Je m'attarde - Mot-clé - Portraits Croisés le temps d'un souffle<br />2024-03-29T08:45:23+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearHara-Kiri : de Kobayashi (1962) à Miike (2011)urn:md5:05ec05755633d57a50e5e98134d8e0222020-07-22T01:08:00+02:002020-07-22T00:10:12+02:00RenaudCinémaChanbaraCinéma asiatiqueCritiqueDrameJaponMasaki KobayashiPortraits CroisésSamouraï <div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/hara_kiri/harakiri_kobayashi.jpg" alt="harakiri_kobayashi.jpg" title="Hara-kiri (Masaki Kobayashi, 1962) : affiche, déc. 2011" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/hara_kiri/harakiri_miike.jpg" alt="harakiri_miike.jpg" title="Hara-kiri (Takashi Miike, 2011) : affiche, déc. 2011" /></div>
<p><ins><strong>Critique du 22/07/2020 (portant uniquement sur le film de Kobayashi de 1962)</strong></ins> :</p>
<p>Au premier visionnage de <ins>Harakiri</ins>, forcément emporté par la structure narrative en flashbacks, cadencé au rythme des révélations successives, le regard se porte naturellement sur tout ce qui a trait à la thématique des apparences, des codes d'honneur factices et des morales d'apparat (cf. la critique originelle ci-dessous). Les différents segments du récit que Tsugumo fait au clan Ii, éclairant peu à peu les raisons de sa venue, agissent comme les couches successives d'un vernis implacable venant dynamiter celui qui préexistait. Sur le plan de la dynamique et des enjeux, avec cette lenteur atmosphérique et démentielle qui emplit tout l'espace pour conférer une puissance folle à la destruction des étendards de la vertu, la structure agencée par <strong>Masaki Kobayashi </strong>et le scénariste <strong>Shinobu Hashimoto </strong>est aiguisée comme un sabre (en acier, donc).</p>
<p>Ce qui retient un peu plus l'attention au second visionnage, avec la connaissance a priori des principaux temps forts de la narration, c'est le sous-texte très politique portant sur l'écriture de l'histoire, sur sa manipulation et autres réécritures opportunistes. Le choix de la période d'Edo (1603-1867, soit plus de deux siècles de paix) n'est pas un hasard, au-delà de la justification des problématiques liées à la déchéance des samouraïs, devenus inutiles en temps de paix. <ins>Harakiri</ins> s'ouvre et se referme sur l'image d'un livre : c'est le compte-rendu de l'histoire officielle, celle des manuels, celle écrite par les vainqueurs (le clan Ii) que la postérité retiendra. Dans les livres, il n'y aura donc aucune trace de la révolte de ce samouraï qui s'est pourtant élevé seul contre tous, et qui aura révélé toute la dimension illusoire de la dignité affichée en allant examiner l'envers de la façade. C'est à mes yeux cette composante qui détient la charge dramatique la plus conséquente, dans des dimensions bien supérieures au plaidoyer pour la tolérance du premier niveau de lecture — aussi soigné et pertinent soit-il.</p>
<p>Pour le reste, le film peut aussi se voir comme un discours sur la lucidité : tout au long de sa manœuvre, Tsugumo prend un soin évident à ne pas laisser les dignitaires du clan dos au mur, en leur laissant constamment des portes de sortie (bien qu'ils ne les acceptent jamais). Son geste ne s'en trouve que plus intense et signifiant. Une lucidité dont tous ceux qui se réfugient derrière l'état féodal, par intérêt ou par grégarisme, ne sauraient quoi faire. En ce sens, la dimension pyramidale de cette micro-société, avec à son sommet l'armure vide symbole absolu de pouvoir et de vanité, brille par son absence d'humanité.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/hara_kiri/harakiri_extra/.harakiri-01_m.jpg" alt="harakiri-01.jpg, juil. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/hara_kiri/harakiri_extra/.harakiri-02_m.jpg" alt="harakiri-02.jpg, juil. 2020" />
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/hara_kiri/harakiri_extra/.harakiri-14_m.jpg" alt="harakiri-14.jpg, juil. 2020" />
</div>
<p><ins><strong>Critique du 26/12/2011</strong></ins> :</p>
<p>Cinquante ans après le grand classique de <strong>Masaki Kobayashi</strong> (<ins>Hara-kiri</ins> en 1962, ou <em>Seppuku</em> en version originale) adapté d'un célèbre roman de <strong>Yasuhiko Takigushi</strong>, c'est au tour de <strong>Takashi Miike</strong> d'en proposer une version actualisée : <ins>Hara-kiri : Mort d'un Samuraï</ins>, ou <em>Ichimei</em>.<br />
Mais quelque chose cloche... Il suffit de connaître quelques éléments de leurs filmographies respectives pour voir poindre à l'horizon un antagonisme des plus manifestes. Aussi, avant d'aborder l’œuvre à proprement parler, attardons-nous un instant sur ces deux personnages que tout semble opposer.</p>
