Je m'attarde - Mot-clé - Ouvrier le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearLe Fils unique (一人息子, Hitori musuko), de Yasujirō Ozu (1936)urn:md5:2525844c3909ec8bcc4ee2718c8fbe7f2023-12-11T09:39:00+01:002023-12-11T09:40:27+01:00RenaudCinémaDésillusionFamilleFemmeJaponMaternitéOuvrierTravailYasujirō Ozu <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fils_unique/fils_unique.jpg" title="fils_unique.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fils_unique/.fils_unique_m.jpg" alt="fils_unique.jpg, déc. 2023" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Désillusion et acceptation</strong></ins></span>
</div>
<p>Les histoires de filiation, qu'elles soient contrariées ou dissimulées, sources de bonheur ou de mélancolie, traversent de part en part le cinéma d'<strong>Ozu </strong>et s'accompagnent systématiquement de thématiques transverses, l'évolution de la culture japonaise, le conflit entre générations, l'opposition entre vie rurale et vie citadine. Dans le récit d'une mère élevant seule son fils et prête à tous les sacrifices afin qu'il puisse faire des études à Tokyo, <ins>Le Fils unique</ins> trouve un écho spontanément touchant, aussi pudique que cette façon qu'a <strong>Ozu </strong>de filmer les sentiments, avec un film beaucoup plus réputé (et plus ambitieux, plus affiné, plus décisif) du cinéaste, <ins>Voyage à Tokyo</ins>, qu'il faudra attendre pendant encore 17 ans en 1936. C'est la rencontre d'une mère et de son fils, à l'occasion d'une visite surprise, après plus d'une décennie d'éloignement, et c'est le constat d'une trajectoire existentielle qui diffère quelque peu de ce qu'on s'était imaginé.</p>
<p>Pour son premier film parlant, <strong>Ozu </strong>ne semble pas tout à fait à l'aise en toutes circonstances, lui qui aura longtemps été réticent au procédé — 1936, à l'échelle du cinéma muet, c'est comme si un siècle de révolutions techniques s'était déjà écoulé. Au-delà de la piste sonore récemment restaurée qui craque quand même encore beaucoup (le dernier quart est très compliqué), l'héritage du cinéma muet lui permet malgré tout de conserver un charme époustouflant au détour de quelques scènes, et pas nécessairement les plus connues baptisées "à hauteur de tatami" : pour n'en citer qu'une, celle où mère et fils échangent leurs points de vue avec en toile de fond l'incinérateur en activité est bouleversant. L'occasion aussi de quelques particularités, comme cette séquence au cinéma avec un film allemand parlant, présenté par le fils comme un symbole de la modernité urbaine, durant lequel la mère s'endort au sommet de l'incompréhension, ou encore cette très belle et très longue séquence dénuée de personnage, consacrée à un pan de mur derrière lequel une femme pleure, un plan fixe évoquant comme un haïku le passage du temps et le lever du jour.</p>
<p>C'est avant tout une histoire de désillusion, l'amour maternel et son immense volonté se heurtant contre le mur de la réalité des classes ouvrières, empruntant à ce titre un descriptif très néoréaliste italien lorsque la mère découvre le taudis dans lequel habite son fils — elle apprend au passage qu'il a une femme, et puis un fils, et finalement qu'il n'est qu'un demi-professeur (comprendre : un pauvre petit enseignant du soir). Honte pour lui, déception pour elle. Ce n'était pas la vie qu'elle avait rêvée pour son enfant lorsqu'elle avait vendu sa maison afin de financer son départ à la capitale, elle la fileuse de soie désormais reléguée dans un dortoir sur son lieu de travail. Les derniers plans de <ins>Le Fils unique</ins> centrés sur le personnage de la mère laissent place à plusieurs interprétations, entre mélancolie des ambitions déçues et acceptation de l'homme bon, malgré tout, que son fils est devenu. Une grande pudeur pour évoquer un naufrage, des émotions sans frustration apparente mais cernées par l'amertume.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fils_unique/img1.jpg" title="img1.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fils_unique/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, déc. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fils_unique/img2.jpg" title="img2.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fils_unique/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, déc. 2023" /></a>
