Je m'attarde - Mot-clé - Médias le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearUn homme dans la foule, de Elia Kazan (1957)urn:md5:d6cd57364dea924be83652690b0e62172023-04-27T09:00:00+02:002023-04-27T08:02:28+02:00RenaudCinémaAndy GriffithCapitalismeCharismeElia KazanMédiasPolitiquePublicitéRadioWalter Matthau <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_dans_la_foule/.homme_dans_la_foule_m.jpg" alt="homme_dans_la_foule.jpg, mars 2023" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"I'm not just an entertainer. I'm an influence, a wielder of opinion, a force... a force!"</strong></ins></span>
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<p>C'est peu dire que je n'attendais pas <strong>Kazan </strong>sur le terrain de la critique des médias et de la société du spectacle, avec toutes les thématiques afférentes, que l'on a instinctivement envie de ranger non loin du jalon de <strong>Lumet </strong><ins>Network</ins> (1976), en filiation avec l'excellent film de <strong>Wilder </strong><ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Gouffre-aux-chimeres-de-Billy-Wilder-1951">Le Gouffre aux chimères</a></ins> (1951) — et pour compléter la liste, <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Quiz-Show-de-Robert-Redford-1994"><ins>Quizz show</ins> </a>de <strong>Robert Redford</strong>. C'est un peu l'autre face, négative cette fois-ci, de la pièce formée avec les films de <strong>Capra </strong>beaucoup plus ancrés dans une perspective d'humanisme naïf comme <ins>Mr. Deeds Goes to Town</ins> (1936), <ins>Mr. Smith Goes to Washington</ins> (1939), ou encore <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Homme-de-la-rue-de-Frank-Capra-1941">Meet John Doe</a></ins> (1941) qui mettaient en scène un candide face au rouleau-compresseur du système. Mais ici, le reversement des valeurs est total en comparaison, puisqu'on s'intéresse à une vision extrêmement cynique du capitalisme médiatique, toujours à une époque ou cette critique même satirique n'était pas du tout aussi profusément formulée qu'aujourd'hui.</p>
<p>C'est le tout premier film de <strong>Andy Griffith</strong>, et on a bien du mal à le croire tant le personnage brille par sa gouaille, son assurance, sa grande gueule. Il parvient à se créer une identité particulièrement forte, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du film d'ailleurs. Son charisme l'attire sans doute un peu, mais je suis un peu déçu du traitement très caricatural réservé aux thèmes abordés ici, en regard de l'incroyable modernité du discours. La dénonciation est excellente pendant une grosse partie du film, et dans le dernier gros morceau <strong>Kazan </strong>et ses scénaristes se sont sans doute senti pousser des ailes pour s'autoriser un tel déluge d'excès... Au point de faire dérailler le film de la bienséance psychologique, en rupture de continuité assez franche avec ce qui précédait. Clairement, il me manque des bouts de film pour comprendre comment ce gars qui se foutait de la gueule des actionnaires et de leurs pubs débiles devient un tel objet volontaire prêt à vendre son âme tout en se foutant aussi ouvertement des gens à qui il s'adresse — ce qui causera sa perte. La trajectoire est séduisante, mais elle n'est reste pas moins incohérente — ou du moins invraisemblable.</p>
<p>Dommage car la façon dont le personnage se trouve courtisé par les médias et les politiques est à certains moments jouissives, de par l'inconfort créé par sa dimension insaisissable de bête sauvage. Il faut vraiment voir ses monologues enragés : "<em>This whole country's just like my flock of sheep! Rednecks, crackers, hillbillies, hausfraus, shut-ins, pea-pickers - everybody that's got to jump when somebody else blows the whistle. They don't know it yet, but they're all gonna be 'Fighters for Fuller'. They're mine! I own 'em! They think like I do. Only they're even more stupid than I am, so I gotta think for 'em. Marcia, you just wait and see. I'm gonna be the power behind the president - and you'll be the power behind me!</em>". Procès à charge de la démagogie donc, autant que de la publicité, empesé par sa lourdeur démonstrative. Mais bon, difficile de ne pas être agréablement étonné par le niveau de violence du pamphlet outrancier. Et puis il y a un <strong>Walter Matthau </strong>assez jeune qui traîne par-là... Non vraiment, le film aurait gagné à travailler sa transition, son retournement d'opinion, et sa ridiculisation des figures d'autorité.