<p>D'un côté, <strong>Kobayashi</strong>, ancien étudiant en Art et en Philosophie, marqué par son passage dans les rangs de l'armée japonaise lors de la seconde guerre mondiale. Aujourd'hui qualifié de réalisateur humaniste, il est considéré comme un maître du cinéma japonais à ranger aux côtés d'<strong>Akira Kurosawa</strong> <a name="Kurosawa_back" href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Hara-Kiri-de-Kobayashi-a-Miike#Kurosawa">(1)</a> et de <strong>Nagisa Ōshima</strong> <a name="Oshima_back" href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Hara-Kiri-de-Kobayashi-a-Miike#Oshima">(2)</a>. Dans sa filmographie, on peut citer <ins>La Condition de l'Homme</ins> (trilogie de 1959 à 1961 inspiré de ses expériences militaires), <ins>Kwaidan</ins> (1964) et <ins>Rébellion</ins> (1967).<br />
De l'autre, <strong>Miike</strong>, réalisateur punk et prolifique à la carrière sulfureuse et imprévisible – pour le meilleur comme pour le pire – parfois décrit par ses détracteurs comme puéril. Un attardé en quelque sorte... Sa filmographie est très inégale, avec une cinquantaine de films réalisés depuis 1991 : parmi les meilleurs, <ins>Shinjuku Triad Society</ins> (1995), <ins>Rainy Dog</ins> (1997), <ins>The Bird People of China</ins> (1998), <ins>Audition</ins> (1999), <ins>Ley Lines</ins> (1999), et <ins>Ichi The Killer</ins> (2001), ce dernier étant l'un des films les plus déments qui soient.</p>
<div id="centrage"> <img title="Hanshiro Tsugumo (version Kobayashi), déc. 2011" alt="kobayashi2.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/hara_kiri/kobayashi2.jpg" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/hara_kiri/miike2.jpg" alt="miike2.jpg" title="Hanshiro Tsugumo (version Miike), déc. 2011" /></div>
<p>Des personnalités contradictoires, donc, mais qui se rejoignent sur cette adaptation de <ins>Hara-kiri</ins>. Dans un Japon du XVIIème siècle (période d'Edo) qui connaît une phase de paix, les <em>rōnin</em> (samouraïs sans maître) éprouvent quelque difficulté à survivre. Nombre d'entre eux décident alors de tenter auprès de puissants seigneurs un « hara-kiri pantomime » : prétextant une grande pauvreté, ils prétendent vouloir conserver leur honneur en se suicidant, i.e. en se faisant <em>hara-kiri</em> <a name="seppuku_back" href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Hara-Kiri-de-Kobayashi-a-Miike#seppuku">(3)</a><em>,</em> dans la demeure de ces seigneurs. Ceux-ci, la plupart du temps, cherchent à les convaincre d'abandonner leur funeste projet et leur proposent, en échange de leur renoncement, diverses rétributions.<br />
Ainsi commence ce <em>chanbara</em> (film de sabre japonais) hors norme, dans la demeure du seigneur Saito, où les histoires de Motome Chijiiwa et Hanshiro Tsugumo, apparemment sans lien, vont s’entremêler au travers d'efficaces flashbacks. La première heure consacre les règles de base du <em>bushidō </em>(code d'honneur que devaient suivre les samouraïs) : la rigueur, le courage, la bienveillance, le respect, l’honnêteté, l’honneur, et la loyauté. Le spectateur, à la lumière du récit qui lui est conté, prend d'emblée fait
et cause contre Motome, acculé malgré lui au suicide pour donner l'exemple. Pire, le sort qui lui est réservé, aussi abominable qu'il soit, paraît tout à fait justifié et mérité. Mais ce n'est que progressivement, en découvrant en même temps que l'ensemble du clan toute l'histoire derrière la visite de Motome, que l'on prend conscience de
l'erreur de jugement qui a été commise. Sur la base d'un scénario implacable et élégant, Hanshiro va brillamment réduire à néant ces valeurs qui formaient le masque d'une vertu – celle des samouraïs – que l'on croyait inébranlable.<br />
On retrouve ici les considérations antimilitaristes et humanistes chères à <strong>Masaki Kobayashi</strong> : on ne peut se réfugier éternellement derrière la rigidité des règles, d'un code, pour légitimer des actes injustifiables. Ébranlé par les révélations du visiteur, le clan préférera mentir
pour préserver son honneur ; triste constat que celui de l'armure de l'idole du clan remontée sur son présentoir comme si de rien n'était, après avoir volé en éclats. Allégorie d'un <em>bushidō </em>fondateur mais bafoué, de valeurs séculaires mais anéanties, cette dernière image grave dans le marbre de l'indifférence le symbole d'une vertu d'apparat qui a perdu tout son sens. Ce thème donne lieu à des scènes d'introduction et de clôture hiératiques chez <strong>Kobayashi</strong>, alors qu'il est traité avec plus de légèreté dans la version de <strong>Miike</strong>.<img title="Combat (version Kobayashi), déc. 2011" style="margin: 1em auto; display: block;" alt="kobayashi1.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/hara_kiri/.kobayashi1_m.jpg" /></p>
<p>Mais les versions de <strong>Kobayashi </strong>et de <strong>Miike </strong>diffèrent en quelques autres points fondamentaux. D'une manière générale, l’œuvre du premier est abordée de manière beaucoup plus sobre : outre l'évidence du passage à la couleur, l'adaptation de 2011 reprend certaines scènes clés avec une empathie à la limite du désagréable, à l'image du drame familial déclencheur du hara-kiri pantomime de Motome baignant dans un flot de violons doucereux. Autre fait marquant, <strong>Miike </strong>se fait beaucoup plus insistant, presque poussif, lors de la scène du <em>seppuku</em> <a name="scene_back" href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Hara-Kiri-de-Kobayashi-a-Miike#scene">(4)</a> où le malheureux Motome s’éventre péniblement avec
