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Peinture contrastée de la résistance biélorusse

Dans sa démarche radicale et immersive nous projetant sans ambages dans un segment particulier de la Seconde Guerre mondiale, Dans la brume peut vaguement faire penser à son cousin (éloigné) hongrois Le Fils de Saul. L'enveloppe formelle revêt ici aussi une importance de tout premier plan, avec une proportion de plans-séquence moins importante, au profit de séquences contemplatives en forêt à la photographie soigneusement brumeuse. On pourrait presque humer l'air frais et humide d'un sous-bois biélorusse.

Mais le parallèle ne va pas au-delà. L'objet du film ne porte pas sur la retranscription de l'intérieur des camps de concentration : Sergeï Loznitsa s'intéresse à la résistance biélorusse sous l'occupation allemande en 1942, un épisode de la guerre qui ne compte pas parmi les plus balisés dans nos manuels d'histoire. L'essentiel du récit tourne autour de la question de la culpabilité, lorsque des membres de la résistance pénètrent dans la maison de Sushenya, un homme qu'ils accusent de collaboration, avec pour ordre de l'exécuter dans la forêt. La véracité de cette accusation, et le poids de cette dernière, constituent l'ossature du film qui s'articule autour de ce qui s'apparente à un dilemme moral. Pourquoi cet homme a eu la vie sauve, alors que trois de ses compagnons ont été exécutés par les nazis ?

Il n'y a pas vraiment de suspense en lien avec cette question, puisqu'elle trouvera assez rapidement une réponse au cours du premier des quelques flashbacks qui jalonnent la narration. Le moteur se trouve dans l'immersion, dans la continuité sans faille du ton, y compris dans les interruptions imposées par toute structure en flashback. La scène d'introduction est une très belle image, comme un avant-goût du film dans son ensemble : une séquence longue, lente, sans élément démonstratif, dénué de contrechamp explicite, laissant se développer très progressivement l'ambiance dans un coin non-identifié de la Biélorussie sous le joug d'un bataillon nazi. L'exécution de prisonniers n'apparaîtra même pas dans le champ : il faudra avoir été attentif au tout début de la séquence pour faire le lien avec la façon dont elle se termine dans la bande son.

Peu à peu, la trame purement narrative se dessine, les enjeux se précisent, et la thématique de l'humanité persistante, au milieu du chaos environnant, émerge graduellement. Et c'est le personnage de Sushenya qui cristallise tout cela, tant il semble contenir la minuscule flamme d'humanité pas encore tout à fait éteinte, la minuscule lueur d'espoir dans un océan de ténèbres. Le fond du propos est rendu de manière aussi minimaliste que l'écrin formel s'exprime de manière maximaliste, lui qui occupe tout l'espace en l'absence d'habillage musical. La retenue absolue d'un côté, dans les émotions et les intentions des personnages, tout en intériorisation, et la plénitude expansive de l'autre, dans la photographie captant à merveille les aléas d'un homme qui se débat dans la forêt pour sauver la vie des hommes qui allaient le tuer. Un contraste subtil comme décor de choix pour la réflexion sur ces bribes d'humanité qui font office de résistance à la décomposition des valeurs morales.

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