cannibal_holocaust.jpg

Pour être tout à fait franc, on ne saurait conseiller Cannibal Holocaust à n'importe qui. Et ajouter à cela qu'on l'a apprécié, c'est prendre le risque de passer pour quelqu'un de déviant. À titre d'exemple, le dernier film de qualité m'ayant autant mis mal à l'aise fut Salò ou les 120 Journées de Sodome, de Pier Paolo Pasolini.

Dés le début, le film dérange. On sait qu'il est arrivé quelque chose à ces quatre reporters partis dans la forêt amazonienne tourner un « documentaire » sur des tribus anthropophages, mais il faudra attendre la seconde moitié du film pour le découvrir plus en détail, les deux parties qui le composent étant agencées de manière non chronologique. La première partie du film est consacrée à l'équipe partie à leur recherche, secondée par le professeur Harold Monroe, un anthropologue de l'université de New York. À défaut de les retrouver en chair et en os (ceux qui ont déjà vu le film apprécieront l'humour), ils se contenteront des bobines du film - qui était censé leur rapporter un Oscar et les couvrir d'argent - que la tribu des Yanomamos avait érigées en trophée. Trophée composé de pellicules mêlées à des ossements divers afin de repousser les mauvais esprits... Et ce sont ces bobines que le professeur Monroe (et nous avec) visionne dans un deuxième temps (Le Projet Blair Witch (1999) n'a rien inventé...). Comme on s'en doutait, les quatre reporters sont morts dans des conditions assez inhabituelles...

Autant dire que malgré l'ancienneté du film, l'effroi vous envahira. Afin de pousser le degré de réalisme à son maximum, Ruggero Deodato mêla tortures truquées d'êtres humains et véritables mises à mort d'animaux (la scène de la tortue dépecée vivante est particulièrement insoutenable), en jonglant habilement entre ces deux registres. Tellement habilement qu'à la sortie du film, il dut donner la preuve que tous ses acteurs étaient bel et bien en vie... Quant aux épisodes animaliers (qu'il avouera regretter par la suite), il s'en justifia froidement : « Les quotas de chasse ont été respectés.»

La puissance de Cannibal Holocaust réside dans le transfert qui s'opère au fur et à mesure qu'on progresse dans le film. Alors que la première partie pose clairement le clan des civilisés (vous, moi, le professeur Monroe, les quatre reporters) face à celui des sauvages (les différentes tribus cannibales, chez qui les conséquences de l'adultère sont particulièrement sévères à l'égard des femmes, la première scène choc du film), la deuxième partie révèle que ces reporters ne sont pas tout à fait innocents dans leur quête du sensationnel. Il s'agit manifestement d'un euphémisme : on ne sort pas indemne de cette attirance perverse pour le macabre dont témoignent nos gentils reporters. Entre la fausse couche qualifiée de « chirurgie sociale » par le caméraman (bébé mort-né arraché manu militari du ventre de sa mère puis enterré à même la boue) et le viol d'une jeune fille Yanomano par les trois reporters mâles qui sera ensuite empalée (l'image du film la plus connue), les repères normatifs précédemment établis vont progressivement se brouiller, pour finalement voler en éclats.
Le côté « horreur » du film n'est absolument pas gratuit, comme on peut s'en attrister en regardant un Saw (Saw 47 par exemple). Ici, il est mis au service de la dénonciation du manque d'éthique qui caractérise notre vie quotidienne, en nous tendant un miroir plutôt dérangeant. Tout le long du film, on est face à notre propre voyeurisme, cette faim insatiable pour le morbide. Et sans crier gare, le piège se referme sur nous.
La composition musicale de Riz Ortolani, qui colle à la peau dès les premiers instants, ne fait que contribuer à ces sentiments antagoniques que sont la curiosité malsaine et le dégoût qu'elle suscite. Le thème principal, plutôt enjoué et apaisant, présent aussi bien dans des passages futiles que dans les moments les plus horribles, accompagne les premières scènes et le générique de fin, et ne vous lâchera pas d'un long moment.

Ruggero Deodato assène un violent coup à la notion de norme que nous croyons universelle, et dont nous pensons être les vertueux garants. Il met le doigt sur un travers terrible et aveuglant qui sommeille en chacun de nous.
D'autres questions sont légitimement amenées. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour nous surprendre chaque jour un peu plus ? Sommes-nous vraiment innocents dans cette recherche maladive de sensations fortes dans la plupart des médias ? La réponse est clairement non. Le film a beau dater (1980, déjà !), certains trucages sont clairement dépassés, mais le propos reste intact : il entre parfaitement en résonance avec la société d'aujourd'hui. Et ça fait froid dans le dos...