un sabre en bambou, là où <strong>Kobayashi </strong>se limitait à un pouvoir de suggestion incroyable. À noter, enfin, le combat final où Hanshiro se bat vaillamment avec un sabre factice alors qu'il se défendait avec une vraie lame en 1962, tuant et blessant de nombreux samouraïs. L'interprétation des raisons de sa venue diffèrent ainsi sensiblement.<img title="Combat (version Miike), déc. 2011" style="margin: 1em auto; display: block;" alt="miike1.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/hara_kiri/.miike1_m.jpg" /></p>
<p> <ins>Hara-kiri</ins> est donc un film critique, une subtile dénonciation d’un mode de vie devenu rigide et austère après avoir été poussé jusqu’à l’absurde (cf. la scène intenable du <em>seppuku</em>). Le film résonne d'une manière différente aujourd'hui, et s'avère essentiellement un drame social bouleversant, mettant en évidence la misère des uns face à l'extrême richesse des autres, que ce soit chez <strong>Kobayashi </strong>ou chez <strong>Miike</strong>. Ils fustigent tous deux l'absurdité de codes d'honneur surannés, et dénoncent le carcan aliénant que le respect de la hiérarchie impose.</p>
<span style="font-size: 9pt;">
<br /><a name="Kurosawa">(1)</a> Une trentaine de films à son actif, parmi lesquels <ins>Les Sept Samouraïs</ins> en 1954, <ins>Yojimbo</ins> en 1961, <ins>Entre le Ciel et l'Enfer</ins> en 1963, <ins>Ran</ins> en 1985. <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Hara-Kiri-de-Kobayashi-a-Miike#Kurosawa_back">(retour)</a>
<br /><a name="Oshima">(2)</a> Réalisateur controversé, notamment pour ses films politiques ou érotiques, comme <ins>Nuit et Brouillard au Japon</ins> en 1960, <ins>Les Plaisirs de la Chair</ins> en 1965, <ins>L'empire des Sens</ins> en 1976, <ins>Furyo</ins> en 1983. <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Hara-Kiri-de-Kobayashi-a-Miike#Oshima_back">(retour)</a>
<br /><a name="seppuku">(3)</a> <em>Hara-kiri</em> (terme auquel les Japonais préfèrent celui de <em>seppuku</em>) : suicide assisté selon le code Samouraï. Suite à une disgrâce, un samouraï se devait de s’éventrer aussi bien horizontalement que verticalement à l’aide d’une lame spécialement prévue à cet effet. Un assistant, lui aussi samouraï, se devait quand à lui de procéder à la décapitation pour achever le rite. <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Hara-Kiri-de-Kobayashi-a-Miike#seppuku_back">(retour)</a>
<br /><a name="scene">(4)</a> Alors que cette scène représente l'unique <em>seppuku</em> chez <strong>Kobayashi</strong>, quelques samouraïs déshonorés après avoir perdu un combat contre Hanshiro se donnent la mort dans la version de <strong>Miike</strong>. <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Hara-Kiri-de-Kobayashi-a-Miike#scene_back">(retour)</a>
</span>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Hara-Kiri-de-Kobayashi-a-Miike#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/76Portraits croisés : Fitzcarraldo, de Werner Herzog (1982) et Burden of Dreams, de Les Blank (1982)urn:md5:6a555474a8ce68fe9d7224fa055abc142018-01-19T14:03:00+01:002018-01-19T19:36:24+01:00RenaudCinémaAmazonieBateauDocumentaireFolieKlaus KinskiPortraits CroisésWerner Herzog <div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fitzcarraldo_burden_of_dreams/.fitzcarraldo_m.jpg" alt="fitzcarraldo.jpg" title="fitzcarraldo.jpg, janv. 2018" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fitzcarraldo_burden_of_dreams/.burden_of_dreams_m.jpg" alt="burden_of_dreams.jpg" title="burden_of_dreams.jpg, janv. 2018" /><br />
<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>1°) Fitzcarraldo — "I live my life or I end my life with this project."<br /></strong></ins></span>
</div>
<p>À la fin de <ins>Fitzcarraldo</ins>, une pensée, comme une réaction naturelle après un tel spectacle : l'envie extrêmement forte d'en savoir plus sur l'envers du décor (qui a failli mourir, comment les acteurs ont été hypnotisés, quel pari fou il a perdu : des éléments classiques chez <strong>Herzog</strong>), rendant presque obligatoire le visionnage du documentaire retraçant les conditions de tournage, <ins>Burden of Dreams</ins>. Le contenu documentaire s'avèrera sans surprise aussi intéressant que le contenu de la fiction, aussi passionnant, aussi fou. </p>