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_dans_la_foule/.img1_m.png" alt="img1.png, mars 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_dans_la_foule/.img2_m.png" alt="img2.png, mars 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_dans_la_foule/.img3_m.png" alt="img3.png, mars 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_dans_la_foule/.img4_m.png" alt="img4.png, mars 2023" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Un-homme-dans-la-foule-de-Elia-Kazan-1957#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1138La Machine, de Paul Vecchiali (1977)urn:md5:893ce62a8505400a03372693591e2d382021-03-25T10:11:00+01:002021-03-25T10:13:13+01:00RenaudCinémaEnfanceFranceJournalismeMeurtreMédiasPeine de mortTélévision <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/machine/.machine_m.jpg" alt="machine.jpg, fév. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Capsule temporelle<br /></strong></ins></span></div>
<p>Un film sale, sombre et glaçant, retraçant le parcours judiciaire d'un homme jugé pour le meurtre d'une enfant. La toile de fond est la France giscardienne des années 70, et le sujet qui émerge d'un bout à l'autre de <ins>La Machine</ins> est la peine de mort, à une époque où son abolition paraissait bien loin : c'est une des qualités importantes du film, qui immerge dans ce référentiel-là à l'aide de (faux) reportages télévisuels, d'articles de journaux, de vielles images de vieux téléviseurs, d'interviews d'inconnus et de personnages publics — bien qu'inspirés d'affaires contemporaines au film. Une bonne moitié du film est ainsi constituée de ces matériaux faisant l'effet d'une capsule temporelle, et l'autre moitié est consacrée au portrait du meurtrier Pierre Lentier, un ouvrier trentenaire que personne ne connaissait vraiment, et visiblement pas même son entourage. Dans un style très proche d'un <strong>Bresson</strong>, <strong>Paul Vacchiali</strong> s'engouffre dans une narration et dans une tonalité qui font largement exception dans le paysage du cinéma français, entre autres celui des 70s.</p>
<p>La laideur de la pellicule est à double tranchant, car elle isole le contenu dans une ambiance de téléfilm tout en ajoutant de l'intensité aux événements glauques qui sont rapportés. Très peu d'effets de suspense : on découvre très vite le cadavre d'une fille de huit ans, le principal suspect est clairement identifié malgré une introduction brouillant les pistes (l'enregistrement d'informations sur l'état civil d'un homme alors inconnu), et il avoue son crime. Mais il n'en donnera pas les raisons, ou du moins pas de manière claire. <ins>La Machine</ins> dresse le tableau d'une machine médiatique et judiciaire, met en scène la manipulation de l'opinion publique selon toutes les directions envisageables, mais se trouve quelque peu empêtré dans un style désuet et des intentions un peu maladroitement exécutées (notamment sur la mise en cause de la société). Il y a les juges, les psychologues, la famille, les représentants d'associations, les passants anonymes, et tous ont un avis. Un malaise se distille tout le long du film et file tout droit vers le plan-séquence final, étrange écho à celui de <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Monsieur-Verdoux-de-Charlie-Chaplin-1947"><ins>Monsieur Verdoux</ins></a>, d'une sécheresse glaçante.</p>
<p>Maladroit, vieillot, approximatif, mais une curiosité intéressante d'un point de vue historico-cinématographique.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/machine/.reconstitution_m.jpg" alt="reconstitution.jpg, fév. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/machine/.tele_m.jpg" alt="tele.jpg, fév. 2021" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Machine-de-Paul-Vecchiali-1977#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/922La Fabrication du consentement, de Noam Chomsky et Edward Herman (1988)urn:md5:04e7a669a636bed86fec2ba6870aa84f2020-10-01T10:38:00+02:002020-10-01T09:49:24+02:00RenaudLectureConditionnementDémocratieEssaiEtats-UnisGuatemalaGuerreGuerre du VietnamMédiasNicaraguaNoam ChomskyPolognePropagandeSalvadorVietnam <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/fabrication_du_consentement/.fabrication_du_consentement_m.jpg" alt="fabrication_du_consentement.jpg, oct. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Du filtrage de l'information au conditionnement pavlovien</strong></ins></span></div>
