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"The Bedford'll never fire first. But if he fires one, I'll fire one. — Fire one!"

ll suffit du cadre proche du huis clos maritime à l'intérieur d'un destroyer de guerre américain, navigant au large du Groenland en pleine Guerre froide, et d'un petit incident avec un sous-marin soviétique non-identifié pour que Aux postes de combat développe une ambiance anxiogène incroyable et un climat de tension franchement crédible. À la tête du navire, lancé dans une chasse à l'homme un peu aveugle, Richard Widmark impressionne dans son obstination croissante, que l'on ne prend absolument pas pour acquise au début du film : c'est sans doute là que se situe tout l'intérêt de la démarche de James B. Harris, faisant de ce capitaine Finlander un homme qui initialement dirige son bateau d'une main de fer, d'une manière assez simple, classique, et presque convenue dans ce registre, pour évoluer vers une sphère de contraintes et d'impasses pourvoyeuse de raideur morale et de nervosité terrible.

Sur le plan purement technique, il n'y a vraiment pas grand-chose : deux ou trois décors à l'intérieur du destroyer, quelques plans extérieurs avec notamment l'utilisation de maquettes ni sublimes ni ridicules, quelques éléments extérieurs perturbateurs incarnés par le journaliste-photographe un brin fouineur (Sidney Poitier) et le médecin infantilisé (Martin Balsam) qui pénètrent un microcosme très codifié. On remarque également la présence d'un tout jeune Donald Sutherland, dans le rôle très secondaire d'un membre de l'infirmerie. Et pourtant, avec si peu d'ingrédients, The Bedford Incident (du nom du navire américain à l'œuvre) parvient à se hisser au niveau de films instaurant des atmosphères de tension redoutables comme Fail-Safe aka "Point Limite " de Sidney Lumet — ce dernier lui étant d'une année antérieur.

Tout commence avec un faisceau de détails. D'un côté, la façon dont le capitaine gère son navire : terrorisés, les 300 membres de l'équipage ne se sont jamais fait porter malades. Les ordres sont parfaitement assimilés par tous, au point que l'ombre du capitaine flotte pendant un long moment, au début, alors qu'il n'apparaîtra à l'écran que bien plus tard. Une fois les présentations faites, le personnage de Widmark édictera sa philosophie et démontrera sa détermination de la plus froide et le plus directe des manières, sans pour autant en faire trop et l'enfermer dans la case du tortionnaire stéréotypé. D'un autre côté, il suffira d'un signal sonore inhabituel et d'un point anormal sur l'écran radar pour mettre le feu aux poudres. Dans les eaux territoriales du Groenland, un sous-marin est détecté : le capitaine Finlander, aidé par l'un des meilleurs capitaines de la Kriegsmarine passé du côté de l'OTAN après la guerre, décide de traquer coûte que coûte l'ennemi et d'attendre qu'il remonte à la surface pour son ravitaillement en oxygène pour le coincer — quitte à ce que cette traque pousse l'équipage adverse à l'asphyxie et l'équipage allié à l'exténuation, au bord de la rupture.

Le contexte historique, situé peu après la crise des missiles de Cuba, confère à l'approche un caractère réaliste particulièrement immersif : qui plus est a posteriori, lorsqu'on connaît l'histoire du sous-marin soviétique B-59 dont les officiers supérieurs, se croyant attaqués, envisagèrent de tirer une torpille nucléaire. Tous les éléments d'un conflit entre blocs sont là : les provocations, la dissuasion, la peur des conséquences, l'attente insoutenable. Avec en prime ici une conclusion hallucinante, d'une sobriété rêche et d'un pessimisme total. Une pépite très peu connue du cinéma paranoïaque typique durant la période de la Guerre froide.

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