<p>Si le premier réflexe est de voir dans <ins>Fitzcarraldo</ins> une sorte de réponse à <ins>Aguirre</ins>, l'autre périple amazonien sorti 10 ans plus tôt et l'autre délire herzogien dans lequel la mégalomanie traverse largement l'écran, un réflexe tout aussi instinctif pousse à distinguer les deux films tant les deux protagonistes (incarnés par <strong>Klaus Kinski</strong>, même si de nombreux autres acteurs avaient été envisagés dans un premier temps pour le personnage de Fitzcarraldo, comme <strong>Jason Robards</strong>, évacué à cause d'une dysenterie, <strong>Warren Oates</strong>, mort avant le tournage, ou encore <strong>Jack Nicholson</strong>, effrayé par le tournage en décors réels) souffrent d'une maladie différente. Deux grands mégalomanes, deux grandes pulsions destructrices, certes, mais qui s'expriment d'une manière très positive ici, avec une contrepartie créative évidente, tout aussi importante. On sent très bien la joie de Fitzcarraldo à l'opéra et dans la poursuite de ses rêves, loin de la toxicité d'Aguirre pour son entourage. Et la mégalomanie se propage jusque dans le projet de <strong>Herzog </strong>lui-même, bien sûr, mais aussi dans une sorte de métaphore de la folie de l'Occident, dans ses délires de colonisation et de toute-puissance.</p>
<p>Sans en connaître les détails, on n'a aucun mal à imaginer le calvaire du tournage, aussi légendaire que cauchemardesque, et le parallèle avec celui d'<ins>Apocalypse Now</ins> ne semble pas exagéré tant les maladies, les avaries et les blessures furent légion. La fin d'une ère pour <strong>Herzog </strong>en Allemagne, vraisemblablement, comme un pestiféré qu'il valait mieux éviter, un peu comme <strong>Cimino </strong>après <ins>La Porte du paradis</ins>. Les thèmes chers à <strong>Herzog </strong>semblent transpirer de tous les pores du films, à commencer par l'éminente figure de la conquête de l'inutile. La fin de <ins>Fitzcarraldo</ins> (qui rappelle d'ailleurs celle d'<ins>Aguirre</ins>, sur l'eau, avec un spectacle simien bien différent), après le passage dans les rapides Pongo, renoue avec le début de manière parfaitement cyclique. La boucle est bouclée, mais ce retour à la case départ ne se fait pas de manière fataliste, il se fait sans trop d'amertume : les rêves restent un incroyable moteur. Ce moment où la caméra contemple les alentours au niveau de la colline séparant les deux fleuves est magnifique : l'envergure et la folie du projet nous éclatent à la gueule en même temps que la beauté des paysages et la "mégalopathie" du personnage.</p>
<p><ins>Fitzcarraldo</ins> compte une grande quantité de moments mémorables, une fois que le bateau est mis à flot. L'opéra qui fait taire les tambours dans la jungle, les pirogues qui encerclent le bateau, ces visages qui disparaissent dans l'ombre, et bien sûr le fameux passage du bateau à travers la colline. Un passage totalement insensé, d'une authenticité démentielle, caractéristique de ces volontés et pulsions créatrices qui déplacent des montagnes. C'est la supériorité de l'imaginaire à l'état pur. Un moment unique (à ce degré d'intensité-là en tous cas) où la partie fictionnelle du film rencontre sa contrepartie bien réelle, <strong>Herzog</strong> n'étant pas du genre à réaliser cette opération en studio "avec un bateau en plastique". Les personnes impliquées n'auront eu de cesse de quémander des financements, de faire face aux imprévus, et cette mise en abyme confère sans doute toute sa force au projet, où réalité et fiction se mêlent sur pellicule.</p>
<p>Les trois personnages (Aguirre, Fitzcarraldo, et <strong>Herzog</strong>) auront réussi à imposer leurs rêves. Au-delà de leurs échecs, ils continuent de rêver. Peu importe la démesure, peu importe le vertige de l'utopie. Peu importe la folie du but tant qu'on est en mesure d'en envisager le chemin. Peu importe si les chimères triomphent in fine tant qu'elles se matérialisent, ne serait-ce qu'un instant, en un opéra fluvial au fin fond de l'Amazonie. Le rêve et l'abstraction au-dessus de tout, quel qu'en soit le poids.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fitzcarraldo_burden_of_dreams/.kinski_m.jpg" alt="kinski.jpg" title="kinski.jpg, janv. 2018" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fitzcarraldo_burden_of_dreams/.indiens_m.jpg" alt="indiens.jpg" title="indiens.jpg, janv. 2018" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fitzcarraldo_burden_of_dreams/.montee_m.jpg" alt="montee.jpg" title="montee.jpg, janv. 2018" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fitzcarraldo_burden_of_dreams/.bateau_m.jpg" alt="bateau.jpg" title="bateau.jpg, janv. 2018" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fitzcarraldo_burden_of_dreams/.fleuve_m.jpg" alt="fleuve.jpg" title="fleuve.jpg, janv. 2018" />
</div>
<div id="centrage">
<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>2°) Burden of Dreams — L'envers du décor.<br /></strong></ins></span>
</div>
<p>C'est une certitude : l'envers du décor du film est aussi passionnant que le film en lui-même. En captant l'atmosphère qui régnait autour du tournage comme on capterait celle dans les coulisses d'un opéra, <strong>Les Blank </strong>saisit la démesure et la folie en plein vol et va bien au-delà de la simple énumération d'anecdotes. Le parallèle avec le tournage chaotique de <strong>Coppola </strong>raconté dans <ins>Aux cœurs des ténèbres</ins> prend ici tout son sens. On est bien loin de l'insouciance de <ins>Werner Herzog Eats His Shoe</ins>, le court-métrage qui avait déjà réuni les deux réalisateurs deux ans plus tôt et dans lequel <strong>Herzog </strong>mangeait littéralement sa chaussure (agrémentée d'ail et de fines herbes dans un bouillon qui avait tout de même mijoté cinq heures) après avoir perdu un pari.</p>