<p>À lire en complément, pour poursuivre au-delà de la thèse principale publiée par (le célèbre) <strong>Noam Chomsky </strong>et (l'oublié) <strong>Edward Herman </strong>en 1988, augmentée en 2002 : un entretien réalisé par <strong>Daniel Mermet </strong>pour le Monde diplomatique en 2007 : <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2007/08/CHOMSKY/14992">article en accès libre</a>.</p>
<p><ins>La Fabrication du consentement</ins> est le fruit d'un travail universitaire rigoureux, soutenant une thèse touffue qui modélise les empires médiatiques des sociétés occidentales comme les tentacules d’un régime de propagande — le terme retenu n’est pas pris à la légère — complexe, et à ce titre il en ressort un défaut (ou du moins une difficulté) évident : c'est long, dense, farci de notes et de références. Il en résulte une lecture difficile, pour ne pas dire éprouvante. La thèse des auteurs, résumée de manière très succincte : les médias constituent un système globalement homogène qui communique des symboles et des messages implicites (avec effet Pavlov moral et intellectuel) à la population, et servent d'instruments à une vaste communication idéologique visant notamment à promouvoir le libéralisme économique et à légitimer la politique étrangère des États-Unis. C'est un peu la destruction d’un miroir aux alouettes, celui des illusions démocratiques quant aux prétendues neutralité et nécessité des médias.</p>
<p>Le modèle, évoqué dans les premières parties avant de le mettre à l'épreuve avec plusieurs cas de figure, se base sur une série de 5 critères, 5 filtres qui conditionnent profondément la nature de l’information produite : 1) Taille, actionnariat et orientation lucrative, 2) Régulation par la publicité, 3) Sources d'information, 4) Contre-feux et autres moyens de pression, et 5) Anticommunisme — ce dernier point s'étant transformé depuis en antiterrorisme, selon <strong>Chomsky</strong>. Il est question de la formation d'une industrie oligarchique dominée par les classes fortunées qui oriente les directions d’observation, de la sélection du contenu par des logiques consuméristes de rentabilité et de complaisance pour assurer sa survie, de la négligence de certaines sources différentes des canaux officiels, faciles d’accès et immédiatement digérable, et bien sûr du poids de l'idéologie dominante (à savoir l'anticommunisme pendant la Guerre froide, à l'époque de la première parution).</p>
<p>Armés d'une artillerie analytique conséquente, les auteurs s'attaquent au traitement de plusieurs événements extrêmement marquants de l'histoire américaine contemporaine à travers plusieurs prismes : les victimes dignes ou indignes d'intérêt, la légitimité extrêmement variable des élections selon les affinités nationales, et le cas de conflits dans lesquels les États-Unis ont été directement impliqués. Dans un premier temps, ils produisent une analyse comparée extrêmement précise et documentée du traitement de l'information montrant la différence de perspective entre des victimes en Pologne (appartenant encore au bloc soviétique) et d'autres en Amérique du Sud (clients des États-Unis) — la propagande médiatique étant presque entièrement guidée par le statut des nations en question, alliées ou ennemies. Le modèle de propagande met ensuite en lumière des différences attendues en matière de traitement de l'information au sujet d'élections dans trois pays d'Amérique centrale, le Nicaragua (avec un gouvernement sandiniste) d'un côté et le Guatemala et le Salvador (régimes soutenus par les États-Unis) de l'autre. Le modèle leur permet de dresser avec une grande minutie le schéma du processus qui sélectionne les informations, sous l'influence des pouvoirs politiques et économiques. Il souligne en outre que toutes les victimes (d'exaction, en l'occurrence) ne sont pas égales devant l'intérêt que leur porte le réseau médiatique, qui opère ici aussi un immense travail de sélection.</p>