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</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Fils-unique-de-Yasujiro-Ozu-1936#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1302Désordres (Unrueh), de Cyril Schäublin (2022)urn:md5:d2a22787858f495891b227196a99fac92023-10-19T16:52:00+02:002023-10-19T16:52:00+02:00RenaudCinémaAnarchismeCapitalismeCartographieFemmeGéographieHorlogerieOuvrierPhotographiePierre KropotkineSuisse <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/desordres/desordres.jpg" title="desordres.jpg, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/desordres/.desordres_m.jpg" alt="desordres.jpg, oct. 2023" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Anarchisme, capitalisme, ressorts et balanciers</strong></ins></span></div>
<p>Saint-Imier, un petit village suisse, fin du XIXe siècle. <strong>Pierre Kropotkine</strong>, géographe dans la veine d'<strong>Élisée Reclus </strong>pas encore tout à fait sensibilisé à la cause anarchiste à la fin des années 1870, erre dans les parages pour relever des informations topologiques et créer de nouvelles cartes plus précises des environs. L'encart initial avec une citation de sa part pourrait mettre sur la mauvaise voie : il ne s'agit pas du tout d'une biographie, il restera d'ailleurs largement dans l'arrière-plan, comme personnage secondaire. Non <ins>Désordres</ins> (Unrueh en version originale, un terme allemand désignant à la fois une pièce d'horlogerie, le balancier, mais signifiant également agitation : pertinence maximale pour un titre) s'intéresse avant tout au travail d'ouvrières de l'industrie horlogère, à l'orée de bouleversements technologiques qui vont voir s'affronter deux mouvements. La rationalisation toute fordiste du temps de travail prônée par le capitalisme, qui consiste à chronométrer les tâches, identifier les chemins les plus rapides, et maximiser les profits en augmentant autant que possible les cadences, et la progression des idées anarchistes au sein de la population locale, tout particulièrement auprès des travailleuses.</p>
<p>Mais derrière le terme affrontement, il ne faut pas s'attendre à des oppositions frontales ou des invectives qui vireraient au physique : c'est là la grande particularité de <ins>Désordres</ins>, qui sans doute endormira les uns et passionnera les autres, puisque tout se déroulera au travers d'échanges extrêmement cordiaux et feutrés, avec moult politesse, au creux de convenances exacerbées qui finissent comme par magie par souligner la violence de l'époque. Que ce soit pour signifier une absence de droit de vote (car les impôts n'ont pas été payés) ou pour notifier un licenciement sec (pour voir manifesté une accointance avec des anarchistes), ce sont des mots pas plus hauts que les autres qui sortent de la bouche des contremaîtres et des notables. Cette ambiance presque surréaliste est vraiment géniale, et permet de laisser s'exprimer le sujet principal : à travers la mesure du temps et sa corrélation à l'argent, on assiste à la naissance des cadences dans les usines et l'apparition du capitalisme dans ce petit coin de Suisse.</p>
<p>C'est ainsi dans un cadre presque paternel et bienveillant que s'installe progressivement une pression sur les ouvrières, pour augmenter le nombre de montres mécaniques montées par jour. À la précision des gestes que les femmes accomplissent sous l'œil de leurs loupes monoculaires, les dirigeants chronomètrent, inlassablement, chaque fraction de la chaîne de montage et réorganisent le travail. <strong>Cyril Schäublin </strong>et son directeur de la photographie sont parvenus à instiller un sentiment d'étrangeté très singulier à l'occasion de nombreux plans extérieurs cadrés bizarrement, avec souvent plusieurs groupes de personnages filmés de loin et écrasés dans un coin du plan. Tous ces plans ne sont pas aussi justifiés les uns que les autres, mais il y a tout de même une sensation de précision dans l'observation qui se dégage, avec en complément les nombreux "ne rentrez pas dans l’image !" assénés aux ouvriers et aux passants par les gendarmes qui encadrent la prise de photos de l'usine à des fins commerciales.</p>