<p>Il serait tentant d'énumérer toutes les encombres, toutes les avaries, toutes les maladies, toutes les blessures qui ont émaillé le tournage du film, au fond de l'Amazonie pendant de longues années. <ins>Burden of Dreams</ins> a beau ne retracer que 5 semaines du tournage, l'ampleur démentielle de la tâche (et de la folie mégalomaniaque de <strong>Herzog</strong>, dans une magnifique mise en abyme de son œuvre) apparaît de manière parfaitement claire et intelligible. La sidération est totale, de l'interaction avec les tribus indiennes à l'installation des campements de fortune dans la jungle en passant par les délires psychotiques de <strong>Klaus Kinski </strong>et la célébrissime séquence dans laquelle un énorme bateau fut tiré en haut d'une colline pour rejoindre un autre fleuve parallèle. Et <strong>Herzog</strong>, à qui on rappelle que le vrai Fitzcarraldo avait fait traverser le bateau en pièces détachées, de surenchérir en insistant sur le fait (en substance) que tourner cette séquence avec un bateau aussi imposant, en un seul morceau, aura une toute autre gueule et donnera une meilleure idée, une meilleure impression des efforts fournis... Difficile de lui donner tort. Difficile aussi de voir ailleurs que dans sa volonté et sa détermination de fer la capacité presque inhumaine à surmonter toutes les épreuves, toutes les embûches, toute la lassitude des reports et toutes les tensions ainsi suscitées, et ainsi la capacité à terminer un tel film envers et contre tout (et tous).</p>
<ul><li><strong>Herzog </strong>omniprésent sur les lieux de tournage, au-devant du danger et des difficultés, sur la proue du bateau quand il risque de s'échouer ou au milieu du sentier escarpé de la colline pour diriger les Indiens au plus près (sans fouet), les pieds et les mains dans la boue. Prêt à vendre du savon contre quelques sacs de riz pour se nourrir pendant quelques semaines du repérage.</li>
</ul>
<ul><li>Les rumeurs qui enflent autour des intentions du réalisateur, soit disant prêt à creuser un canal entre les deux fleuves (avec pour conséquence l'assèchement des cultures avoisinantes) et engendrant des menaces de mort. Une contrebande d'armes et de drogue aurait été organisée par l'équipe et les Indiens aurait été traités comme des esclaves — alors que le tournage n'avait pas encore commencé. Des images de camps de concentration circulaient même comme preuves des crimes qu'aurait commis <strong>Herzog</strong>.</li>
</ul>
<ul><li>Un conflit armé éclate entre l'Équateur et le Pérou pendant les premières étapes de repérage, à la fin des années 70, avec raids militaires et irruptions de groupes indiens armés qui chassèrent l'équipe des lieux à plusieurs reprises. Pendant le tournage du film, des intempéries exceptionnelles viendront compléter la longue liste des imprévus qui retarderont toujours plus le déroulement du film.</li>
</ul>
<ul><li><strong>Jack Nicholson </strong>avait été envisagé pendant un moment pour le rôle-titre, mais le tournage en décors réels au fin fond de l'Amazonie le découragea. <strong>Warren Oates </strong>fut également envisagé, mais il mourut pendant la préparation du projet après avoir accepté. En janvier 1981, ce sont finalement <strong>Jason Robards </strong>et <strong>Mick Jagger </strong>qui occupent les rôles principaux et tournent 40% du film... avant que <strong>Robards </strong>ne contracte une grave dysenterie et soit évacué aux États-Unis avec pour interdiction de retourner en Amazonie. Fin de l'histoire pour les deux acteurs pourtant enthousiastes, et ce sera finalement <strong>Klaus Kinski </strong>qui reprendra seul le flambeau. Son attitude obscène et colérique sur le tournage pousseront les Indiens à proposer très sérieusement à <strong>Herzog </strong>de se débarrasser de ce fou furieux qui insultait tout le monde (sauf <strong>Claudia Cardinale</strong>).</li>
</ul>
<ul><li>Une attaque d'Indiens Amehuacas blessera gravement trois des acteurs indiens, donnant lieu à une séquence ahurissante dans laquelle <strong>Herzog </strong>montre les énormes flèches en question, encore tâchées de sang, en évoquant un cadeau pour son fils. D'autres personnes de l'équipe allemande seront blessées lors de la séquence de descente des rapides.</li>
</ul>
<ul><li>Et, bien évidemment, la tâche la plus ardue où un bateau de 300 tonnes devait franchir une colline le long d'une pente de plus de 40°. La première tentative, à l'aide des techniques de tractage des Indiens, d'un système de poulies et d'un bulldozer (s'enlisant et tombant constamment en panne, et dont l'importante consommation de gasoil constitua une contrainte supplémentaire pour l'acheminement de bidons de carburant dans la jungle), fut un échec et l'ingénieur recruté à cet effet démissionna devant les risques humains occasionnés. Trois mois plus tard, <strong>Herzog </strong>et toute l'équipe finirent par réussir à hisser le bateau en haut de la colline.</li>
