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Les affiches de High School (1968) et High School II (1994).

Le débat sort de la bouche des enfants

High School II est une réponse assez claire au brillant High School que Frederick Wiseman tourna 25 ans plus tôt. En 1968, en s'attachant à décrire le fonctionnement de la North East High School de Philadelphie en Pennsylvanie, il montrait de manière implacable à quel point cette institution s'appliquait à reproduire du conditionnement social de génération en génération, et à quel point les rapports de domination et de soumission à l'autorité étaient placés au même niveau que les missions purement éducatives de l'établissement. En 1994, comme un lointain écho, c'est la Central Park East Secondary School qui fait l'objet du deuxième volet du documentaire, dans le "Harlem latino" de New York. Un constat, évident dès les premières minutes : le point de vue sur l'enseignement et les méthodes éducatives se situe à l'opposé de celui proposé dans le premier film. À la violence morale des rapports de 1968 répond ici une humanité et une volonté de compréhension en tous points différentes.

C'est un lycée où étudient majoritairement des Noirs et des Latinos, deux populations qui brillaient par leur absence presque absolue dans High School. L'autre grande différence de ce second volet sur le système scolaire américain, c'est le changement en termes de concision : en près de quatre heures (sans doute un simple choix de montage, d'ailleurs, la quantité de rushes disponibles pour le premier film ayant dû être tout aussi conséquente), Wiseman prend beaucoup plus le temps de suivre les discussions dans leurs détails et dans leurs dérives. Il détaille autant le contenu des techniques pédagogiques et des enseignements que le fonctionnement du lycée : les cours sont en classes relativement réduites, les sujets comme l'éthique et les réalités sociales auxquelles sont confrontés les enfants font partie intégrante des programmes, la prise en charge des conflits se fait de manière extrêmement personnalisée, etc. L'intérieur et l'extérieur du lycée semblent parfaitement perméables, à la différence du premier High School qui semblait évoluer en vase clos. On comprend très vite que les élèves ne sont pas réduits à leur capacité d'ingurgitation : leur aptitude à raisonner, à dialoguer, à collaborer et à participer activement au contenu de l'enseignement est très souvent mise à profit. L'apprentissage de la responsabilité individuelle se fait toujours conjointement avec celui de la tolérance et du respect des autres minorités. Ce qui pourrait s'apparenter à une série de banalités dans un autre contexte, relatives à du simple bon sens, prend une toute autre tournure ici : le chemin semble bien long... Une chose est sûre, cependant : entre 1968 et 1994, les cours d'éducation sexuelle ont bien changé et les rires gras des apprentis gynécologues ont laissé place aux explications un peu plus documentées des sexologues.

Il est sans doute plus facile de faire un documentaire pertinent et percutant sur les travers d'un système que sur une de ses réussites, aussi mitigées soient-elles : High School II parvient toutefois à donner une idée des éléments qui concourent au succès (relatif) de l'établissement en dépit des problèmes sociaux, discriminatoires ou sexistes manifestes. La démarche peut se résumer à un programme qu'ils appellent “habits of mind”, tentant d'intégrer dans le parcours éducatif des notions telles que l'analyse critique des faits, la prise en compte des différents points de vue sur une problématique donnée, l'observation des connexions entre différents sujets, ou encore l'évaluation de la pertinence ou de la probabilité d'une hypothèse. Le documentaire passe des salles de classes au bureau du proviseur, des relations enseignants/étudiants aux réunions parents/professeurs. La frontalité avec laquelle sont traités les différends est parfois surprenante, et la résolution des conflits est menée avec énormément de tact, surtout lorsqu'ils impliquent des considérations racistes. C'est la prédominance du débat dans cet espace multiculturel qui semble intéresser Wiseman, tant les dialogues avec les lycéens constituent le cœur du documentaire (avec la distance au(x) sujet(s) qui semble caractéristique du cinéaste).

Des discussions potentiellement inintéressantes finissent par revêtir un caractère presque fascinant, notamment quand une association étudiante discute de l'organisation d'une marche en ville pour protester contre le tabassage de Rodney King (se taire et donc se résigner, se manifester et donc risquer des violences), quand deux étudiants noirs plus âgés interviennent dans la médiation autour d'une altercation entre deux jeunes lycéens blancs, ou encore quand deux groupes d'élèves discutent des bonnes et mauvaises raisons d'accueillir des réfugiés aux États-Unis. En toile de fond, bien sûr, on ne peut s'empêcher d'y voir le portrait d'un changement moral, entre l'Amérique des années 60 et celle des années 90. Le regard ne sombre pas pour autant dans l'idéalisme béat et aborde de manière tout aussi frontale les dérives de l'American Dream, le culte de l'argent, ou encore l'injustice du système législatif. Des débats qui sortent, bien évidemment, de la bouche des enfants.