Je m'attarde - Mot-clé - Usure le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearSaigneurs, de Vincent Gaullier et Raphaël Girardot (2017)urn:md5:6e07351a8daa49822d2b48ebb38a04af2022-08-17T11:19:00+02:002022-08-17T10:20:04+02:00RenaudCinémaAbattoirDocumentaireFatigueRépétitionUsureVacheViande <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/saigneurs/.saigneurs_m.jpg" alt="saigneurs.jpg, juin 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" title="Saigneurs, Affiche" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Malaise de la découpe industrielle<br /></strong></ins></span>
</div>
<p>Film très proche de celui de <strong>Manuela Fresil</strong>, <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Entree-du-personnel-de-Manuela-Fresil-2013"><ins>Entrée du personnel</ins></a> (côté poulet), dans l'exploitation de la chair humaine qu'il donne à voir au milieu de la chair animale débitée pendant 1h40 — régulièrement en hors champ ici. L'approche est très originale et ne manquera pas de faire grincer des dents dans des camps opposés : <strong>Vincent Gaullier </strong>et <strong>Raphael Girardot </strong>font le choix de montrer la misère des prolos dans ces salles d'abattoir où on a plutôt l'habitude de discuter de la cause animale. Excellente œuvre compagnonne de <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Animal-et-la-mort-de-Charles-Stepanoff-2021"><ins>L'Animal et la mort</ins></a> de <strong>Charles Stépanoff</strong>, à ce titre : on nage en plein animal-matière, en pleine abstraction assumée par l'immense majorité des consommateurs de viande.</p>
<p>Les deux films partagent aussi une certaine propension à l'humour savamment déplacé, ici beaucoup plus réussi à mes yeux. C'est le cas principalement lorsque la caméra capte des moments d'échauffement dignes (ou presque) de grands sportifs, avec tous les employés qui font des exercices pour éviter autant que possible les tendinites et autres troubles musculo-squelettiques. C'est particulièrement drôle de voir ces gens, habillés en saigneurs avec leurs cirés blancs et leurs gants bleus, faire des gestes étranges dans le contexte d'un abattoir. Ici la caméra sait également saisir des choses de tout autres registres, comme notamment une femme en charge de découper les têtes de vaches qui attend la carcasse suivante avec son couteau fermement serré dans sa main. Le plan est glaçant. Le seul plan en trop à mon goût, c’est celui observant le contrechamp avec une vache en train d’agoniser à la fin, un peu trop explicite et surlignant quelque chose qui était déjà suffisamment clair il me semble.</p>
<p>On a souvent parlé des horreurs de ces lieux de mise à mort des animaux à la chaîne, mais très rarement de l'exploitation en miroir des hommes, soumis à un travail répétitif, sous-payé, fatigant, rebutant, summum de la précarité néolibérale — cf. cet homme de 52 ans qui avoue à son DRH qu'il ne pourra pas être employé ailleurs à son âge, totalement soumis, et qu'il accepte à peu près tout ce que son supérieur lui reproche ("des moments de relâchement en fin de journée quand tu fatigues, c'est du détail mais faut corriger ça") : la faiblesse de cet homme est horrible. Un sale boulot parmi d'autres. Un nouveau label à imaginer : viande garantie sans souffrance humaine.</p>
<p>Le film brille par son immersion et sa volonté de ne pas opposer les hommes aux animaux, il n'y a pas concurrence de la douleur. Son sens du cadrage aussi, je garde en mémoire cette femme en fond, avec son couteau, tandis qu'un ballet d'abats occupe le premier plan. On nage en plein taylorisme avec ses cadences infernales et ses milliers de bêtes tuées chaque jour. La plongée dans cet univers est très soignée, avec tout particulièrement un environnement sonore très travaillé, le bruit incessant des machines, le bruit du métal des couteaux contre la matière organique, le bruit de l'os sectionné par d'énormes pinces coupantes... Et plein d'outils dont j'ignore le nom. Le but est vraiment d'empêcher les ouvriers de réfléchir, d'anéantir tout espace qui pourrait s'y prêter, et de les abrutir avec des tâches pénibles, symbole d'une répétitivité absolue.