<p>L'évolution et la cohabitation des deux courants, capitaliste et anarchiste, forme une toile de fond vraiment captivante dans leur volonté de sonder timidement les forces en présence, de tirer profit des avancées technologiques de leur époque (photographie et télégraphie essentiellement). Et le film se termine sur une sorte de coup de foudre savoureux, surprenant, <strong>Kropotkine </strong>tombant sous le charme d'une ouvrière qui lui explique dans tous les détails techniques le contenu de son travail et le fonctionnement d'une montre. <ins>Désordres</ins>, avec sa profusion de précisions techniques autour de l'assemblage de montres, avec sa multitude d'objets d'horlogerie issus d'un autre temps, avec son enveloppe sonore remplie de bruitages mécaniques (rouages, balanciers, ressorts, rotors), est décidément une curiosité étonnante à de multiples niveaux.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/desordres/img1.jpg" title="img1.jpg, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/desordres/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, oct. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/desordres/img2.jpg" title="img2.jpg, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/desordres/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, oct. 2023" /></a>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/desordres/img6.jpg" title="img6.jpg, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/desordres/.img6_m.jpg" alt="img6.jpg, oct. 2023" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Desordres-de-Cyril-Schaublin-2022#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1259La Bataille du Chili (La batalla de Chile: La lucha de un pueblo sin armas), de Patricio Guzmán (1975, 1976, 1979)urn:md5:088bc7fdb0e7ec7985fd2af5cf33de222023-10-16T09:44:00+02:002023-10-16T08:45:54+02:00RenaudCinémaAugusto PinochetBourgeoisieCampagne électoraleChiliChris MarkerCoup d étatDocumentaireEtats-UnisGrèveMilitaireOuvrierPatricio GuzmánPolitiqueSalvador AllendeTémoignageViolence <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bataille_du_chili/bataille_du_chili.jpg" title="bataille_du_chili.jpg, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bataille_du_chili/.bataille_du_chili_m.jpg" alt="bataille_du_chili.jpg, oct. 2023" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Chroniques d'un coup d'état</strong></ins></span></div>
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<span style="font-size: 18pt;"><strong>1ère partie : L'Insurrection de la bourgeoisie</strong></span>
<p>Lorsqu'il enregistre les images et les sons de <ins>La Bataille du Chili</ins>, <strong>Patricio Guzmán </strong>réalise un documentaire en se trouvant exactement au bon endroit au bon moment, au détour d'une charnière historique dont il ne pouvait mesurer pleinement l'ampleur à l'époque du tournage, et qui aujourd'hui revêt une signification, une intensité et une émotion toutes incroyables. C'est sans doute un triptyque à ranger aux côtés du film de <strong>Abbas Fahdel </strong>en deux parties, <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Homeland-Irak-annee-zero-de-Abbas-Fahdel-2016">Homeland : Irak année zéro</a></ins>, sur la chute de Saddam Hussein et l’invasion américaine de 2003. <strong>Guzmán </strong>sillonnait la capitale chilienne quelques mois avant le coup d'état militaire du 11 septembre 1973, et les images de rue autant que les témoignages glanés auprès des différentes parties ont une valeur littéralement inestimable.</p>
<p>C'est donc une chronique des tensions politiques naissantes au tout début de l'année 1973, alors qu'à la surprise générale le gouvernement de <strong>Salvador Allende </strong>(à qui il consacrera un documentaire en 2004 portant son nom) est démocratiquement élu. Ce sont les prémices de la contre-révolution, qui trouveront pour point d'orgue le renversement d'<strong>Allende </strong>par un putsch militaire activement soutenu par les États-Unis et l'installation au pouvoir d'une dictature dirigée par <strong>Augusto Pinochet </strong>qui durera près de 17 ans jusqu'en 1990.</p>
