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Une histoire arlésienne

Le documentaire de Mathieu Pernot illustre parfaitement, encore une fois, au cas où on en douterait encore, qu'il suffit d'un sujet simple traité avec la finesse et la dextérité adéquates pour produire un film passionnant, à la fois intéressant et émouvant. Dès les premières séquences, sans que ce ne soit jamais signifié de manière explicite, on sent et comprend tout de suite que la relation du documentariste avec la famille Gorgan repose sur des années d'échanges, de contacts, d’interactions. Et de fait, comme il l'explique dans un entretien, il a rencontré cette famille de Roms vivant près d'Arles au milieu des années 90, d'abord comme photographe, ce qui fait que ce documentaire arrive sur la base d'une relation de plus de 20 ans. C'est le genre de choses qui se ressent instantanément, à travers la confiance et la complicité qui apparaissent comme des évidences. C'est une sensation très appréciable, qui plus est lorsqu'elle s'accompagne de témoignages pareils.

Le grand sujet sous-jacent de Dikhav - Les bords du fleuve n'est pas intelligible aussi rapidement, sans que cela ne pose problème : on reçoit ça comme une incursion dans la vie de cette micro-communauté, et on apprend peu à peu que deux événements majeurs ont présidé à la création du film. L'emprisonnement de Jonathan (pour vol de cuivre) d'abord et ensuite la mort de son frère ainé, Rocky, constituent ainsi le centre névralgique du récit structurant, autour duquel se construit la vie de famille avec sa mère, son père et ses autres frères et sœurs. Pas de recherche de la belle image, pas de fioritures : Pernot cherche simplement à recueillir le témoignage de Jonathan et, de manière imprévue, devient une sorte de messager entre le détenu et sa famille, en aidant les uns et les autres à correspondre. D'un côté le terrain vague qui sert de maison à la famille, de l'autre la prison d'où Jonathan devrait bientôt sortir. Et grâce à la relation très particulière qu'il entretient avec eux, le réalisateur pénètre l'intimité sans effort, sans effets putassiers, pour dessiner en creux un croquis ethnographique — le terme n'est pas exagéré au sens où l'on apprend pas mal de choses sur des rituels, notamment en lien avec la mort. Il en résulte un très belle observation, assorti d'une perspective agréablement pertinente.

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