<p>Les dernières parties sont consacrées à la tentative d'assassinat du pape Jean-Paul II en 1981et le complot de la filière bulgare liée au KGB (un immense emballement de spéculation médiatique sur la base d’un séjour du suspect en Bulgarie, alors membre du bloc communiste), puis à l'Indochine et la Guerre du Vietnam, avec les dommages collatéraux au Laos et au Cambodge. Les auteurs déconstruisent à cette occasion l'image du quatrième pouvoir dans un régime démocratique, selon les mêmes modalités, avec une solide documentation à l’appui pour mettre en évidence l’existence d’un réseau de désinformation qui sert des intérêts politiques et économiques. Le poids des sources officielles (qu’il s’agisse d’institutions ou de think tanks, de manière consciente ou par auto-censure) joue un rôle prépondérant dans la construction d’une illusion d’objectivité, au sein de laquelle même la contre-culture opposée aux opérations militaires au Vietnam se trouve prisonnière du carcan idéologique imposé a priori.</p>
<p>On peut regretter, cependant, que la notion de généralisation de leur modèle ne soit pas davantage étudiée, car son universalité ne paraît absolument pas acquise (voire démontrable). Il en résulte une sensation de limitation conséquente du champ d’étude, surtout 40 ans plus tard, en quelque sorte limité à la politique américaine des années 80. En se focalisant sur cette région spatio-temporelle à l’aide d’un modèle qui ressasse sans cesse l’idée selon laquelle les médias sont des acteurs majeurs de la propagande, la démonstration s’enferme par moments dans une répétitivité laborieuse et éreintante pour le non-chercheur dans le domaine. Les 700 pages semblent insurmontables au creux de certains chapitres particulièrement velus. Vu d’aujourd’hui, pour peu que le sujet ait déjà été débroussaillé à titre personnel, la lecture de "La Fabrication du consentement" peut donner l’impression que <strong>Chomsky </strong>et <strong>Herman </strong>déballent l’artillerie lourde et des hectolitres de défoliant pour dégommer une mouche. La thématique reste cependant d’une évidente actualité, en ces temps d’hygiène mentale malmenée, d’analogies morales vertigineuses et autres raccourcis intellectuels imposés.</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Fabrication-du-consentement-de-Noam-Chomsky-et-Edward-Herman-1988#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/838Le Gouffre aux chimères, de Billy Wilder (1951)urn:md5:f27eacce7708b685110549bc9e8bf7352019-07-01T12:07:00+02:002019-07-01T11:22:52+02:00RenaudCinémaBilly WilderGrotteIntégritéJournalismeKirk DouglasMédiasProbité <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/gouffre_aux_chimeres/.gouffre_aux_chimeres_m.jpg" alt="gouffre_aux_chimeres.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="gouffre_aux_chimeres.jpg, juil. 2019" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"We're all in the same boat! — I'm in the boat. You're in the water. Now let's see how you can swim."</strong></ins></span>
</div>
<p>Existe-t-il un autre réalisateur, toutes époques confondues, présentant des signes de bipolarité cinématographique aussi prononcés que ceux qui émanent de la filmographie de <strong>Billy Wilder </strong>? D'un côté, les comédies sophistiquées : <ins>Some Like It Hot</ins>, <ins>The Major and the Minor</ins> (Uniformes et Jupon court), <ins>Kiss Me, Stupid</ins>, etc. De l'autre, les films noirs radicaux : <ins>Sunset Boulevard</ins>, <ins>Double Indemnity</ins> (Assurance sur la mort), etc. La dichotomie ne s'étend pas de manière exhaustive à l'ensemble de ses films, mais ces deux composantes restent suffisamment proéminentes pour en faire une œuvre très atypique. <ins>Ace in the Hole</ins> (Le Gouffre aux chimères) appartient en tous cas très nettement à la seconde catégorie, et nous embarque dans un voyage au Nouveau-Mexique aux côtés de Charles Tatum, un journaliste relativement étranger au concept de probité. <strong>Kirk Douglas</strong>, toujours aussi impressionnant de constance quel que soit le genre et l'époque, est au centre d'un portrait de la société du spectacle (longtemps avant que la dénomination ne soit formalisée) incroyablement visionnaire.</p>
