charlie_une.pngPas la peine de mettre la une de la semaine dernière, tout le monde la connaît. Et puis celle de cette semaine est (encore) mieux...
Le texte ci-dessous est paru dans le numéro 1058 de Charlie Hebdo, le 26 septembre 2012. Il est signé François Morel, et était l'objet d'une chronique non diffusée sur France Inter en raison d'une grève — salauds de gauchistes ! — le vendredi 21 septembre dernier. Je le retranscris tel quel.


« JE DÉFENDS CHARLIE HEBDO »

« Je défends Charlie Hebdo, je défends la liberté d'expression et je pense qu'on ne doit pas céder un pouce de terrain dans ces domaines-là. » François Fillon.
C'est simple comme phrase, c'est direct. Ça ne s’embarrasse pas de finasseries, de circonlocutions. Ça dit un principe de base pour un démocrate d'une république laïque.
L'éditorialiste du Monde daté d'hier est moins clair. Il est pour la liberté d'expression, mais il trouve que ce n'est pas le moment. Ah bon ? Il faudrait que l'éditorialiste dise quand ce sera à nouveau le moment. La semaine prochaine ? Dans quinze ans ? Dès que les fous seront enfermés ? Dès que la planète sera plus sûre ? Ça risque de prendre un certain temps.
Les caricatures de Charlie Hebdo seraient donc une provocation insupportable. Peut-être. Mais tuer un vice-consul algérien, abattre un ambassadeur américain, c'est aussi une sorte de provocation extrêmement espiègle, non ? C'est violent, un dessin de Charb, oui, mais quand même moins qu'un meurtre, non ?
J'ai du mal à comprendre.
Par ailleurs, et ça n'a rien à voir, dans une période de crise économique où l'on réclame à chacun des efforts, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a été épinglé par le Canard enchaîné, qui a révélé l'existence d'une exposition privée dans les salons du Quai d'Orsay qui aurait coûté 85000 euros...
Laurent Fabius aussitôt a réagi avec un sens de l'autocritique qui est suffisamment inhabituel chez un homme politique pour le saluer avec l'admiration qui convient. Ses propos sont fermes et sans appel. À ses yeux, c'est une « provocation ». C'est vrai, 85000 euros pour accrocher neuf peintures dont profiteront essentiellement le ministre et ses collaborateurs, c'est un peu chérot. « Je suis, a-t-il affirmé, contre toute provocation. C'est clair, c'est net. Surtout dans une période aussi sensible que celle-là. » C'est vrai qu'elle est drôlement sensible, la période : les usines qui ferment, le chômage qui augmente, la pauvreté qui s'installe... Le ministre des Affaires étrangères a même renchéri : « Je ne vois pas du tout l'utilité quelconque d'une provocation et même je la condamne d'une façon très nette. »
Bravo. C'est envoyé ! Ah ? On me fait des signes. On m'apporte un papier... Comment ? Ah ! Laurent Fabius, en parlant de provocation, ne réagissait pas au coût exorbitant de son exposition mais aux caricatures de Charlie Hebdo.
Ah bon ? Mais alors, c'est curieux de découvrir le caractère provocateur de Charlie Hebdo juste quand s'active une poignée d'intégristes hurlants. Charlie Hebdo est un hebdomadaire provocateur. Il l'était il y a vingt ans. Il l'était la semaine dernière. J'espère qu'il le sera encore la semaine prochaine. La liberté d'expression, pour être réelle, doit être totale. Si l'on est pour sa limitation, il faut le dire plutôt que d'accuser Charlie Hebdo d'avoir voulu faire un coup commercial.
Je me doute que Charlie Hebdo a besoin de vendre pour vivre, mais Le Monde aussi, non ? Pourquoi utiliser des arguments crapoteux quand on donne l'impression de naviguer à vue dans un brouillard épais ?
Comme on aimerait de la clarté chez les responsables, chez les penseurs de gauche.
C'est un homme de droite qui, le premier, a dit simplement, dignement, les principes.
« Je défends Charlie Hebdo, je défends la liberté d'expression et je pense qu'on ne doit pas céder un pouce de terrain dans ces domaines-là. »


Merci, monsieur Morel.

N.B. : J'en connais un (lui) qui doit bien se marrer — jaune...

MÀJ du 07/10/2012 : Réflexion du jour. Ne pas publier quelque chose (texte, dessin ou autre) par peur des conséquences que cette chose peut avoir, c'est clairement de l'autocensure insidieuse et pernicieuse ; mais s'abstenir de la publier par conscience de ce qu'elle va engendrer de manière implacable, si ce n'est pas de la prescience, ne serait-ce pas de la lucidité ? J'hésiterais presque...