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/saigneurs/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, juin 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Saigneurs-de-Vincent-Gaullier-et-Raphael-Girardot-2017#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1062Entrée du personnel, de Manuela Fresil (2013)urn:md5:68244405f30d3ad5bf40ca84dcd7a8322022-06-02T20:56:00+02:002022-06-02T20:56:00+02:00RenaudCinémaAbattoirDocumentaireFatigueUsureViande <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/entree_du_personnel/.entree_du_personnel_m.jpg" alt="entree_du_personnel.jpg, févr. 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Des poulets et des hommes<br /></strong></ins></span>
</div>
<p>Le regard que porte <strong>Manuela Fresil </strong>sur l'abattoir ne ressemble à aucun autre, et ce pour plusieurs raisons. Déjà, elle s'intéresse davantage au sort des humains qu'à celui des animaux, même si les deux sont bien sûr intimement liés en ces lieux — ce lien fait d'ailleurs partie d'un enjeu du documentaire qui n'a de cesse de rappeler la condition de l'un par rapport à la condition de l'autre. Loin des reportages choc qui cherchent avant tout le scandale de l'image (mon avis n'est pas tout à fait arrêté à ce sujet, avec des exemples-types comme <ins>Earthling</ins>), c'est à travers la répétitivité des opérations et l'accumulation de cadavres animaux que <ins>Entrée du personnel</ins> avance sur le terrain de la dénonciation subtile.</p>
<p>Autre élément notable du point de vue : le parti pris esthétique. Il y a une scène, au début du film, qui m'a scotché dans son exécution. La caméra suit une chaîne de traitement de poulets, en travelling circulaire vers la droite, en suivant le rail de ces animaux plumés et pendus par les pattes. Puis une machine s'impose à l'écran, pour découper les pattes. S'ensuit à la fin de la rotation de la caméra une division de la chaîne, avec d'un côté les poulets et de l'autre leurs pattes. Ce mouvement est sidérant, un véritable ballet de volailles. <strong>Manuela Fresil </strong>en a disséminé beaucoup dans la petite heure que dure son docu, avec des jeux de croisement de mouvements, les animaux d'un côté, les hommes de l'autre, parfois l'un au bord du cadre et l'autre au centre.</p>
<p>Et puis il y a bien sûr ces témoignages racontés en voix off par d'autres personnes, des employés d'abattoirs qui racontent leur quotidien, certains se conforment au travail là où d'autres en souffrent démesurément — sur le plan physique ou mental. Bien sûr, aucun doute sur le fait que la répétition du même petit geste toute la journée et toute la semaine, comme tout travail à la chaîne, entraîne des dégâts considérables. Beaucoup de témoignages émouvants, comme celui de cette personne montée en galons qui devait accélérer le rythme d'une chaîne juste pour s'assurer que le travail serait fait, sans prévenir les ouvriers, en réalisant bien qu'ils ne comprenaient pas ce qui se passait. On interdit aussi aux contremaitres d'avoir des amis parmi leurs subordonnés. L'employeur dispose de beaucoup de latitudes dans ces régions où il est la principale source d'emploi. "Il reviendront".</p>
<p>Quelques passages burlesques, aussi, lorsqu'on fait rejouer les gestes de l'abattoir hors contexte, à la plage, sur un parking. Globalement il ressort du documentaire une fascination pour ce ballet industriel, avec l'agitation des humains incrustée dans la chorégraphie des cadavres animaux. Le tout orchestré par la machine. En toile de fond, les cauchemars, phénomène aussi récurrent que les meurtrissures causées par la cadence et la répétition. De l'autre côté des chairs de carcasses manipulées et mises en barquettes, il y a cette usure de l'humain transformé en automate au milieu de tous ces bouts de viandes qui se baladent. </p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/entree_du_personnel/.personnel_m.jpg" alt="personnel.jpg, févr. 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Entree-du-personnel-de-Manuela-Fresil-2013#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1043