</ul>
<p>On sort de ce <ins>Burden of Dreams</ins> avec la sensation d'avoir presque participé à cette épreuve, à ce naufrage, à cette réactualisation du mythe de Sisyphe. Et c'est sans aucun doute <strong>Herzog </strong>qui en parle le mieux, avec son accent anglais germanique si particulier.</p>
<blockquote><p>"And we in comparison to the articulate vileness and baseness and obscenity of all this jungle [...] we only sound and look like badly pronounced and half-finished sentences out of a stupid suburban cheap novel."</p>
<p>
"Even the stars up here in the sky look like a mess. There is no harmony in the universe. We have to get acquainted to this idea that there is no real harmony as we have conceived it. But [...] I say this all full of admiration for the jungle. It is not that I hate it, I love it. I love it very much. But I love it against my better judgment."</p>
<p>
"I shouldn't make movies anymore."</p>
<p>
"I should go to a lunatic asylum right away."</p>
<p>
"I live my life or I end my life with this project."</p>
</blockquote>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/fitzcarraldo_burden_of_dreams/.herzog_m.jpg" alt="42-16601220" style="margin: 0 auto; display: block;" title="42-16601220, janv. 2018" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Portraits-croises-Fitzcarraldo-de-Werner-Herzog-1982-et-Burden-of-Dreams-de-Les-Blank-1982#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/476Macbeth, de Orson Welles (1948) à Akira Kurosawa ("Le Château de l'araignée", 1957)urn:md5:ab9a41d94012f2ce0d5b9803de3daafa2015-12-07T13:05:00+01:002015-12-08T13:56:26+01:00RenaudCinémaAkira KurosawaEcosseJaponMoyen ÂgeOrson WellesPortraits CroisésPouvoirSamouraïToshirō MifuneWilliam Shakespeare <div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.macbeth_welles_m.jpg" alt="macbeth_welles.jpg" title="macbeth_welles.jpg, déc. 2015" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.chateau_araignee_kurosawa_m.jpg" alt="chateau_araignee_kurosawa.jpg" title="chateau_araignee_kurosawa.jpg, déc. 2015" /><br /><em>À gauche, <ins>Macbeth</ins> de et avec <strong>Orson Welles</strong>. À droite, <ins>Le Château de l'araignée</ins> de <strong>Akira Kurosawa</strong>.</em></div>
<p>Des contrées reculées de l'Écosse aux châteaux ténébreux du Japon, du mal qui ronge à l'erreur qui tourmente, de l’expressionnisme allemand aux codes du théâtre Nô, <strong>Welles </strong>(<ins>Macbeth</ins>, réalisé en 1948) et <strong>Kurosawa </strong>(<ins>Le Château de l'araignée</ins>, réalisé en 1957) ont tous les deux su adapter la pièce de <strong>Shakespeare </strong>avec l'emphase et la grandiloquence qu'elle requiert. On ne peut plus parler de talent, tant cela confine au sublime. Deux regards sensiblement différents sur les affres du pouvoir et de ses implications, enveloppés dans le même manteau brumeux, drapés dans le même voile mystérieux. Deux visions de l'âme humaine qui diffèrent dans leurs interprétations mais qui se rejoignent dans l'écrin de leurs mises en scène épurées. Deux chemins parallèles filant tout droit vers la même conclusion :</p>
<blockquote><p>Life's but a walking shadow, a poor player<br />That struts and frets his hour upon the stage<br />And then is heard no more: it is a tale<br />Told by an idiot, full of sound and fury,<br />Signifying nothing.</p>
</blockquote>
<p>Il faut reconnaître le génie d'<strong>Orson Welles </strong>dans son adaptation très littérale, dans le caractère minimaliste de son <ins>Macbeth</ins> (un tabouret sur la tête puis la coiffe de la statue de la liberté font du personnage éponyme un roi, il fallait le faire), dans la dimension proprement hallucinatoire de son personnage. Directement hérités du meilleur du cinéma allemand expressionniste des années 20, 30 et 40, les regards effarés et les jeux de lumière en clair-obscur décuplent la puissance des sentiments qui traversent Macbeth (et nous avec) : la peur, l'angoisse, et la folie. Il y aussi pour les adorateurs de cette époque du Moyen-Âge, celle de la peste noire et de la poésie macabre, la meilleure des introductions : une plongée délicieuse dans les vers de Shakespeare corrélée à celle, poisseuse, dans le chaudron fumant et dégoûtant des trois sorcières dont on ne devinera que les silhouettes et qui scelleront le destin de Macbeth.</p>
<div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.sorcieres1_s.jpg" alt="sorcieres1.jpg" title="sorcieres1.jpg, déc. 2015" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.sorcieres3_s.jpg" alt="sorcieres3.jpg" title="sorcieres3.jpg, déc. 2015" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.sorcieres2_s.jpg" alt="sorcieres2.jpg" title="sorcieres2.jpg, déc. 2015" /><br /><em>Les trois sorcières dans la version d'<strong>Orson Welles</strong>.</em></div>