<p>Pendant tout le docu, on a l'impression de parcourir les coulisses (bien réelles) du film (de fiction) de <strong>Costa-Gavras</strong>, <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Missing-porte-disparu-de-Costa-Gavras-1982">Missing - Porté disparu</a></ins>, qui s'intéressait précisément à la disparition d'un écrivain américain dans le tumulte des événements autour de Santiago. <strong>Guzmán </strong>capte dans un premier temps l'effervescence de la campagne électorale, en parcourant les foules et les sympathisants de tous bords et en recueillant sur le vif des réactions diverses, des bourgeois et d'ouvriers. Progressivement la dynamique des rapports de force prend une tournure surprenante, pour peu que l'on fasse abstraction historiquement de ce que l'on sait qui va advenir, puisque l'opposition au gouvernement <strong>Allende </strong>élu de manière inattendue se structure autour d'une réponse de plus en plus violente. C'est donc par hasard que la caméra enregistre de l'intérieur la structuration d'une stratégie d'affaiblissement du gouvernement, pas à pas, jusqu'à l'asphyxie économique.</p>
<p>Au travers d'une série de reportages de rue, de rassemblements politiques, de confrontations violentes, on réalise à quel point <strong>Guzmán </strong>a eu de la chance (ou du flair) de réunir autant d'images de ces mouvements sociaux, comme notamment la grève des mines de cuivre ou nombre d'autres perturbations financées par l'administration Nixon. Et cette première partie, sous-titrée "L'Insurrection de la bourgeoisie", de se terminer sur une image aussi choquante que bouleversante, l'assassinat du caméraman argentin et suédois <strong>Leonardo Henrichsen </strong>par un soldat participant au coup d'état.</p>
<hr />
<span style="font-size: 18pt;"><strong>2ème partie : Le Coup d'État militaire</strong></span>
<p>Le deuxième volet de <ins>La Bataille du Chili</ins>, bien qu'il soit sorti un an plus tard (pour des raisons qu'on imagine liées à des contraintes de production d'un tel film dans de telles conditions, les pellicules provenant par exemple de France, cadeau de <strong>Chris Marker</strong>) reprend le cours des événements exactement là où le premier s'était arrêté, et laisse de côté la captation de l'ambiance des rues pour tracer la trajectoire qui mènera au coup d'état du 11 septembre 1973. En partant de la première tentative de renversement du pouvoir par le groupe paramilitaire fasciste Patrie et Liberté en juin 1973, repoussée par les troupes restées loyales au gouvernement, le film épouse l'intensification des conflits entre les différents camps et témoigne très bien du caractère exceptionnel de la situation à laquelle doit faire face <strong>Allende</strong>. Face à lui, entre autres, des mouvements de résistance soutenus et financés par le gouvernement américain — à l'image de cette impressionnante grève des transporteurs routiers financée par la CIA qui paralysera le pays via la distribution de nourriture et de carburant.</p>
<p><strong>Patricio Guzmán </strong>montre bien le basculement stratégique de l'opposition, qui après l'échec de la tentative de destitution d'<strong>Allende</strong>, adopte un comportement beaucoup plus violent à mesure qu'une partie de l'armée pose le terrain pour le coup d'état à venir. Au travers des témoignages nombreux, on ressent un climat hautement singulier, avec d'un côté des divisions profondes à gauche quant à la position à adopter face aux menaces, et de l'autre une intervention militaire en préparation que tout le monde pressent : tout le monde en parle. La guerre civile n'est pas bien loin en milieu d'année 1973, jusqu'à l'assassinat par l'extrême droite de l'aide de camp naval d'<strong>Allende</strong>, Arturo Araya Peeters. Parmi les officiers du camp loyaliste, lors de son enterrement, on remarque un certain Augusto Pinochet.</p>
<p>Ce volet se termine lui aussi sur des images d'une rare intensité, avec le bombardement du palais de la Moneda par des avions de chasse, avec en fond sonore les derniers messages radios d'<strong>Allende </strong>adressés au peuple chilien. Les dirigeants de la junte s'afficheront ensuite à la télévision, annonçant "le retour à l'ordre du pays" et la fin "du cancer marxiste qui aura duré trois ans".</p>
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<span style="font-size: 18pt;"><strong>3ème partie : Le Pouvoir populaire</strong></span>
