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Étude d'impacts

How the Myth Was Made est une œuvre presque indissociable du film de Flaherty, L'Homme d'Aran, dont elle entend observer les conséquences sur place, 35 ans plus tard. Un peu de la même nécessaire façon dont Les Blank avait capté l'atmosphère sur le tournage de Fitzcarraldo dans Burden of Dreams, George Stoney est retourné sur cette île située au large des côtes irlandaises pour essayer d'identifier et de comprendre les effets du tournage sur la population. C'est à ce titre un documentaire à réserver aux amateurs de Flaherty, et plus encore à ceux qui ont vu son film de 1934.

Le grand-père de Stoney habitait sur l'île d'Aran à l'époque où Flaherty s'installa avec sa femme pour réaliser leur film : l'occasion pour lui, au travers de cette petite heure, de creuser autant du côté de l'influence de la mise en scène de la vie des habitants à la fin des années 70 que du côté de ses propres racines. Flaherty, lui, avait été attiré par cette communauté sur la base des récits qui en étaient faits dans les années 20, focalisés sur la dureté des conditions de vie. L'Homme d'Aran est devenu au fil du temps un film emblématique de la lutte héroïque de l'homme contre la nature, que les habitants montrent religieusement à leurs enfants et petits-enfants. Stoney s'intéresse en semi-ethnologue aux conséquences de l'intégration dans un film des gestes issus (pour certains, car il ne s'agit ni d'un documentaire ni d'une fiction à proprement parler) du quotidien, érigés en un mythe de la nature.

Il est très amusant de voir comment les habitants ne sont pas d'accord sur plusieurs points, certains n'ayant pas du tout apprécié comment Flaherty a modifié la réalité tandis que d'autres se montrent extrêmement enthousiastes. Le film questionne les souvenirs des uns et des autres, et lance de nombreux débats sur la véracité de telle ou telle façon de ramasser les algues, avec l'aide des femmes selon certains, à dos d'animaux selon d'autres. La rencontre 35 ans plus tard avec la femme du marin pêcheur (qui était d'ailleurs forgeron en dehors du film) est très touchante, avec les photos prises par Frances Flaherty en souvenir de leur passage, et rappelle à quel point la population avait été surprise d'apprendre qu'on pouvait faire un film sur leur vie et avec eux dans leur propre rôle (l'utilisation d'acteurs non-professionnels est en soi original en 1934), ou presque. On discute beaucoup de l'obstination de Flaherty pour capter la bonne scène avec la bonne tempête, malgré le danger que cela représentait pour les hommes sur le bateau. Même sur la rive, certains y ont laissé des plumes.

On rappelle ainsi que la chasse au requin n'avait déjà plus cours depuis 50 ans à l'époque, mais que cela constituait un argument poétique et marketing (il fallait bien vendre le projet !) très important. L'impression de réel si chère à Flaherty, doublée d'une volonté d'aider les habitants en leur permettant de réapprendre cette ancienne technique et lutter d'une certaine manière contre leur pauvreté. À l'inverse, certains éléments importants de leur quotidien ont été exclus (car jugés peu romantiques ou lyriques), comme par exemple les vaches amenées au marché en bateau. Dans le même registre de construction d'une fiction à vocation documentaire, on apprend que Flaherty a dû passer par le prêtre du village (alors que la religion est totalement absente du film) pour convaincre la mère d'un enfant, afin que ce dernier puisse y figurer. Autant de conceptions du témoignage et de la représentation qui ont marqué les habitants de l'île d'Aran et ont laissé des marques indélébiles sur ces lieux.

Un autre regard sur une communauté îlienne irlandaise : The Village, Mark McCarty, 1968.

algues.jpg, juin 2020 barque.jpg, juin 2020