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Essai sur la solitude robotisée

On peut être induit en erreur par le titre de ce documentaire allemand, Hi AI, qui navigue à travers les continents, du Japon aux États-Unis, sur la thématique des robots et de l'intelligence artificielle. Il ne s'agit pas vraiment d'un état des lieux de la recherche dans ce domaine : en réalité, il vaut mieux se fier au sous-titre international, c'est-à-dire "Love Stories from the Future", bien plus fidèle au contenu. C'est un voyage au pays de la robotique humanoïde et de l'apprentissage automatique, certes, il y a bien quelques extraits de conférences et de discussions de spécialistes dans ces domaines (avec l'éternel débat de SF sur la possibilité d'une conscience artificielle), mais la perspective globale est tout autre : Isabella Willinger s'intéresse avant tout à l'interaction entre l'homme et ce robot (fiction d'hier, réalité d'aujourd'hui, quoique balbutiante et maladroite) ainsi qu'à la relation de l'ordre de l'intime qui peut apparaître.

Pour ce faire, une poignée de cas de figure est présentée. Il y a les robots très primitifs, qui ne bénéficient pas d'une marge de manœuvre conséquente en matière d'interaction : ceux qui servent d'hôtesses d'accueil dans des musées ou des aéroports, ceux qui demain seront nos interlocuteurs dans des services publics. Il y a ceux qui ont été conçus pour une fonction très précise, comme par exemple pour l'apprentissage des soins en dentisterie et pour simuler la réaction du patient à des stimuli. Et puis il y a les robots les plus évolués qui servent essentiellement à tenir compagnie : c'est notamment le cas d'un robot assez mal foutu, peu empathique et peu réactif, qu'un homme japonais offre à sa grand-mère dans le but de stimuler son intellect et ne pas la laisser seule. Si tant est qu'on puisse dire qu'elle n'est pas seule en compagnie de ce tas de plastique et de métal, évidemment. C'est également le cas d'un robot de type poupée Barbie, qu'un Américain achète pour qu'elle l'accompagne en voyage dans son camping-car : ces séquences figurent parmi les plus intéressantes et sidérantes, quand on voit le soin avec lequel Chuck s'en occupe, à quel point il semble sous le charme au point de se confier de manière très intime. Avec de temps en temps des tunnels explicatifs de la part de sa compagne en silicone et en terres rares, qui récite soudainement le contenu d'une page Wikipédia sur une thématique donnée. Quelques robots purement fonctionnels, aussi : l'un d'entre eux démontre ses capacités de cuisinier en faisant du popcorn, et un autre semble entièrement destiné à la poésie, avec ses ballons argentés pour contrer la gravité et ses jambes filiformes pour monter ou descendre des escaliers.

C'est donc davantage sous cet angle humain que le documentaire aborde la thématique de l'intelligence artificielle encapsulée dans des machines, un regard sur la solitude de l'être humain plutôt qu'un état de l'art scientifique en matière de robotique. L'occasion tout de même de plonger dans la fameuse vallée de l'étrange (uncanny valley en anglais), cette théorie développée par le roboticien japonais Mori Masahiro selon laquelle plus un robot humanoïde ressemble à un être humain, plus ses imperfections paraissent monstrueuses. Le constat sur l'IA est toutefois clair : on en est encore au stade du work in progress. Certaines discussions censées être à deux ne font que dramatiquement souligner la solitude de l'humain face à la machine, et c'est la promesse d'un avenir franchement terrifiant.

japon.png, déc. 2020 usa.jpg, déc. 2020