Je m'attarde - Mot-clé - Rébellion le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearLes Hommes contre, de Francesco Rosi (1970)urn:md5:59c9a1b7e7bffb4bdffe4c962ed592bd2022-12-14T19:00:00+01:002022-12-14T19:00:00+01:00RenaudCinémaAlain CunyAutricheFrancesco RosiGian Maria VolontéGuerreIdéalismeItalieLutte des classesMark FrechetteMilitairePremière Guerre mondialeRébellion <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/hommes_contre/.hommes_contre_m.jpg" alt="hommes_contre.jpg, nov. 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"Vous êtes invincibles comme les guerriers romains !"<br /></strong></ins></span>
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<p>La Première Guerre mondiale, vue depuis le front en 1916 où les troupes italiennes se sont fait décimer par l'armée autrichienne. Dans sa volonté de montrer la folie des hauts gradés qui conduisirent des milliers de soldats à l'abattoir, il est difficile (pour ne pas dire impossible) de ne pas relier ce film de <strong>Francesco Rosi </strong>au classique de <strong>Kubrick</strong>, <ins>Les Sentiers de la gloire</ins>, sorti pourtant 13 ans plus tôt. Le schéma de la démonstration est très différent mais le sujet est très similaire puisque <ins>Les Hommes contre</ins> s'attachera à suivre la destinée de deux officiers, dans des degrés divers d'idéalisme, opposés à leur commandement sous la personne du général Leone — un illuminé entêté dans son obsession, assez éculée dans ce contexte de guerre de tranchées, de reprendre une position perdue par ses troupes. Dans le rôle de cet idiot auteur d'un nombre incalculable d'opérations suicides, <strong>Alain Cuny </strong>est très bon même si son personnage correspond un peu trop à la caricature du général borné et tortionnaire.</p>
<p><strong>Gian Maria Volonté </strong>est le plus discret des deux lieutenants de l'opposition, c'est la facette socialiste de l'idéalisme qui entamera une rébellion contre son état-major (suite à une réaction pour le moins surprenante des ennemis autrichiens, eux-mêmes lassés de s'adonner à un tel carnage) et qui périra sur le terrain. <strong>Mark Frechette </strong>(comme un cousin éloigné d'<strong>Alain Delon </strong>à l'époque) investit quant à lui l'autre face de l'opposition et incarne un bourgeois nationaliste, à l'origine un jeune lieutenant plutôt conforme à l'idéal militaire, convaincu du bien-fondé de la guerre, qui déchantera rapidement devant la stupidité de la gestion des opérations. Il ira même jusqu'à provoquer une insurrection dans ses rangs, ce qui lui vaudra la plus haute sentence de la cour martiale — un final sec, froid et brutal au fond d'une triste carrière à ciel ouvert. La séquence de la meurtrière (une fente à travers laquelle un sniper ennemi tire régulièrement) où il fait passer l'œil de son supérieur s'accompagne d'une tension notable, très vive.</p>
<p>Les deux figures sont globalement peu novatrices mais restent très pertinentes, comme peut éventuellement en témoigner le procès pour dénigrement de l'armée dont le film fut l'objet (l’Italie détient à ce titre le triste record du plus grand nombre de fusillés pour divers manquements durant cette guerre). C'est une vision intéressante de la lutte des classes dans les tranchées, qui met en exergue l'opposition entre chair à canon des classes laborieuses et rêves patriotiques insensés des aristocrates. Le traitement est parfois un peu insistant pour montrer l'asymétrie du pouvoir entre ceux qui le détiennent et ceux qui le subissent, avec une incompétence notoire des officiers identifiés comme les responsables quasi fanatiques des massacres. Mais l'ensemble est très bien contrebalancé par une atmosphère soignée : lumières livides, brumes éparses, hiver glacial, boue et poudre, et plus généralement un climat apocalyptique prenant. À noter cette séquence ahurissante, entre comédie et boucherie, de soldats cobayes à qui on fait porter des armures blindées ("vous êtes invincibles comme les guerriers romains") se faisant dézinguer comme les autres malgré tout.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/hommes_contre/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, nov. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/hommes_contre/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, nov. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/hommes_contre/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, nov. 2022" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Hommes-contre-de-Francesco-Rosi-1970#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1087La terre tremble, de Luchino Visconti (1948)urn:md5:80740cb1a597379db6fc9176c608b2072022-12-04T20:22:00+01:002022-12-04T20:22:00+01:00RenaudCinémaFamilleItalieLuchino ViscontiLutte des classesMarinNéoréalismePauvretéPêcheRébellionSicileSolitudeVittorio De Seta <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/terre_tremble/.terre_tremble_m.jpg" alt="terre_tremble.jpg, oct. 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" title="La terre tremble, affiche" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"La mer est amère et le marin y meurt."<br /></strong></ins></span>
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<p>Que ce soit chez <strong>Visconti</strong>, <strong>Pasolini </strong>ou <strong>Rossellini </strong>(liste non-exhaustive), je me suis rendu compte au gré des confrontations que ma préférence va très clairement aux veines néoréalistes respectives de ces cinéastes emblématiques. Ce n'est manifestement pas au travers de ce registre qu'ils ont su se démarquer, entre eux, et imprimer durablement la rétine ou marquer les esprits (des films iconoclastes comme <ins>Le Guépard</ins>, <ins>Salo ou les 120 Journées de Sodome</ins> et <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-11-Fioretti-de-Francois-d-Assise-de-Roberto-Rossellini-1950"><ins>Les Onze Fioretti de François d'Assise</ins></a> peuvent par exemple en témoigner) mais c'est dans cet écrin que sont nés les plus beaux drames d'après-guerre à mes yeux.</p>
<p>Dans un premier temps au moins, la particularité la plus proéminente de <ins>La terre tremble</ins> a trait à sa distribution, entièrement composée d'acteurs non-professionnels, plus précisément de pêcheurs s'exprimant dans leur langue régionale et racontant en quelque sorte leur quotidien sicilien dans un coin rural et littoral d'Italie. Il s'en dégage une authenticité franche, au-delà de la mise en scène minimale nécessaire, et une composante documentaire qui peuvent trouver de nombreux échos fertiles dans tous les courts-métrages des années 50 de <strong>Vittorio De Seta </strong>(de "vrais" documentaires en l'occurrence, qui abordaient le quotidien de mineurs, de paysans et, entre autres, de pêcheurs). Cette histoire complète le tableau de la Sicile à côté de très beaux films comme <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Fiances-de-Ermanno-Olmi-1963"><ins>Les Fiancés</ins> </a>ou encore <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Mafioso-de-Alberto-Lattuada-1962"><ins>Mafioso</ins></a>.</p>
<p>La chronique familiale de <ins>Rocco et ses frères</ins> rencontre ainsi ici l'univers de la pêche à travers l'histoire d'un petit village où la subsistance d'une famille pauvre est menacée par le monopôle des mareyeurs. Les pêcheurs ont beau se tuer à la tâche, avec enfants et vieillards mis à contribution en mer, c'est cet intermédiaire qui constitue le goulot d'étranglement en tirant les prix du poisson vers le bas et en maintenant à ce titre une forme d'exploitation quasi-esclavagiste. C'est le fils aîné, amoureux d'une fille issue d'une classe plus aisée, qui poussera ses proches à devenir indépendants et à monter leur propre entreprise après avoir fédéré la colère des travailleurs locaux — très beau plan où l'on jette la balance des grossistes à la mer. Le geste est beau et nourrit des espoirs fondés, mais le bonheur sera on s'en doute un peu de courte durée.</p>
