale, principalement articulée autour d’une série de monologues, décrivant une situation d'incommunicabilité délirante, ponctuée par-ci par-là d'infections et de maladies assez peu glamours. Sur un rythme vraiment très étrange, avec un sens très singulier de la poésie et de l’attente, le paradis annoncé se transforme en un purgatoire parfaitement insolite.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/castaway/.cuisine_m.jpg" alt="cuisine.jpg, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/castaway/.plage_m.jpg" alt="plage.jpg, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/castaway/.soleil_m.jpg" alt="soleil.jpg, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Castaway-de-Nicolas-Roeg-1986#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/783À l'angle du monde, de Michael Powell (1937)urn:md5:6319dec244f6a4ee0ed89832f393227b2020-06-01T11:34:00+02:002020-06-01T10:58:56+02:00RenaudCinémaAutarcieEcosseIleIsolementLyrismeMichael PowellPoésiePêche <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/angle_du_monde/.angle_du_monde_m.jpg" alt="angle_du_monde.jpg, mai 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Ultima Thule</strong></ins></span>
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<p>Saint-Kilda est un archipel appartenant à l'Écosse situé au large des Hébrides extérieures, isolé dans l'océan Atlantique, à plus de 150 kilomètres des côtes. Son île principale, Hirta, avec ses impressionnantes falaises maritimes, n'a jamais connu une population excédant la centaine d'habitants. Conclusion d'un déclin démographique long de près d'un siècle, lié à des conditions de vie très rudes, l'île fut évacuée en 1930 à la demande de ses propres habitants. C'est ce contexte-là, très singulier dans l'histoire ilienne, qu'a choisi <strong>Michael Powell </strong>pour son tout premier film personnel réalisé en 1937, à la croisée des univers de <strong>Flaherty </strong>et <strong>Epstein</strong>, 3 ans après <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Homme-d-Aran-de-Robert-Flaherty-1934"><ins>L'Homme d'Aran</ins></a> et 8 ans après <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Finis-Terrae-de-Jean-Epstein-1929"><ins>Finis Terrae</ins></a>. Détail intéressant, il se met lui-même en scène, accompagné de sa femme, dans le rôle d'un navigateur arborant les côtes de Hirta et intrigué par l'histoire de cette île récemment désertée, à l'angle du monde. Alors qu'il arpente une crête enherbée, il découvre une pierre tombale portant la mystérieuse mention "gone over", initiant le long flashback au centre du film.</p>
<p>C’est donc le récit d’une petite communauté au début du 20ème siècle, et de son mode de vie si particulier au sein d’un environnement hostile. N’ayant pas obtenu les droits pour tourner directement à Saint-Kilda, <strong>Powell </strong>se reporta sur une autre île écossaise appartenant à l’archipel des Shetland, au Nord. Un cadre de choix pour proposer un précieux témoignage sur des coutumes en voie de disparition, perfusées par un danger permanent : il y a bien sûr les falaises vertigineuses et les côtes rocheuses frappées par d’immenses vagues, diffusant une violence continue, mais les épreuves ne sont pas réservées aux activités sur la grève. À commencer par la diminution constante de la population ilienne, les jeunes étant de plus en plus attirés par la vie sur le continent, les transports maritimes devenant plus réguliers et accessibles. Il faut également compter des hivers de plus en plus difficiles à traverser, les stocks de tourbe et de nourriture s’amenuisant au terme d’une récolte annuelle trop ténue, ainsi que la concurrence des nouveaux chalutiers dans cette région qui compte énormément sur les ressources halieutiques. Sommet de l’isolation, le courrier ne transite à travers l’océan qu’une fois par mois.</p>
<p>Mais <strong>Powell </strong>n’est pas <strong>Flaherty</strong>, ce qui l’intéresse avant tout, au-delà d’un certain naturalisme à tendance documentaire, c’est l’immense potentiel tragique de ces contrées et de cette histoire humaine : <ins>The Edge of the World</ins>, à ce titre, explore une dimension sensiblement différente, du côté de la tragédie romantique. Les deux composantes documentaire et fictionnelles se rejoignent à l’occasion d’une rivalité entre deux familles dont les enfants sont amoureux, sans l’accord inconditionnel des parents. Des tensions apparaissent alors entre le frère et l’amant, Robbie et Andrew, le premier ne désirant pas perpétuer un tel mode de vie spartiate, les yeux rivés sur les sommets des montagnes écossaises continentales que l’on voit au loin les jours de beau temps. Assaillis par les difficultés grandissantes, les habitants envisagent désormais sérieusement d’abandonner leur île natale et se résolvent à trancher la question de la préservation de leur mode de vie traditionnel au moyen d’une compétition entre Robbie et Andrew. L’escalade d’une falaise abrupte à mains nues, sans protection, devait à l’origine désigner un vainqueur et déterminer le futur de l’île.</p>