<p>La description du personnage de Tatum est ébauchée en seulement quelques traits, mais ils sont largement suffisants : on apprend qu'il a été licencié de plusieurs journaux américains renommés en dépit de son grand talent (c'est ainsi qu'il se voit en tous cas), suite à diverses histoires d'alcool, de femme, et d'éthique. Son sourire semi-carnassier parle de lui-même, c'est un homme sûr de lui qui ne prend que très peu de risques — comme son patron, il porte d'ailleurs ceinture ET bretelles. C'est ainsi qu'il débarque dans un trou paumé des États-Unis, non loin de la frontière mexicaine, un coin où la chasse au crotale constitue la principale activité des habitants et la principale matière première du journal local. Heureusement pour lui, Léo, un mineur indien, aura la bonne idée de se retrouver coincé au fond d'une galerie effondrée : une occasion en or, car comme il le répètera, "<em>Bad news sells best</em>". Difficile de le contredire. C'est le carré d'as au fond du trou à l'origine du titre original, et les chimères au fond du gouffre dans sa traduction française. De ce fait divers a priori anodin et inoffensif, Tatum batira un empire médiatique monumental sur lequel il règnera sans partage. Au "<em>We're all in the same boat!</em>" que lui lancera un ancien confrère à son arrivée sur les lieux, il lui répondra un cinglant "<em>I'm in the boat. You're in the water. Now let's see how you can swim.</em>"</p>
<p><strong>Kirk Douglas </strong>s'en donne à cœur joie dans le rôle de ce journaliste mégalomane. <ins>Le Gouffre aux chimères</ins> détaille avec une précision presque sadique (on oublie régulièrement qu'un homme est en train de crever au fond d'un trou) comment Tatum manipule l'ensemble des intervenants locaux, de la femme de la victime (réplique ultime : "<em>I don't go to church. Kneeling bags my nylons.</em>") jusqu'au shérif, afin de s'arroger une exclusivité absolue sur l'événement. Il manipule les politiciens en les faisant entrer dans un cirque médiatique dont ils sauront tirer un grand profit (financier pour l'un, électoral pour l'autre) dans un joli concerto de magouilles, il flirte avec la femme du mineur (en lui assurant que l'accident aura des répercussions intéressantes sur son commerce) tout en fraternisant avec ce dernier lors de ses captations d'informations régulières. Toute la litanie de la presse à scandale est déjà là, avec la photo voyeuriste et sordide en première page ou encore les détails croustillants qui auront tôt fait d'intriguer les badauds passant par là avant de s'étendre à très grande échelle. La curiosité malsaine ne connaît aucune limite, et l'hypocrisie de Tatum atteindra des sommets de perfidie lorsqu'il persuadera les secours d'adopter la méthode de sauvetage la plus lente tout en assurant à Léo que tout est fait pour le sortir de son désespoir au plus vite.</p>
<p>Au milieu de cet océan d'obscénité et de cupidité agrémentées de corruption, quelques îlots satiriques subsistent : c'est notamment le cas de l'immense panneau situé à l'entrée du site de la grotte, affichant la mention "Free" au tout début de l'histoire avant de voir son tarif augmenter vers 25 cents, 50 cents et 1 dollar à mesure que la popularité de l'événement croît, pour in fine se transformer en une petite pancarte indiquant de manière ironique que l'argent récolté alimentera un fonds de soutien pour la mission de secours de Léo. Mais l'apogée de cette trajectoire fulgurante, au sens propre comme au sens figuré, c'est bien sûr lorsque <strong>Kirk Douglas</strong>, du haut de la montagne, s'adresse à la foule immense de curieux amassés par milliers devant la grotte de la bien-nommée "montagne des sept vautours". C'est en sa qualité de demi-dieu sur Terre qu'il leur annonce la fin tragique de l'histoire, avant que toute la populace ne s'éclipse en un clin d'œil, une fois la source tarie. La critique n'épargne donc pas le public : derrière l'audience, il y a bien des auditeurs, et si les médias arborent régulièrement leurs costumes d'abominables monstres, les vautours affluent en masse pour dépecer la charogne (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=feNQK5hE5B4" title="https://www.youtube.com/watch?v=feNQK5hE5B4">https://www.youtube.com/watch?v=feNQK5hE5B4</a>, âmes sensibles s'abstenir).</p>