<p>Il y a très peu de place pour l'illusion de réussite dans <ins>La terre tremble</ins>. On ne s'échappe pas si facilement de sa condition chez <strong>Visconti</strong>, la réalité sociale claque comme des coups de fouet et l'angoisse de la misère tout comme de la mort en mer est partout — "<em>La mer est amère et le marin y meurt</em>", comme l'exprimera une femme lors d'une tempête. Quelques références à l'époque moderne ancrent la fiction dans le réel, avec le symbole de la faucille et du marteau sur un mur décrépi ou encore une citation de Mussolini au-dessus du bureau d'un exploiteur satisfait. Peinture cruelle d'un échec implacable, c'est un film qui n'offre pas de porte de sortie salvatrice : la solidarité y est presque inexistante, l'absence de figure libératrice est tragique, et celui qui lutte semble enfermé dans une solitude amère. Un échec à dépasser, un honneur à ravaler, et en définitive une rébellion payée au prix le plus fort.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/terre_tremble/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, oct. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/terre_tremble/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, oct. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/terre_tremble/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, oct. 2022" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-terre-tremble-de-Luchino-Visconti-1948#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1079Nocturama, de Bertrand Bonello (2016)urn:md5:d603f0ad5e63fe5e6fceb041e072dfad2016-11-01T22:49:00+01:002016-11-02T00:01:48+01:00RenaudCinémaAttentatCapitalismeRébellionTerrorisme <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/nocturama/.nocturama_m.jpg" alt="nocturama.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="nocturama.jpg, nov. 2016" />
<div id="centrage"><p><span style="font-size: 18pt;"> <ins><strong>Rébellion et abstraction<br /></strong></ins></span></p>
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<p><ins>Nocturama</ins> est bourré de petits défauts, c'est évident. Pourtant, même en en ayant conscience à mesure qu'ils emplissent les interstices du récit, l'ampleur du projet fait son travail. Et au final, son originalité, son ambition, et sa ténacité auront eu raison de tous ces petits bouts de réticence qui auraient pu jalonner le film.</p>
<p>S'agit-il d'un film irresponsable, de par sa thématique, de par sa contemporanéité ? Non, et c'est peut-être même l'inverse. Responsable, il l'est sans doute un peu trop en cherchant à se faire très représentatif dans la diversité des cultures en jeu et des milieux sociaux à l'œuvre (et en excluant très vite un quelconque caractère islamiste) dans le projet d'attentat contre plusieurs ramifications du grand capital. C'est une maladresse, compréhensible au demeurant dans son intention, qui fait partie de ces petits défauts qui n'enrayent en rien la machine dans sa course.</p>
<p>S'agit-il d'un film incomplet, mal terminé, au scénario brinquebalant ? Incomplet, il l'est et c'est une certitude. C'est même l'une de ses grandes forces : saisir un mouvement, un groupe en cours de route et un projet en cours d'accomplissement, et n'en donner que les raisons sous-jacentes suffisantes. Les motivations du groupe s'esquissent à mesure qu'on progresse dans le récit, et on est forcé de prendre le train en marche. On s'embarque dans un voyage dont on ne connaît pas la destination, avec mille questions. La chorégraphie du ballet citadin, dans les rues comme dans le métro, pour peu qu'on y soit sensible, est magnifiquement orchestrée. C'est le but du jeu : contempler une tranche de vie particulière d'une jeunesse paumée, apparemment bien organisée, mais avant tout paumée.</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/nocturama/.fille_m.jpg" alt="fille.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="fille.jpg, nov. 2016" /></p>