<p>De ces paysages époustouflants et de cette idiosyncrasie ilienne, <strong>Michael Powell </strong>en tirera toute la sève lyrique, tantôt grandiose quand il s‘agit d’illustrer la beauté dangereuse des falaises escarpées ou de l’océan déchaîné, tantôt intimiste lorsqu’il s’intéresse à la lente procession vers l’église de granit ou à la grand-mère qu’on laisse sur une chaise, face au vent et à la mer. On retrouve dans certains de ces moments la poésie lyrique extrêmement vive d’un <strong>Epstein </strong>ou même d’un <strong>Shindō </strong>(de manière anachronique, <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-ile-nue-de-Kaneto-Shindo-1960"><ins>L’Île nue</ins></a> étant sorti en 1960), mais encore une fois assez éloignée de toute prétention documentaire : solidement ancré dans son approche dramatique, en jouant constamment sur des oppositions fondamentales (l’ancien contre le nouveau, la persévérance contre l’exode, la rêverie contre le pragmatisme), <ins>À l'angle du monde</ins> trace sa route dans la roche brute du drame. C’est ce qu’annonçaient les fantômes de l’île, en surimpression dans le prologue, ce que rappelle la grisaille qui enveloppe la cérémonie de l’enterrement à mi-parcours, et ce que viendra définitivement confirmer le final, au bord d’un précipice et à bord des bateaux qui quittent Hirta.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/angle_du_monde/.1_cote_m.png" alt="1_cote.png, mai 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/angle_du_monde/.2_fantome_m.png" alt="2_fantome.png, mai 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/angle_du_monde/.3_amoureux_m.png" alt="3_amoureux.png, mai 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/angle_du_monde/.4_escalade_m.png" alt="4_escalade.png, mai 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/angle_du_monde/.5_enterrement_m.png" alt="5_enterrement.png, mai 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/angle_du_monde/.6_crete_m.png" alt="6_crete.png, mai 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/angle_du_monde/.7_depart_m.png" alt="7_depart.png, mai 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/angle_du_monde/.8_oeuf_m.png" alt="8_oeuf.png, mai 2020" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/A-l-angle-du-monde-de-Michael-Powell-1937#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/781Gardiens de phare, de Jean Grémillon (1929)urn:md5:80a3e3aef6b671813eb14631658766f92020-01-09T23:32:00+01:002020-01-09T23:43:42+01:00RenaudCinémaBretagneCinéma muetIsolementJean EpsteinJean GrémillonMarinPhareRage <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/gardiens_de_phare/.gardiens_de_phare_m.jpg" alt="gardiens_de_phare.jpg, janv. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" /><div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Amertume bigoudène</strong></ins></span>
</div>
<p>Un bout de pellicule retrouvé 25 ans après sa sortie quelque part au Danemark, et voilà ressuscité le film de <strong>Grémillon</strong>. L'état est proche de la catastrophe tant la qualité s'apparente plus au daguerréotype poussiéreux qu'autre chose, mais assez bizarrement ce grain très épais et ces multiples imperfections renforcent l'opacité du mélodrame et la noirceur de l'histoire, très épurée, qui voit un homme et son fils prisonniers de leur phare, au milieu d'une mer déchaînée.</p>
<p><ins>Gardiens de phare</ins> procède par une série d'allers-retours, entre la terre et la mer, entre le présent et le passé, entre la réalité et le rêve, entre le champ sur les hommes qui partent en bateau et le contrechamp sur les femmes bigoudènes qui leur disent au revoir. C'est une vision de l'onirisme qui peut faire penser à la poésie d'un <strong>Jean Vigo</strong>, mais c'est du côté de <strong>Jean Epstein </strong>que les passerelles sont les plus nombreuses, à commencer par le très grand dénominateur commun de la culture bretonne que le film partage avec <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Finis-Terrae-de-Jean-Epstein-1929">Finis Terrae</a></ins>, lui aussi le regard rivé sur les côtes rocailleuses du Finistère battues par le vent et la marée, lui aussi focalisé sur le travail éprouvant des hommes — en l'occurrence les goémoniers.</p>
<p>Mais la trame narrative a une importance largement supérieure ici, puisque un des ressorts dramatiques est lié au déclenchement de la maladie chez l'un des personnages, qui avait été mordu par un chien (enragé, on l'apprendra après) avant son départ. Peu à peu, il sombre dans la folie, cloîtré dans le phare, au sein d'une atmosphère incroyable faite d'ombre et de lumière qui parvient malgré tout à se frayer un chemin à travers les défauts de pellicule. On lorgne par moments presque du côté du fantastique, renforçant encore une fois le parallèle avec <strong>Epstein</strong>, cette fois-ci du côté de <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Chute-de-la-maison-Usher-de-Jean-Epstein-1928"><ins>La Chute de la maison Usher</ins></a> (sorti un an avant). L'accès de rage chez le fils peut paraître un peu outrancier vu d'aujourd'hui, limite horrifique, mais la montée en tension angoissante reste entière : la tragédie qui se noue dans les dernières minutes, alors qu'on vient de quitter des flashbacks heureux, alors que les femmes restées à terre croient que la catastrophe est évitée lorsque la lumière du phare se rallume, n'en est que plus poignante.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/gardiens_de_phare/.phare_m.jpg" alt="phare.jpg, janv. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Gardiens-de-phare-de-Jean-Gremillon-1929#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/736