Photo de Christopher PriestChristopher Priest est un auteur britannique connu du lectorat de science-fiction et de fantastique. Par ailleurs, Le Prestige, roman sur le thème de la prestidigitation et dont l’intrigue repose sur un doppelgänger a été adapté au cinéma par Christopher Nolan en 2006. Christopher Priest montre dans ses romans que notre perception de la réalité est une construction fragile dont il peut saper petit à petit la base. Il fait glisser le lecteur d’une réalité à une autre sans que nous puissions situer à quel moment la séparation ou la substitution des réalités s'est mise en place. Il manipule ses univers et ses intrigues avec beaucoup de soin ce qui se retrouve dans son écriture précise et sans artifices "procurant au lecteur l'impression de se situer toujours dans le cadre d'une stricte réalité" (1). La Séparation (paru en 2005) est justement le titre d’un de ses romans qui se déroule durant la Seconde Guerre Mondiale.


La Séparation    La Séparation

Ce récit introduit une divergence (on parle alors d’uchronie) dans la nuit du 10 au 11 mai 1941, cette nuit où Rudolf Hess s'est envolé d'Allemagne pour négocier la paix avec la Grande-Bretagne… « Son avion a-t-il été abattu par la Luftwaffe ? Hess a-t-il réussi sa mission sans en informer Adolf Hitler ? Et pourquoi, dans certains documents d'archives, la guerre semble-t-elle s'être prolongée jusqu'en 1945? C'est à toutes ces questions que va tenter de répondre l'historien Stuart Gratton ; notamment en s'intéressant au destin exceptionnel de deux frères jumeaux, Joe et Jack Sawyer, qui ont rencontré Hess en 1936 aux jeux olympiques de Berlin»(2).

Christopher Priest organise le récit «à travers la vision de plusieurs personnages qui ne se recoupe qu'à certains points clés. D'où le sentiment de divergence entre les versions qui contamine la logique spéculative»(3). L’intrigue prend donc plusieurs chemins et se révèle un trésor de perplexité. L’histoire est superbement romancée comme un classique sur la seconde guerre mondiale dont la force réside dans la sincérité et la vraisemblance du témoignage. Il évoque magnifiquement la vie civile en Grande Bretagne, ou les opérations aériennes menées par la RAF bombardant les villes allemandes.

Le Monde Inverti

La distorsion de la réalité est peut-être plus fascinante encore dans le Monde Inverti (1975). Son célèbre incipit : « J’avais atteint l’âge de mille kilomètres.» nous amène sur une planète étrangère. Sur ce monde, une ville est tractée au dessus d’immenses rails pour assurer son déplacement vers l’« optimum». Toute l'organisation sociale de la cité est orientée vers ce but unique. Et c’est à la guilde des Topographes du Futur qu’incombe la lourde tâche de prévoir le chemin que doit suivre la cité.

Le jeune citoyen Helward Mann a atteint la majorité, soit l’âge de mille kilomètres… Aspirant à devenir un Topographe du Futur, il est initié à chacune des guildes de cette société de castes, découvrant progressivement le monde extérieur et la raison du déplacement de la cité. Son aventure extraordinaire le pousse irrémédiablement à une réflexion qui va à l’encontre sa connaissance du monde. Par ailleurs, ce que l’observation est capable de lui apprendre semble constituer un savoir abstrait sur la réalité qui l’entoure, et en particulier sur les phénomènes naturels (distorsion du temps et de l’espace) qu’il affrontera durant son voyage initiatique en dehors de la cité.

Un concept mathématique (subtilement divulgué) vient nous éclairer sur la nature déroutante et mystérieuse de cette planète. En donnant une interprétation mathématique, Christopher Priest offre ainsi la clé permettant l'accès à la compréhension d'une réalité qui n'est pas tangible immédiatement. Il fait le lien entre le monde du sensible et le monde des idées/des concepts qui semble ainsi clore le paradigme.

Le Monde Inverti est un roman vertigineux. Le final fut à la hauteur de mes attentes, ouvert et inattendu, la substitution des réalités laisse place à la confusion du héros comme du lecteur. Maestria !

Le Monde Inverti se place parmi mes romans préférés de science-fiction.

Le Livre d'Or de la SF consacré à Priest    La Fontaine Pétrifiante    L'archipel du rêve

J'ai plus de réserve pour ses nouvelles parues dans le Livre d'Or de la SF qui lui est consacré, ou pour l'univers chimérique et fabuleux dans lequel s'inscrivent le roman La Fontaine Pétrifiante (1981) et le recueil de nouvelles l'Archipel du Rêve (1981) plus proches du Fantastique que de la Science-Fiction. Je n'ai pas de prédilection pour un des deux genres, ce serait plutôt des anicroches avec un personnage principal antipathique, avec une rêverie exotique, avec un érotisme qui ne fait ni chaud ni froid... Ce qui est peu de choses devant leurs autres qualités, et leur atmosphère parfois enivrante.

Sa bibliographie contient d'autres romans que je continue de découvrir.

(1) et (3)   Extraits de la critique sur le roman la Séparation par Philippe Curval, auteur français de SF.
(2) Extrait de la quatrième de couverture.