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Les soldats oubliés

Bastogne est l'un des films de guerre prenant pour support quasi-matriciel la Seconde Guerre mondiale le plus prototypique que j'aie vu jusqu'à présent, dans son genre, c'est-à-dire le film de guerre désabusé sans être antimilitariste (la guerre du Vietnam n'est pas encore passée par-là) qui montre la guerre dans toute sa laideur. On est seulement en 1949 et Wellman, déjà, délaisse le spectaculaire des scènes de combats — même s'il y a bien quelques fusillades et autres lancers de grenades — pour se concentrer exclusivement sur le moral des troupes pendant la bataille des Ardennes, pendant l'hiver 1944. Un hiver brumeux, neigeux, glacial, pendant lequel la principale qualité requise reste le moral des deux côtés du front. Wellman s'intéresse plus particulièrement à un petit groupe de soldats américains cerné par les Allemands, refusant de se rendre, tandis que les stocks de munitions et de nourriture s'amenuisent.

C'est un film incroyablement dépourvu d'héroïsme individuel, les soldats étant presque des anonymes — et en ce sens interprétés par des acteurs très modérément connus. Un film sur la peur de mourir, sur l'horreur grandissante des escarmouches, avec la particularité de l'ennemi qui franchit les lignes alliées en se déguisant, inspirée d'une histoire vraie. En plus de la lutte contre le froid et la faim, en plus de la pénurie d'essence et de munition, les soldats doivent en plus se livrer à de fréquents contrôles qui deviennent presque comiques (à la lisière de la tragédie, tout de même) lorsqu'en plus des traditionnels mots de passe il faut également questionner la culture nationale pour s'assurer de l'identité des soldats qui passent : des questions sur le baseball, notamment, manquent de coûter la vie à un soldat américain pas très informé sur le sujet.

Pas mal de moments mémorables : les soldats qui se réveillent recouverts de neige, les doutes constants qui font qu'on croit que les Allemands déguisés sont partout, les raids aériens pour distribuer des tracts déstabilisants, jusque dans des détails comme la pénurie de morphine, le gel des grenades. Quelques éclairs de tension s'entremêlent avec le désespoir ambiant, que la scène finale de la permission enfin accordée ne peut effacer. La volonté d'appuyer sur la blessure psychologique est notable, avec des séquences presque oniriques lorsque les ombres se découpent tout juste à travers la brume et la neige. On est à la limite du survival ici, face à l'ennemi et les éléments, sans que les codes classiques du film de guerre (tactique, héroïsme, action) ne soient abordés. La confusion règne en maître et à tous les niveaux, jusque dans le hors champ.

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