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"J'eusse préféré que vous vinssiez seule. - Quoi ?"

Chipotons un peu. Avec une profondeur psychologique un peu plus affirmée, un scénario un peu plus original, et un final un peu moins dans le rang (ainsi qu'une bande son d'un peu meilleure qualité, accessoirement, bien que ce soit indépendant de la nature du film), je tenais là une des meilleures comédies vues depuis des lustres. J'en sors presque déçu devant le film que Fric-Frac aurait pu être. Mais c'est tout de même une des meilleures comédies vues depuis... très longtemps.

Tous ces menus reproches restent mineurs : rien qui ne suffise à gâcher le plaisir de voir les étincelles provoquées sans interruption par le trio de tête, Fernandel, Michel Simon et Arletty. Les films qui déploient une verve caractéristique de ces années-là ne sont pas rares, mais rares sont ceux qui parviennent à élever l'utilisation de l'argot parisien à un tel niveau. Un festival de réparties hautes en couleur pour poser le décor des différences, archétype parfait des capitaux culturels en opposition :

"[Fernandel] J'eusse préféré que vous vinssiez seule.
- [Arletty] Quoi ?
- J'aurais préféré que vous veniez seule.
- Là, j'ai pigé... Redites-le comme la première fois, pour voir : c'est marrant !
- J'eusse préféré que vous vinssiez seule.
- Haha, t'entends ça, Jo ?
- Mais c'est français !
- [Michel Simon] À qui vous voulez faire avaler ça ? Vous nous prenez pour des caves ?"

Fernandel d'un côté, dans son univers bourgeois d'employé dans une bijouterie, Arletty et Michel Simon de l'autre, dans celui des cambrioleurs gouailleurs. L'articulation du langage populaire avec un langage plus châtié provoque des dialogues extrêmement savoureux, débouchant sur une forme insoupçonnée de poésie presque surréaliste. Chacun dans leur rôle, tout en démonstration ostensible, ils excellent : Arletty et son charme parisien, la répartie acérée en bandoulière assortie d'un accent incomparable, Fernandel en semi-candide qui se trouve projeté chez les prolos, et Michel Simon, souvent à la limite de l'intelligible, qui se contente de trimballer sa bonhomie géniale et son élocution si particulière.

Le final est un peu décevant dans son ton presque moralisateur et désuet : tout rentre dans l'ordre, chacun dans sa classe, l'homme épouse la fille de son patron et apprend à dominer sa femme (avec une gifle si nécessaire, bien sûr), laissant clairement de côté la dimension légèrement anar du reste du film. Mais pas de quoi faire oublier les éclats qui ont précédé.

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