<p>Pour clore son triptyque réalisé au cœur de la tourmente, <strong>Patricio Guzmán </strong>revient quelques années en arrière, autour de 1972 (le troisième volet sortira plus tardivement, en 1979) pour s'intéresser à la structuration du travail, chez les ouvriers et les paysans, qui a conduit à la formation de milliers de groupes locaux — le "Pouvoir populaire" du sous-titre — dont la mission consistait essentiellement à distribuer de la nourriture et empêcher le sabotage d'usines en ces temps de crise profonde. C'est à mes yeux le segment le moins percutant des trois, glissant du militantisme visible à la propagande un peu trop appuyée sans que la narration et la mise en scène ne s'accompagnent, par exemple, d'un lyrisme communicatif à la <strong>Eisenstein </strong>ou <strong>Kalatozov</strong>.</p>
<p>Le docu est concentré en quelque sorte sur la réponse des ouvriers au contenu du premier volet, "L'Insurrection de la bourgeoisie", et leur stratégie d'occupation des lieux de travail ainsi que d'autogestion en gestation au travers de la formation de "cordones industriales". En tant que témoignage de cette époque de l'histoire chilienne, le contenu reste éminemment intéressant, mais on se situe tout de même un gros cran en-dessous des deux premiers volets en matière de puissance documentaire. Dans cet épisode, le gouvernement <strong>Allende </strong>ne sera quasiment pas cité, le ton change assez radicalement pour mettre l'accent sur les vertus des expérimentations politiques locales. Instructif, mais peu passionnant.</p>
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</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Bataille-du-Chili-de-Patricio-Guzman-1975-1976-1979#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1256Les Jours comptés, de Elio Petri (1962)urn:md5:eb194f1e9dcf6e938f35700ad79163d22022-03-22T18:52:00+01:002022-03-22T18:52:00+01:00RenaudCinémaDésillusionElio PetriItalieMortOuvrierTravail <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/jours_comptes/.jours_comptes_m.jpg" alt="jours_comptes.jpg, févr. 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Des illusions tristes<br /></strong></ins></span>
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<p><ins>Les Jours comptés</ins> raconte un peu l'histoire d'une épiphanie triste, la prise de conscience soudaine et totale d'un ouvrier plombier quinquagénaire qui a passé toute sa vie à travailler de manière acharnée et qui réalise brutalement la vacuité de son existence. Il aura suffi d'un jour, et un mort dans un bus, pour que Cesare Conversi subisse cet électrochoc existentiel lui rappelant sa finitude, et dans le même mouvement la nécessité de profiter de la vie avant que la mort ne le saisisse lui aussi. Il découvre malheureusement que profiter de la vie, pour lui, dans sa condition, n'est pas aussi simple que ce qu'il pensait. Ce n'est pas un coup de baguette magique qui repousserait en un clin d'œil les tracas, les contingences, et cette mort, inexorable, obsédante.</p>
<p>La tonalité très pessimiste du film en est la pierre angulaire, le moteur, l'élément central, ce qui fera que certains s'y retrouveront naturellement là où d'autres se sentiront rebutés par ce constat un peu unilatéral et brutal. Car au-delà de l'aliénation par le travail dont le protagoniste doit s'extraire afin de se lancer dans sa quête subite, il y a tout un pan ayant trait à la désillusion profonde qui le secoue. Face à l'absolue nécessité de bousculer son quotidien, de changer ses habitudes, de profiter enfin de plaisirs divers, il se retrouve face à un mur. Chacune de ses tentatives, loin d'apaiser la tristesse suscitée par un tel choix émotionnel, ne fait que graduellement amplifier la douleur et le désarroi. <strong>Elio Petri </strong>travaille une veine mélancolique de la plus belle eau. Et <strong>Salvo Randone </strong>est vraiment parfait dans le rôle principal.</p>
<p>Car il est trop tard. Changer sa destinée, à son âge, paraît bien difficile, si ce n'est impossible. L'obsession de la mort le taraude ainsi : va-t-il, lui aussi, comme cet inconnu dans le bus, mourir sans autre forme de procès, sans laisser aucune trace, sans savoir combien de temps il lui reste ? À l'urgence tout juste apparue de changer son destin s'oppose fermement une série de désillusions tenaces. Il vagabonde au hasard, entre le tribunal, un musée, ses anciennes amours, ses vieux copains, une bouteille et un terrain vague, mais rien ne peut atténuer son angoisse. Il a 53 ans — l'âge de <strong>Petri </strong>à sa mort en 1982, triste coïncidence — et il n'est pas éternel. Le film se terminera là où il avait commencé, avec entretemps un sursaut de lucidité cruelle quant à la futilité de l'existence et sa propre solitude. C'est <strong>Petri </strong>chez <strong>Antonioni</strong>, en quelque sorte. Il retourne à son travail, seul dans cette société.