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La dictature d'opérette, un carnaval sanglant

En 1990, Jean-Bedel Bokassa vient d'être condamné à la peine de mort, avant que cette peine ne soit commuée en prison à vie puis en 10 ans de réclusion, pour finalement être amnistié en 1993. Mais trois ans seulement après la fin de son procès qui se termina 1987, le règne de l'empereur autoproclamé Bokassa 1er n'est pas encore totalement effacé. Michael Goldsmith, un journaliste emprisonné à Bangui pendant plusieurs années en Centrafrique, se fait l'émissaire de Herzog pour tenter de mieux cerner la personnalité du dictateur déchu et mieux comprendre les conditions d'une telle dictature.

Si l'on n'est pas vraiment surpris que Herzog se soit intéressé à une figure aussi extrême du paysage politique africain, avec toute la folie du personnage et toute la disproportion d'un tel régime ubuesque, l'approche que lui et Goldsmith adoptent pour le décrire a en revanche de quoi surprendre.

Il ne sera jamais vraiment question du journaliste lui-même et de son passif de victime, ou seulement à de rares occasions. Bien qu'il ait été emprisonné et ait enduré de nombreux sévices (dont des coups de canne de l'empereur lui-même), à aucun moment le regard ne s'apitoie sur son sort. Son enquête chez les nombreuses femmes du dictateur, auprès de ses encore plus nombreux enfants, revêt au contraire un caractère étonnamment mélancolique. La relation entre la victime et son bourreau (on pense aux travaux de Joshua Oppenheimer, The Act of Killinget The Look of Silence), exposée frontalement à de très rares occasions, apparaît de manière étrange, à la fois froide et chargée en émotions. On ne sent aucun désir de vengeance, aucune rancœur, aucun affect particulier chez Goldsmith et ça en devient presque troublant, surtout si l'on se remémore l'introduction de Herzog qui annonce face caméra qu'il n'a plus de nouvelles de son ami depuis plusieurs semaines.

La présence d'animaux jalonnent le film, comme souvent. Échos d'un sombre empire s'ouvre sur une marée de crabes rouges illustrant un rêve angoissant du journaliste et se termine sur un chimpanzé prisonnier dans une cage, comme un vestige du régime dans une dimension encore nouvelle : un gros plan montre l'animal en train de fumer exactement comme le ferait un être humain, constituant ainsi un écho lointain de la folie que fut le règne de Bokassa.

Et ce n'est qu'une pierre supplémentaire à un édifice conséquent, marqué par le cannibalisme, par une admiration sans limite pour Napoléon Bonaparte (les séquences en costumes sont marquantes), lui qui se déclarait descendant de Pharaon, et par des cérémonies totalement hallucinantes comme celle de son couronnement. La longueur extraordinaire de sa traîne rouge, portée par une dizaine de soldats, témoigne bien la démesure qui le caractérise. Mais toutes ces péripéties, de l'emprisonnement de Goldsmith aux accusations d'anthropophagie, sont relatées avec une distance proportionnelle à leur ampleur : il en résulte un documentaire à la froideur incongrue, et à ce titre fort à propos pour retranscrire un carnaval aussi comique qu'angoissant.

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