<p>L'ultime partie du film prend une dimension un peu théâtrale en prolongeant le déchaînement de Tatum jusqu'à son anéantissement, entre un épuisement absolu et une blessure non-soignée, en s'effondrant aux pieds de son patron. La conséquence d'un revirement soudain, in extremis, à demi-rédempteur, comme s'il avait fini par contracter une petite part d'humanité au contact de Léo que son système ne tolérait pas. <strong>Wilder </strong>termine ainsi son pamphlet sur une note emphatique (et très peu empathique) quelque peu dommageable, même si elle n'entache en rien la parabole d'une cruauté et d'une noirceur implacables. La férocité de la charge et la lucidité du constat restent intactes près de 70 ans plus tard.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/gouffre_aux_chimeres/.secours_m.jpg" alt="secours.jpg" title="secours.jpg, juil. 2019" /><br /><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/gouffre_aux_chimeres/.trou_m.jpg" alt="trou.jpg" title="trou.jpg, juil. 2019" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Gouffre-aux-chimeres-de-Billy-Wilder-1951#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/664Ga, Ga – Gloire aux héros, de Piotr Szulkin (1986)urn:md5:635d50e3e28dbebd67a53198f38579fe2019-01-16T12:04:00+01:002019-01-16T12:04:00+01:00RenaudCinémaDystopieGrotesqueMédiasPolognePrisonScience-fictionTélévision <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ga_ga/.ga_ga_m.jpg" alt="ga_ga.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="ga_ga.jpg, janv. 2019" /><div id="centrage">
<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>La dystopie polonaise, de "O-bi, O-ba" à "Ga, Ga"<br /></strong></ins></span>
</div>
<p><ins>Ga, Ga – Gloire aux héros</ins> présente un lien direct avec <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/O-bi-O-ba-La-Fin-de-la-civilisation-de-Piotr-Szulkin-1985"><ins>O-bi, O-ba – La Fin de la civilisation</ins></a>, sorti l'année précédente, au sein d'une série de films de science-fiction dystopiques assez peu joviaux réalisés par le polonais <strong>Piotr Szulkin</strong>. Avec un budget sans doute équivalent mais dans un sous-genre très différent, privé de cette dimension profondément immersive qui en faisait tout le sel, le caractère fauché du projet ressort avec beaucoup plus de violence ici. Mais dotée d'une telle teneur absurde et surréaliste, dans l'écrin d'une composition photographique très soignée, avec pour sujet un 21ème siècle où des prisonniers sont missionnés pour explorer l'espace faute de candidats volontaires, l'expérience vaut tout de même le détour, à titre de curiosité pour les objets bizarroïdes.</p>
<p>Exit donc toute l'atmosphère post-apocalyptique sinistre et oppressante de l'Arche dans <ins>O-bi, O-ba</ins>, et place à une satire beaucoup plus encline à embrasser la comédie noire et décalée. Le contenu pas forcément porté sur la subtilité ou la retenue pourra constituer un frein solide à l'adhésion, mais une forme bouillonnante et chaotique de créativité, dans les décors, dans les personnages et dans les situations, aide à faire passer la pilule un peu indigeste par endroits.</p>
<p>Le protagoniste, en arrivant sur une planète censée être inhabitée, découvre un monde qui n'est rien d'autre qu'une caricature du nôtre, voire peut-être de la Pologne des années 80. La violence y est glorifiée sans limite, la société du spectacle est obnubilée par la surenchère jusqu'à procéder à des exécutions en place publique à l'aide de pieux géants qui traverseront les condamnés, et bureaucratie et religion fonctionnent main dans la main avec la gloire pour obsession commune. Comme un pot-pourri de <ins>New York 1997</ins>, <ins>Dark Star</ins> et <ins>Mad Max 2</ins> saupoudré d'absurde de type <strong>Monty Python</strong>. Le résultat, à l'image de cette association, est aussi hétérogène que surprenant. Un sens du grotesque qui ne parlera pas à toutes les sensibilités, assurément, à l'instar des hot dogs avec des doigts humains (mais aux ongles mal coupés, voilà l'horreur) à la place de saucisses servis dans le bar local et les bras qui s'arrachent comme du papier quand on tire un peu fort dessus.</p>