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/jours_comptes/.img1_m.png" alt="img1.png, févr. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/jours_comptes/.img2_m.png" alt="img2.png, févr. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/jours_comptes/.img3_m.png" alt="img3.png, févr. 2022" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Jours-comptes-de-Elio-Petri-1962#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1040Norma Rae, de Martin Ritt (1979)urn:md5:f77514928a8a003fbbbfc1e124a5bece2021-05-17T10:30:00+02:002021-05-17T10:30:00+02:00RenaudCinémaFemmeGrèveMartin RittNouvel HollywoodOuvrierSally FieldSyndicatTravail <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/norma_rae/.norma_rae_m.jpg" alt="norma_rae.jpg, avr. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Femme de combats<br /></strong></ins></span></div>
<p>La filmographie de <strong>Martin Ritt </strong>est décidément un très bon filon à suivre, comme le montre cet excellent film américain (la précision est importante, étant donné le thème) sur la classe ouvrière, réalisé en fin de carrière, à la fin de la période du Nouvel Hollywood. Un an après le jalon <ins>Blue Collar</ins> posé par <strong>Paul Schrader </strong>et focalisé sur les ouvriers d'une usine de voitures de Detroit, un an également après <ins>FIST</ins> de <strong>Norman Jewison</strong> qui mettait en scène <strong>Sylvester Stallone </strong>dans le rôle d'un manutentionnaire de Cleveland à l'origine d'un mouvement syndical, c'est au tour de l'histoire de la syndicaliste <strong>Crystal Lee Sutton</strong> d'être transcrite à l'écran, sous les traits de l'incroyable et émouvante <strong>Sally Field</strong>, pour raconter le combat de cette ouvrière de l'industrie du textile en Caroline du Nord aux côtés d'un syndicaliste new-yorkais venu dans le coin pour impulser, non sans résistance, le mouvement. Un trio remarquable du cinéma américain qui tient sur moins de deux ans, à la fin des années 70.</p>
<p>La description de la condition de la femme dans <ins>Norma Rae</ins> passerait presque avant tout le reste : c'est une femme divorcée, mère de deux enfants, une ouvrière du textile dans une usine qui a vu passer ses parents, probablement ses grands-parents, et qui emploiera sans doute ses enfants. Une industrie dans une petite ville du Sud des États-Unis dont la main d'œuvre est majoritairement féminine, faisant du combat de Norma Rae quelque chose qui progressera de l'individuel au collectif. Tout sauf une exception, en somme. Assez vite dans le film, les conditions de vie de la protagoniste apparaissent comme très difficiles, partagées entre sa vie professionnelle, syndicale, familiale, sentimentale. Elle jongle entre tous les registres et pèse sur tous les tableaux : comme elle est grande gueule, elle ne se laisse pas facilement marcher sur les pieds.</p>
<p>On peut regretter certaines facilités d'écriture, au sens où la progression de l'adhésion syndicale se fait un peu trop facilement en regard du caractère effarouché de Norma Rae. Mais en un sens la dimension vraisemblable (ou non) de cette partie-là importe peu car ce n'est pas vraiment l'objet du film, davantage tourné vers la construction d'un désir, qu'il soit sentimental ou politique. Le contexte social est bien ancré, du côté de la famille comme du côté des relations hiérarchiques au travail — avec tous ses rapports de subordination. <strong>Ritt </strong>évite toute condescendance, tout manichéisme, il garde à bonne distance les archétypes du genre pour établir des portraits contrastés tout en nuances. Il n'y a pas de héros ici, et l'ouvrière militante tout comme l'intellectuel juif sont dépeint avec toutes leurs faiblesses.</p>