<p>Et c'est là qu'il faut saluer le travail d'adaptation remarquable d'<strong>Akira Kurosawa </strong>(qui s'est pour sa part contenté du rôle de réalisateur) qui a su transposer avec brio ce récit totalement délirant dans le Japon médiéval, avec ses codes, son Histoire, tout en préservant l'essence originelle de la pièce anglaise. Car non seulement le cinéaste japonais est parvenu à traduire la grammaire de la poésie de <strong>Shakespeare </strong>en langage interprétable en termes de codes du théâtre Nô, avec ses masques physiques ou symboliques et ses costumes somptueux, son atmosphère et ses thématiques propres, mais il a aussi opéré un tri qui s'avère, à mon sens, extrêmement judicieux. Là où <strong>Justin Kurzel</strong> a pris pour son adaptation de 2015 quelques libertés dans l'interprétation (libertés critiquables) et dans la forme (libertés vraiment appréciables), <strong>Kurosawa </strong>profite du changement radical de lieu pour procéder à un changement subtil de paradigme.</p>
<p>Tout en ayant conservé le nécessaire de la trame principale et toutes les thématiques afférentes (la révélation mystique, la quête du pouvoir, les intérêts croisés, l'aveuglement et la folie qui en résultent), il s'est pour le reste débarrassé du contenu difficilement transposable voire interprétable dans son pays, sa culture, et sa langue. D'une part, à l'imaginaire ayant trait aux sorcières et à la sorcellerie se substitue celui de l'esprit de la forêt du château de l'araignée, moins effrayant mais tout aussi mystérieux dans sa blancheur et son halo lumineux. Et d'autre part, la seconde prophétie de Macbeth (Taketoki Washizu dans la version japonaise) est purement supprimée. Pour rappel, il s'agissait des vers suivants : « <em>Be bloody, bold, and resolute; laugh to scorn / The power of man, for none of woman born / Shall harm Macbeth</em>" » que l'on peut traduire par « <em>Sois sanguinaire, hardi et résolu : ris-toi / du pouvoir de l’homme, car nul être né d’une femme / ne pourra nuire à Macbeth</em> ». Et cette révélation, que Macbeth garda pour lui et pour Lady Macbeth jusqu'à la fin chez <strong>Orson Welles</strong>, conduira par son absence à une fin toute autre chez <strong>Akira Kurosawa</strong>.</p>
<div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.macbeth_welles1_m.jpg" alt="macbeth_welles1.jpg" title="macbeth_welles1.jpg, déc. 2015" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.macbeth_welles2_m.jpg" alt="macbeth_welles2.jpg" title="macbeth_welles2.jpg, déc. 2015" /><br /><em>Ci-dessus, le personnage de Macbeth chez <strong>Orson Welles</strong>.<br />Ci-dessous, le personnage équivalent de Washizu (<strong>Toshirō Mifune</strong>) chez <strong>Akira Kurosawa</strong>.</em> <br /><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.toshiro_mifune1_m.jpg" alt="toshiro_mifune1.jpg" title="toshiro_mifune1.jpg, déc. 2015" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.toshiro_mifune2_m.jpg" alt="toshiro_mifune2.jpg" title="toshiro_mifune2.jpg, déc. 2015" /></div>
<p>Macbeth, alors qu'il voit «<em> la grande forêt de Birnam marcher contre lui jusqu’à la haute colline de Dunsinane</em> », comprend que la première prophétie est en train de se réaliser. Lady Macbeth, personnage-clé du récit et entité profondément maléfique qui se sera seulement contentée de canaliser la noirceur de l'âme de son époux, est à ce moment du récit morte. Elle n'a pas réussi à se débarrasser du sang du roi qui macule encore ses mains pas plus qu'à se défaire du poids des meurtres qui pèsent sur sa conscience, et s'est jetée du haut d'une falaise pour se libérer de cette souffrance. Macbeth est donc seul face à ses démons lorsque le personnage de Macduff lui révèle qu'il est l’incarnation même de la seconde prophétie (une histoire de prématurité) : Macbeth tombe alors sous son épée, emportant avec lui les secrets de la prophétie et le mal profond qu'il renfermait.<br />C'est une histoire totalement différente chez <strong>Kurosawa </strong>car au moment où la prophétie de la forêt mouvante tant redoutée se met en marche sous les yeux ébahis de Washizu (et je pense qu'on visualise assez facilement un <strong>Toshirō Mifune</strong> ébahi... c'est fabuleux), il sombre dans une folie et une peur qu'il communique à ses propres troupes. Pris de panique à leur tour, des archers qui lui étaient jusqu'alors fidèles se mettront à lui décocher de nombreuses flèches (qui, pour l'anecdote, étaient de vraies flèches, renforçant si besoin était la folie de son personnage) et c'est donc sous les coups de ses hommes qu'il périra. Une séquence finale magistrale, d'une rare intensité, le point culminant d'une folie appuyée par les talents d'un acteur remarquable et exacerbée par la brutalité des coups assénés (le son des flèches qui filent et de leur impact résonne encore en moi).</p>
<div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/chateau_fleches.jpg" alt="chateau_fleches.jpg" title="chateau_fleches.jpg, déc. 2015" /></div>
