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Krautrock et spaghetti dans le désert du Néguev

C'est bien la première fois de mon existence de cinéphile mélomane que je découvre un film comme support illustratif d'un album et non l'inverse, à travers une bande originale découverte comme souvent a posteriori. Tant d'années passées à écouter en boucle le fameux Soundtracks de Can (sorti aussi en 1970), ou en l'occurrence les trois premières pistes "Deadlock", "Tango Whiskyman" et "Deadlock (Title Music)" avant de pouvoir apprécier le contexte dans lequel elles ont été conçues et comprendre leur objet initial. C'est une expérience particulièrement troublante qui consiste à substituer à l'imaginaire qui s'était tissé autour de la pochette de l'album, ainsi que des têtes de Holger Czukay et Damo Suzuki, la réalité des paysages désertiques d'une sorte de western spaghetti dégénéré et des tronches de série B dans ce registre sous l'influence du cinéma allemand.

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Sauf que s'il s'agit d'un film ressemblant vaguement à un western, l'action ne se situe ni dans les déserts nord-américains qui ont peuplé le cinéma hollywoodien, ni dans le sanctuaire du spaghetti cher à Sergio Leone, le désert de Tabernas dans la province d'Almería en Espagne : Deadlock a été tourné dans le désert du Néguev, dans les eaux troubles à la frontière entre Israël et la Jordanie. Mieux : le tournage s'est déroulé pendant et après la guerre des Six Jours, dans ce qu'on imagine aisément être un point névralgique des tensions militaires d'alors. Une tension qui n'est d'ailleurs pas tout à fait imperceptible ou étrangère au contenu du film. On est en tous cas très loin de l'ambiance des autres films de Roland Klick comme Bübchen et Supermarkt, tournés en Allemagne, tout aussi sales et malsains, mais évoluant dans des cadres radicalement différents.

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De par la nature de sa trame, les conséquences d'un braquage, son époque supposée, contemporaine, et ses personnages tous plus étranges, mentalement fragiles et violents les uns que les autres, Deadlock est un objet cinématographique très difficile à classifier. Il évolue dans un cadre minimaliste, au-delà du réel. C'est un western qui n'en est pas vraiment un alors qu'il en adopte l'essentiel des codes à la sauce spaghetti, avec les duels au soleil, les villes bâties au milieu de rien et balayées par des vents poussiéreux, les gros plans sur les visages burinés et dégoulinants de sueur. C'est un condensé des westerns (européens, entre autres) qui se faisaient dans les années 60, dans une démarche souvent maladroite, assez peu ambitieuse, mais suffisamment drôle dans ses influences (Le Bon, la brute et le truand est convoqué à de nombreuses reprises, notamment à travers le trio de personnages, même si la différence de moyens se fait cruellement sentir) pour ne pas constituer une expérience douloureuse comme peut l'être le visionnage de certaines série B poussives.

Bien sûr, le film est avant tout marquant en tant qu'illustration d'un tissu musical Krautrock et gageons que tous ceux qui ignorent l'existence même de l'album de Can cité précédemment voire du groupe en lui-même (une lacune à corriger) n'y trouveront pas leur compte. Mais il faut également avouer ceci : si l'on met de côté le hasard, qui d'autre que des aficionados fous et dévoués à la cause de ce groupe allemand pourrait tomber sur un tel film, méconnu et introuvable ?

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