<p>Le travail sur le son est particulièrement notable, aussi, avec le bruit assourdissant qui émane des machines dans l'atelier de tissage : un aperçu des conditions de travail imposées aux ouvriers, mais aussi l'occasion d'une très belle scène (tirée d'un épisode bien réel) lorsque ces mêmes machines seront arrêtées une à une. Un film sur la naissance du syndicalisme dans un petit coin de campagne, en parallèle d'une prise de conscience presque malgré elle chez Norma Rae, avec toute la lenteur du phénomène, tous les obstacles qui se dressent sur son chemin. Dans ces moments-là, particulièrement sobres, <strong>Martin Ritt </strong>lorgne presque du côté du documentaire : il filme les gestes du travail, les temps de pause, les espaces entre ateliers et bureaux des supérieurs, la devanture de l'usine. Pas de morale, pas de mièvrerie, pas même de sentimentalisme entre les deux protagonistes : seulement une très belle histoire d'amitié entre deux êtres qui correspondaient à l'origine à deux archétypes relativement opposés.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/norma_rae/.medecin_m.jpg" alt="medecin.jpg, avr. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/norma_rae/.usine_m.jpg" alt="usine.jpg, avr. 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/norma_rae/.livre_m.jpg" alt="livre.jpg, avr. 2021" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Norma-Rae-de-Martin-Ritt-1979#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/953Germinal, de Albert Capellani (1913)urn:md5:b5ff988a301730383e60e4a1b60d01552020-07-10T20:36:00+02:002020-07-10T19:56:41+02:00RenaudCinémaCinéma muetEmile ZolaLutte des classesMineOuvrier <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/germinal/.germinal_m.jpg" alt="germinal.jpg, juil. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Des boiseurs et des herscheuses
</strong></ins></span></div>
<p>Pas sûr que la version très outrée (et pourtant issue du cinéma parlant, elle) de <strong>Claude Berri </strong>en 1993, étonnamment nimbée de tendresse dans mes vieux souvenirs (l'effet "<strong>Renaud </strong>jeune", sans doute, qui tranche de plus en plus avec cette silhouette qu'on aperçoit de temps en temps claudiquer devant une caméra pour chanter <a href="https://youtu.be/RK3J2sDEQ1M">quelque chose de très gênant</a>), résiste à un nouveau visionnage. La description de la dureté des conditions de vie des mineurs et de leurs familles dans le <ins>Germinal</ins> de 1913, que l'on découvre à mesure qu'Étienne Lantier se familiarise avec ce milieu, paraît plus pragmatique et intéressante dans cette première adaptation de <strong>Zola </strong>signée <strong>Albert Capellani </strong>80 ans auparavant.</p>
<p>Une chose étonnante, tout de même : là où la violence des rapports de classe était exacerbée (quel que soit la qualité du résultat) dans le film le plus récent, avec gros plans sur la houille qui salit les visages et émasculation post mortem de l'épicier profiteur et pas vraiment en conformité avec les revendications #metoo, la version de 1913 s'efforce d'atténuer la dimension subversive et l'inclination à la révolte. On retrouve cette édulcoration dans quelques cartons tentant de réconcilier les travailleurs et les dirigeants mais aussi et surtout dans la séquence-clé où la police militaire tire sur les grévistes et tuent la fille du directeur qui tentait de s'interposer, liant ainsi dans la mort le destin des différentes parties. Une scène d'une grande modernité sur le plan dramatique, dans la mise en scène de l'inéluctable, précédée d'une longue montée en tension avec d'un côté la colère qui monte du côté des ouvriers et de l'autre l'arrivée des bataillons militaires.</p>
<p><ins>Germinal</ins> vaut également le détour pour la combinaison de séquences en extérieur, en plans larges presque documentaires (certaines scènes dans des ateliers métallurgiques au début du film y sont clairement associées), et de séquences en studio pour reconstituer les décors souterrains de la mine : la première descente, ces vues en immersion (simulée) dans les galeries, au milieu des boisages que l'ingénieur jugera défectueux, la longue attente finale lorsque trois mineurs se retrouvent coincés au fond après une explosion... mais aussi les routes campagnardes que Lantier parcourt, jolis moments rustiques, ou la vie dans les corons. La révélation au sujet d'un mineur qui est en réalité une femme, trahie par sa chevelure, fera d'ailleurs l'objet d'un très bel écho tragique avec l'un des derniers temps forts, lorsque le corps inanimé d'une personne est remonté, avec seulement un bras et une chevelure dépassant du drap.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/germinal/.bar_m.jpg" alt="bar.jpg, juil. