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Parents le jour, dealers la nuit

Il aurait sans doute fallu le demander à Abel Ferrara himself avant-hier, à l'occasion de son passage à la Cinémathèque de Toulouse, mais on ne saurait vraiment dire avec certitude si l'aspect presque documentaire, "de l'intérieur", de cette immersion dans le milieu des trafiquants de drogue est issue d'une volonté des auteurs ou bien si cela découle d'une conséquence secondaire, d'un budget qu'on imagine assez restreint. Quoi qu'il en soit, ce Christmas propose une vision très originale du mythe des trafiquants, démythifiée, justement, et incrustée dans des contraintes personnelles de personnages tout aussi originales.

Les deux protagonistes, jamais nommés, semblent mener une vie parallèle dans le trafic de cocaïne, tout en préservant leur vie familiale centrée autour de leur fille. La façon d'amener cette partie illégale de leur vie est à la fois surprenante et dans la continuité de leur vie "normale", à la maison, avec enfant et grands-parents : il en découle une sensation de naturel fort appréciable. Ils sortent de chez eux comme s'ils allaient à une soirée quelconque, en laissant toute la petite famille à la maison, mais un business bien différent les attend. Ferrara filme la ville de New York de manière extrêmement suggestive, avec les lumières des grands ponts qui illuminent la nuit dans un plan tournoyant ou encore les déplacements en voiture à la limite de l'onirisme, mais il conserve une perspective très réaliste quand il s'agit de montrer la petite équipe de dealers à l'œuvre, en préparant les petits sachets de dope qui inonderont bientôt les rues. Travail de la matière, tampons sur les sachets, volume adéquat de stupéfiant, et petit bout de scotch. Cette dualité dans la représentation intérieur / extérieur est vraiment saisissante.

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Ferrara se fait de manière évidente un brin provocateur en plaçant l'action à la veille de Noël et en établissant un parallèle féroce entre l'obsession des achats en cette période de fêtes et le caractère tout autant obsessionnel de la chaîne de production de cette drogue. Le couple incarne aussi un stéréotype de famille modèle, avec un foyer, un enfant, des obligations de parents d'élève et un sapin de Noël à garnir : des parents assez classiques serait-on tenté de dire, en dehors de leur business de poudre... Ils travaillent dur pour leur famille et pour entretenir leur niveau de vie, ils font preuve d’un amour aussi sincère que mutuel, et donne corps à la notion très américaine (et quelque peu malmenée ici) de sacrifice dans la logique d'entrepreneuriat et de don de soi. En choisissant une approche intimiste, au plus près des deux parents le jour et dealers la nuit (Drea Dematteo et Lillo Brancato, tous deux très bons et très bruts), il se dégage une chronique parfaitement anti-spectaculaire, loin des clichés du genre. Le seul coup de feu tiré l'est d'ailleurs en direction d'un ballon de basket.

Dommage que la dernière partie axée autour d'un kidnapping soit un peu trop rapidement expédiée, avec des comportements étranges ou peu crédibles (Ice-T n'est pas convaincant, probablement à cause d'un personnage qui aurait mérité une meilleure écriture), même s'ils trouvent un soupçon d'explication en toute fin de film. Ce discours sur les flics à la fois corrompus et moralisateurs n'est pas franchement convaincant et tombe comme un cheveu sur la soupe. Mais peu importe : le ton intimiste et singulier du film, en s’éloignant des clichés autour du trafic de drogue et en évitant la condamnation morale autant que l’idéalisation de ce mode de vie, l’emporte assez largement sur le reste.

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