<p>Reste la dimension subversive du film, enfouie sous les couches bigarrées de bizarreries, où le prisonnier occupe la place de l'unique homme sain au milieu du marasme et du foutoir environnant. Comme un îlot d'humanité perdu dans un décorum autoritaire et absurde.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ga_ga/.bar_m.jpg" alt="bar.jpg" title="bar.jpg, janv. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ga_ga/.bureau_m.jpg" alt="bureau.jpg" title="bureau.jpg, janv. 2019" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ga_ga/.jeu_m.jpg" alt="jeu.jpg" title="jeu.jpg, janv. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ga_ga/.voiture_m.jpg" alt="voiture.jpg" title="voiture.jpg, janv. 2019" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Ga-Ga-Gloire-aux-heros-de-Piotr-Szulkin-1986#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/600J'ai un doute...urn:md5:252b2001252d6c0d58ee27ad1389be732012-07-04T19:12:00+02:002012-07-05T09:45:15+02:00RenaudSociétéActualitéBlogCritiqueMédiasPolitique <p>Si vous en avez assez des sites d'informations conventionnels, <a title="http://jaiundoute.com/" hreflang="fr" href="http://jaiundoute.com/">J'ai un doute.com</a> est fait pour vous.</p>
<p><img title="jai_un_doute.png, juil. 2012" style="float: left; margin: 0 1em 0em 0;" alt="jai_un_doute.png" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/SOCIETE/jai_un_doute/jai_un_doute.png" />Très rigoureux sur le fond comme sur la forme, il s'agit d'un condensé d'informations mêlant vidéos personnelles et documentaires de qualité, au service d'une information simple et précise. Le but est clairement de souligner la désinformation environnante, sur des sujets parfois difficilement abordables mais pourtant essentiels.<br />Les articles sont regroupés par grands thèmes, comme Environnement, Politique, Économie, Santé, Médias, Sciences, Histoire... Chaque vidéo bénéficie d'un montage particulièrement soigné qui rend le contenu encore plus percutant. Enfin, le site est participatif : à tout moment, on peut apporter sa pierre à l'édifice en communiquant les éléments nécessaires à la confirmation ou l'infirmation d'une information donnée.</p>
<p>Dernier exemple en date, les événements récents en Libye.</p><div id="centrage"><iframe width="640" height="360" src="http://www.youtube.com/embed/neqMGQiNz2I" frameborder="0" allowfullscreen></iframe></div>
<p><span style="font-size:9pt"> Merci Robin, voilà un élément de plus dans mes raccourcis Firefox...</span></p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/J-ai-un-doute#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/134Le Monde diplomatique - Mai 2012urn:md5:19119320dd2cb6e4448fc780af3f307f2012-05-28T16:59:00+02:002012-05-28T16:59:00+02:00RenaudPresseCritiqueEgalitéEquitéLe Monde diplomatiqueMédiasPolitique <a title="diplo_201205.jpg" href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/PRESSE/diplo/diplo_201205/diplo_201205.jpg"><img title="diplo_201205.jpg, avr. 2012" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="diplo_201205.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/PRESSE/diplo/diplo_201205/.diplo_201205_m.jpg" /></a><hr>
<div id="centrage"><span style="font-size:15pt"><ins>Les médias contre l'égalité</ins></span><br /><strong>Pierre Rimbert<br /> </strong></div>
<blockquote><p>« Moi, je voudrais qu'il y ait une révolte, des manifestations de journalistes, qu'on aille devant le siège du Conseil constitutionnel, que deux ou trois confrères courageux fassent la grève de la faim – pas moi, hein ! »<br /><strong>Jean-Michel Apathie</strong>, LCI, 20 janvier 2012.</p>
</blockquote>Ce n'est pas l'abrogation récente du délit de harcèlement sexuel par le Conseil constitutionnel qui provoque l'ire de ce cher Jean-Michel Apathie. S'il s'est ainsi insurgé, durant la campagne présidentielle, ce fut contre l'égalité d’accès aux médias audiovisuels garantie à tous les candidats à l'élection. Cette prise de position, aussi stupide soit-elle, soulève une question fondamentale : qui, du législateur issu du suffrage ou des directions éditoriales nommées par les actionnaires, doit fixer les critères distinguant le prétendant légitime du « candidat inutile » ?<br />