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/germinal/.mine_m.jpg" alt="mine.jpg, juil. 2020" /></div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Germinal-de-Albert-Capellani-1913#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/806L'Emploi, de Ermanno Olmi (1961)urn:md5:938b076efc21f57349b1f962c39405312019-03-01T12:28:00+01:002019-03-01T12:29:47+01:00RenaudCinémaAbsurdeErmanno OlmiItalieNéoréalismeOuvrierRomanceRécit d apprentissageTravail <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/emploi/.emploi_m.jpg" alt="emploi.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="emploi.jpg, mar. 2019" /><div id="centrage">
<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong> "L'avenir vous semble-t-il sans espoir ? Buvez-vous souvent pour oublier vos problèmes ?" </strong></ins></span>
</div>
<p>Dans le cadre de cette époque du cinéma italien, on peut se lancer dans <ins>L'Emploi</ins> en croyant avoir affaire à une forme de néoréalisme plus ou moins classique. Si la toute première partie peut donner raison sous certains aspects, en se concentrant sur la famille d'un jeune fils d'ouvrier à travers la promiscuité qui règne au sein du foyer, cette grille de lecture s’avérera très vite caduque. <strong>Ermanno Olmi</strong> trace son chemin dans une direction étonnante, émouvante, et bien difficile à anticiper.</p>
<p>L'emploi du titre, c'est ce qui est au centre d'un récit d'apprentissage, celui de Domeneco, interprété par <strong>Sandro Panseri </strong>avec une tendresse bien curieuse, presque atone, lui qui semble invariablement partagé entre mollesse et incompréhension. La représentation de son état d'esprit incertain, comme s'il baignait constamment dans un flou dense, est excellente. On ne saura jamais vraiment ce qu'il en pense sincèrement, de cette batterie de tests stupides qu'on lui fait passer comme concours d'entrée dans une grande entreprise milanaise, de son rapport à la hiérarchie ou même à ses collègues, et plus généralement de son fameux emploi. La seule chose dont on est sûr, à la fin, c'est que Domeneco a clairement tourné le dos à son adolescence, finies l'innocence et l’insouciance, en étant devenu un employé de bureau comme tant d'autres. Un poste qu'il n'occupe ni franchement par dépit, ni par véritable choix personnel : un peu par défaut, poussé par des contraintes diverses. Une trajectoire désespérément banale.</p>
<p>Le monde du travail est d'abord décrit comme le lieu de l'étrange et de l'absurde, avec ces tests intellectuels bizarres (une heure pour calculer 620 x 3/4 x 4/5), ces examens physiques incongrus, et ces entretiens qui ne font à aucun moment sens ("L'avenir vous semble-t-il sans espoir ? Est-ce que le sexe opposé vous répugne ? Buvez-vous souvent pour oublier vos problèmes ?"). Mais il y fera également la rencontre d'une jeune fille aussi paumée que lui, et il s'en rapprochera jusqu'à ce que les lois de l'entreprise les séparent en les affectant à des départements différents. Le néoréalisme des débuts est ainsi très vite laissé de côté, pour laisser place tour à tour à un humour noir et absurde, ainsi qu'à une forme de romantisme très léger, toujours très en retrait.</p>
<p>On ne comprendra jamais ce qui motive l'ascension des différents échelons, ce qui se trame derrière les nombreux changements d'affectation, et toutes ces décisions sont observées avec une douce ironie, avec beaucoup de recul. Domeneco se soumet docilement aux différentes injonctions, mais on ne connaîtra jamais véritablement le fond de sa pensée, même si on ressent avec vigueur le décalage profond entre la promesse initiale d'une vie meilleure et la réalité de la vie "active" dans tout son prosaïsme, auquel il ne semblera pas réagir (la scène du manteau bien trop grand est à ce titre éloquente). Une approche délicate qui permet au film de rester sensible, intelligible, drôle et pertinent encore aujourd'hui, en dépit des transformations profondes du monde du travail depuis le milieu du XXe siècle.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/emploi/.chapeau_m.jpg" alt="chapeau.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="chapeau.jpg, mar. 2019" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Emploi-de-Ermanno-Olmi-1961#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/622