<p>Au-delà de ces différences purement factuelles, ce sont deux films "à ambiance", deux atmosphères aussi raffinées que pesantes, qui rejoignent en ce sens le récent film de <strong>Justin Kurzel</strong>. Dans ces trois cas de figure, on termine sur les genoux, la mâchoire par terre, des étoiles plein les yeux. Mais il m'est bien difficile de ne pas placer la version de <strong>Kurosawa </strong>légèrement au-dessus (celle de <strong>Welles </strong>étant elle-même bien au-dessus de celle de <strong>Kurzel</strong> dans l'ensemble), et ce pour plusieurs raisons.</p>
<p>Tout d'abord, le travail incroyable au niveau de l'environnement graphique et sensoriel du <ins>Château de l'araignée</ins>. Du labyrinthe de la forêt aux décors fastueux des pièces du château, l'immense rigueur technique de la réalisation éclabousse les yeux du spectateur au détour du moindre cadre. La composition est un art de tous les instants, que ce soit dans l'épure esthétique soulignant la froideur des intérieurs en compagnie du personnage glaçant de Asaji, la femme de Washizu, ou dans l'extérieur du château (construit pour l'occasion !) sur les pentes très inclinées du mont Fuji et ses scories volcaniques, ou encore dans l'atmosphère brumeuse et onirique de la forêt dans laquelle errent les deux généraux, Washizu et son fidèle ami Miki, au début du film. Cette séquence d'errance à cheval atteint d'ailleurs, il me semble, une sorte de perfection dans l'union du fond et de la forme. La brume épaisse qui enveloppe les personnages dans leurs armures comme dans leurs pensées et qui les fait tourner en rond, le bruit des sabots inquiétant renforcé par la pluie qui se glisse à travers les branchages... C'est une métaphore particulièrement élégante de la zone d'incertitude dans laquelle ils se trouvent et dans laquelle ils se débattent, qui constituera le point de départ de la tragédie, de leur perte de repères, de leurs erreurs, de leurs différends.</p>
<div id="centrage"><img title="macbeth_gen1.jpg, déc. 2015" alt="macbeth_gen1.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.macbeth_gen1_m.jpg" /><br /><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.macbeth_gen2_m.jpg" alt="macbeth_gen2.jpg" title="macbeth_gen2.jpg, déc. 2015" /><br /><em><ins>Macbeth</ins>, de et avec <strong>Orson Welles</strong>.</em> </div>
<p>La figure de l'esprit de la forêt est aussi très intéressante, notamment dans sa dualité avec le personnage d'Asaji (<strong>Isuzu Yamada</strong>, pétrifiante). La blancheur de leur peau, la lenteur de leurs gestes, leur apparence quasi-éthérée se font sans cesse écho, et la dimension inquiétante de la femme de Washizu prend forme très progressivement, tout d'abord dans son calme apparent, puis dans le son de sa robe sur le plancher qui se fait pesant, et enfin dans sa "disparition" dans le noir d'une pièce attenante avant de réapparaître, tel un fantôme, tel un spectre, avec le saké empoisonné entre ses mains. Loin du personnage de Lady Macbeth, Asaji n'a pas une connaissance profonde de l'âme de son époux qui renfermerait un éventuel mal profond, elle le pousse à la faute par intérêt personnel, par excès d'ambition et par manque de scrupule. Elle le guide dans ses erreurs en lui faisant croire qu'étant enceinte, la seule solution acceptable quant à leur avenir est de tuer le fils de son ami et désormais rival Miki. Son personnage offre un contrepoint de choix à celui de Washizu, sa froideur et son intériorisation constituant un excellent contraste à l'expressivité excessive tout autant que jouissive et naturelle de <strong>Toshirō Mifune</strong>.</p>
<p>On peut résumer tout cela dans le message vaguement bouddhiste qui ouvre et ferme <ins>Le Château de l'araignée</ins> : plutôt que d'observer, comme <strong>Orson Welles</strong>, le caractère tragique des passions humaines à travers le filtre du mal profondément enraciné en chacun de nous, <strong>Akira Kurosawa </strong>met l'accent sur les erreurs (de jugement, entre autres) qui mènent aux aliénations les plus totales. Le piquet que l'on voit au début et à la fin agit ainsi comme un symbole, au centre de la nature : il appelle à ne pas succomber à la tentation de l'arrivisme qui sommeille en chaque homme, et à prendre garde aux mille embûches qui jalonnent le chemin de la rigueur morale et de la jouissance apaisée.</p>
<div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.chateau_gen1_m.jpg" alt="chateau_gen1.jpg" title="chateau_gen1.jpg, déc. 2015" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.chateau_gen2_m.jpg" alt="chateau_gen2.jpg" title="chateau_gen2.jpg, déc. 2015" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.chateau_gen3_m.jpg" alt="chateau_gen3.jpg" title="chateau_gen3.jpg, déc. 2015" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/macbeth/.chateau_gen4_m.jpg" alt="chateau_gen4.jpg" title="chateau_gen4.jpg, déc. 2015" /><br /><em>Images extraites du film d'<strong>Akira Kurosawa</strong>.</em></div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Macbeth-de-Orson-Welles-1948-a-Akira-Kurosawa-Le-Chateau-de-l-araignee-1957#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/295