<p>Cette bataille, en apparence cantonnée à des questions de forme, touche aussi au fond. Ainsi, la campagne présidentielle connaît trois phases bien distinctes : « <em>Durant la première, le principe dit d'équité proportionne le temps de parole des candidats potentiels à leurs résultats antérieurs et... aux sondages. Dit autrement, l'équité favorise les points de vue les plus connus. La campagne officielle, qui a débuté le 9 avril, met en revanche les compteurs à zéro : l'égalité accorde aux faibles les mêmes droits qu'aux forts. Entre les deux périodes, un régime intermédiaire distribue à chacun une même durée de parole, mais à des horaires inégaux : austérité à 20 heures, lutte des classes à 3 heures du matin.</em> » Bien entendu, seul la phase relative à l'équité du temps de parole trouve grâce aux yeux des principaux patrons de chaînes...</p>
<p>Les propos tenus par Franz-Olivier Giesbert, invité à commenter les prestations des prétendants à la présidence à l'issue de l'émission « Des paroles et des actes » le 12 avril sur France 2, illustrent parfaitement cet état d'esprit. Et, disons le franchement, ça fait froid dans le dos.</p><div id="centrage"><iframe width="640" height="360" src="http://www.youtube.com/embed/zArBwz8u8GU" frameborder="0" allowfullscreen></iframe></div>
<p>Pourtant, les interventions des candidats hors cadres sont loin d'être dénuées d'intérêt. Moins assujettis que les vedettes aux règles du spectacle médiatique, ils savent n'avoir rien à attendre des grands journalistes, et donc rien à redouter d'eux. Vecteurs d'idées souvent minoritaires (ce qui ne signifie pas qu'elles soient systématiquement vaines, faut-il le rappeler), ils sont autant de grains de sable dans les rouages de l'ordre médiatique établi. L'égalité du temps de parole expose les faiseurs d'opinion au risque de voir la complicité habituelle tourner à la confrontation. Le désormais célèbre passage de Nicolas Dupont-Aignan sur le plateau de l'émission « Le grand journal » de Michel Denisot en est le parfait exemple (<a title="http://www.youtube.com/watch?v=_5X02StQg3s" hreflang="fr" href="http://www.youtube.com/watch?v=_5X02StQg3s">voir la vidéo</a>), tout comme celui de Philippe Poutou sur TF1 dans le journal de Claire Chazal (<a title="http://www.ozap.com/actu/zapping-philippe-poutou-denonce-la-fortune-inadmissible-du-patron-de-tf1-sur-tf1/440420" hreflang="fr" href="http://www.ozap.com/actu/zapping-philippe-poutou-denonce-la-fortune-inadmissible-du-patron-de-tf1-sur-tf1/440420">voir la vidéo</a>).</p>
<p><ins>DSK, Hollande, etc.</ins> (<a href="http://www.je-mattarde.com/index.php?post/DSK-Hollande-etc-de-Julien-Brygo-Pierre-Carles-et-Aurore-Van-Opstal-2012">voir le billet</a>), le film documentaire de <strong>Julien Brygo</strong>, <strong>Pierre Carles</strong> et <strong>Aurore Van Opsta</strong> sorti début 2012, étudiait cette mécanique opaque constitutive d'un large pan du paysage médiatique français. Si la mécanique institutionnelle rétrécit l'éventail des idées politiques mises aux voix (comme par exemple, de fait, le courant anarchiste), on imagine sans peine l'atrophie d'une campagne livrée au seul bon vouloir des journalistes. Savoureux paradoxe, puisque face à la contradiction entre liberté de la presse et liberté d'opinion, la loi étend un peu le pluralisme en restreignant le droit des grands médias. Aux États-Unis, où la publicité anime désormais la politique, la « <em>fairness doctrine</em> » (équivalent américain de notre principe d'égalité de temps de parole) a été formellement supprimée des textes en août 2011, sous la présidence de Barack Obama. La commission fédérale des communications (Federal Communications Commission, FCC) l'a en effet jugée « obsolète et dépassée. » Comme la presse française, l'égalité du temps de parole.</p>
<hr><p><em>À écouter du lundi au vendredi entre 15 et 16 heures : <a title="http://www.la-bas.org/" hreflang="fr" href="http://www.la-bas.org/"><ins>Là-bas si j'y suis</ins></a>, l'émission de <strong>Daniel Mermet</strong> sur France Inter, consacrée au Diplo une fois par mois. Celle de mai est accessible sur <ins><a title="http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2456" hreflang="fr" href="http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2456">http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2456</a></ins>.</em></p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Monde-diplomatique-Mai-2012#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/123