<p>J'aime beaucoup cette approche de la rébellion, une révolte aux contours incertains et même indéfinis pour les principaux intéressés. Les cibles semblent bien déterminées, définitives : une statue de Jeanne d'Arc, le patron de la HSBC (un certain Estrosi dans le film), quelques voitures place de la Bourse et deux étages d'un immeuble... Mais une fois la besogne accomplie, lorsqu'il faut attendre, tout simplement, les premières fissures apparaissent et lézardent le projet. L'entreprise, qui paraît parfaitement huilée au début, commence à se gripper. Une porte qui ne s'ouvre pas comme prévu et c'est la panique ; une personne au mauvais endroit, au mauvais moment, et voilà une exécution sommaire ; une nuit à patienter, simplement, et les premiers actes irresponsables (de leur point de vue) surgissent : de la musique trop forte, des SDFs qu'on laisse entrer. La lucidité s'évapore peu à peu. "C'est Facebook qu'il aurait fallu faire sauter". "Ou le MEDEF". L'inconsistance (partielle) du projet nous saute alors aux yeux, tout comme l'incertitude du groupe et ce malgré la planification qui a nécessité de récupérer une certaine quantité d'explosif. Ils n'ont pas de revendications solides ou précises, mais la direction de leur colère est claire. De ce point de vue, la contextualisation est minimale mais amplement suffisante pour maintenir l'intérêt et l'immersion pendant la première heure avec presque rien.</p>
<p>La gestion du suspense est également remarquable, que ce soit à l'aide des faux split-screens (quatre écrans de surveillance réunis, à plusieurs reprises) dans la dernière partie ou d'un traitement de l'action en parallèle, en revenant quelques instants en arrière de nombreuses fois, à un lieu différent. À l'aide d'une piste sonore diégétique (la musique qu'ils écoutent à fond dans le centre commercial… pourquoi pas), on identifie les moments précis du récit auxquels quelque chose de marquant se produit, sans savoir précisément quoi dans un premier temps (un coup de feu ou une explosion entendus en hors-champ par exemple). Léger retour en arrière, la caméra étant positionnée ailleurs : on suit le même segment temporel, mais d'un point de vue différent. Au fil des répétitions de ce procédé, la tension monte inexorablement, d'autant que l'origine et les conséquences du bruit en hors-champ ne sont révélées qu'à la dernière répétition. C'est aussi génial qu'efficace.</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/nocturama/.groupe_m.jpg" alt="groupe.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="groupe.jpg, nov. 2016" /></p>
<p>Dans son constat, le film est plutôt saisissant, autant que pertinent : on est tous là, sagement assis le cul sur une caisse d'explosif, et on attend patiemment la première odeur de fumée. Le malaise qui sourd d'un tel constat peut difficilement être contenu. La métaphore finale du magasin de luxe est légèrement poussive, bien sûr, avec ces apprentis terroristes qui sombrent bien vite dans un type de consommation qu'ils semblaient critiquer, de par leur engagement. C'est probablement là que <ins>Nocturama</ins> se révèle le plus programmatique, au-delà de l'atmosphère littéralement étouffante en ces lieux. Mais certaines images demeurent, magnifiques, surréelles, tel ce masque d'or apposé sur le visage du plus jeune de la bande, avec ses beaux cheveux crépus, lui conférant une allure de demi-dieu grec. Image de la société consumériste qui va jusqu'à absorber ses opposants les plus résolus, donc, telle une plante carnivore qui sécrèterait des fantasmes de manière continue. Image d'une partie perdue d'avance, quoi qu'il en soit. Image d'une société qui engendre sa propre autodestruction, aussi. La radicalité de l'ultime constat (répressif) pourra paraître démesurée. L'État ne tolère aucune opposition radicale et n'épargnera aucun terroriste : la traque est froide et sans pitié. L'exercice est à la limite de l'abstraction. Le trait est sans doute un peu trop appuyé dans ces derniers instants, surtout après avoir insisté sur la volonté du groupe de ne pas faire plus de victimes que nécessaire et sur leur extrême jeunesse. Des bêtes sauvages prises dans le piège de leur rêve et de leurs idéaux, des enfants se croyant un peu trop adultes, et des ennemis d'état à abattre froidement, sans compromis et sans sommation.</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/nocturama/.masque_m.jpg" alt="masque.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="masque.jpg, nov. 2016" /></p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Nocturama-de-Bertrand-Bonello-2016#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/363