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Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014.
Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je dirais qu'elle appartient à cette catégorie de films qui jouent leur renommée sur un pari, simple mais risqué : celui de surprendre le spectateur. Rien de plus. Il ne s'agit pas ici d'une surprise artificielle basée sur une révélation finale ou sur des moyens techniques démesurés, comme on peut le constater à l'envi un peu partout, et ce jusqu'à l’écœurement. Ce genre de procédés est pratiquement devenu une norme et l'auteur de Dans la peau de John Malkovich en a bien conscience, puisqu'il en prend l'exact contrepied dans son dernier métrage. Ainsi, à l'instar du dernier Jim Jarmusch (Only Lovers Left Alive, moins bien réussi tout de même), Spike Jonze est parvenu à organiser un univers et une pensée relativement naturels et cohérents, érigeant à l'occasion la surprise en art cinématographique.

Her est à ce titre une vraie surprise, littéralement, tout à fait subtile, qui parvient à clouer le spectateur dans son siège en fin de séance sans qu'il ait pu anticiper quoi que ce soit. Les éléments essentiels du film ont beau figurer dans le synopsis, la mécanique est inexorable et nous happe dans cette osmose sans crier gare. C'est là que réside la force et la beauté de ce genre de productions, qui parviennent à nous immerger dans un univers singulier mais simple, crédible, basé sur une succession de bonnes idées correctement exploitées.HER

Her fait le pari de nous faire croire à une relation amoureuse entre l'Homme et la machine, entre un être humain lambda et un système d'exploitation intelligent, entre un Joaquin Phoenix d'une troublante sincérité et une (voix de) Scarlett Johansson intense et sensuelle. Cette dernière a beau ne jamais apparaître à l'écran, le spectateur se la représente instinctivement : elle le sait bien et elle en joue beaucoup. Le film prend le temps de décrire l'évolution de cette relation au cœur du récit, l'essentiel de cette évolution pouvant être capturé en se focalisant sur les quelques scènes de "sexe" révélatrices, encore une fois crédibles et naturelles dans le contexte. La dernière d'entre elles, où ce n'est plus la machine qui fait le lien entre deux êtres humains mais bien un être humain qui fait le lien entre un homme et une machine, est à ce titre bouleversante. Et le fait que le spectateur se soit représenté le physique de Scarlett Johansson intensifie ce sentiment d'incompatibilité, en voyant cette tierce personne s'immiscer dans leur relation.
L'ambiance futuriste est également très soignée, en retrait, avec cette atmosphère éthérée appuyée par des vues aériennes du Los Angeles de demain prises dans le Shanghai d'aujourd'hui. Il est assez étonnant de voir comment on entre sans résistance aucune dans ce monde apaisant, fait de couleurs pastels et de matières adoucissantes. Même le retour des pantalons taille haute devient vraisemblable dans cet univers enveloppé d'une musique légère composée par Arcade Fire (Aphex Twin n'était visiblement disponible que pour la bande-annonce).
Spike Jonze prend également le soin de décrire une société d'éternels anonymes, une foule d'individus connectés au monde entier sans intermittence via des oreillettes, mais qui ne portent guère d'attention à la réalité et aux personnes proches qui les entourent. Les "vraies" relations sociales ne sont pas totalement exclues mais semblent reléguées à la marge. Il est important de noter que ce regard est ici exempt de tout sentiment d'animosité et constitue en quelque sorte une parabole du microcosme que l'on peut observer aujourd'hui dans le métro – un exemple parmi des milliers.HER

Her est une expérience littéralement extraordinaire qui ne doit pas effrayer les personnes rétives à la science-fiction : il ne s'agit ici que d'un prétexte pour poser un regard soigné sur un futur proche envisageable, parmi l'infinité des possibles. Le final n'est peut-être pas à la hauteur du reste du métrage, mais on pardonne assez facilement cette facilité scénaristique. Le film brille par son absence de morale, de catastrophisme, mais ne s'interdit pas de dépeindre une société de handicapés sociaux qui ont perdu les plus élémentaires de leurs capacités de communication et qui semblent vivre exclusivement dans un monde de représentations. Phénomène illustré et accentué par le personnage de Joaquin Phoenix, un être d'une grande sensibilité, qui travaille comme rédacteur de lettres en tous genres – lettres d'amour y compris – pour d'autres personnes dont les capacités épistolaires ont disparu. Son "they are just letters..." empreint d'humilité et de relativité, objecté à deux reprises en réponse à l'admiration portée à ses talents d'écriture, en est tout un symbole.HER