joe_hill.jpg, mai 2020
"My will is easy to decide, For there is nothing to divide."

L'histoire de Joseph Hillström aka Joe Hill, troubadour suédois devenu presque par hasard militant syndical aux États-Unis, demeure largement méconnue aujourd'hui alors qu'elle irrigue tout un pan de la contre-culture américaine, des années 30 à aujourd'hui, de Woody Guthrie à Bob Dylan en passant par Joan Baez, Bruce Springsteen, Billy Bragg (sans doute la figure contemporaine la plus proche) et même Tom Morello (Rage Against The Machine). Et le film qu'en tire Bo Widerberg, en suivant son arrivée à New York ainsi que son cheminement vers l'Ouest américain le long des voies ferrées, correspond assez bien à l'idée que l'on peut se faire d'un Ken Loach réussi. Et même plus précisément, dans le style et le contexte : c'est un Jimmy's Hall réussi.

On est au tout début du 20ème siècle, et Joe Hill commence avec la désillusion de deux émigrés suédois qui pensaient s'insérer dans une parcelle du rêve américain là où ils trouveront avant tout la pauvreté des bas-fonds de l'East Side. Comme Max Von Sydow au siècle précédent dans le diptyque Les Émigrants et Le Nouveau Monde (adaptations sorties en 1971 et 1972 du classique de la littérature suédoise La Dernière Lettre pour la Suède de Vilhelm Moberg), Thommy Berggren incarne la confrontation d'un idéal d'émigration au pragmatisme très rugueux de la réalité. C'est toutefois un versant beaucoup plus militant décrit ici, puisqu'il s'agit des prémices de la "Bread and Roses strike", du nom du slogan utilisé lors des manifestations des ouvrières du textile pendant plusieurs moins en 1912.

C'est un film social réussi, au sens où il embrasse pleinement la cause qu'il illustre, à savoir la dénonciation des inégalités sociales de la société américaine au début du 20ème siècle, sans pour autant renoncer à une forme de nuance et de contextualisation bienvenue. Une romance à peine évoquée par-ci, un lyrisme musical à la sauce comique par-là, et le portrait d'une personnalité fort atypique se dessine alors spontanément. On est loin du film à thèse, même si le destin tragique de Joe Hill se prête assez naturellement au drame persuasif, et même si la violence du bloc bourgeois aidé par les forces de police est abordée de front, avec souffrance au travail et bouillonnement du combat social — on compte notamment la séquence marquante d'un groupe de grévistes contraint de chanter l'hymne américain et d'embrasser le drapeau national très vite maculé de sang. C'est tout simplement un film qui trouve l'angle de l'émotion débarrassée de sa composante larmoyante, comme en témoigne le traitement final de ses cendres (envoyées aux quatre coins du monde sans grandiloquence aucune), dans le respect des derniers mots de Joe Hill : "Don't mourn, organize!".

My will is easy to decide,
For there is nothing to divide,
My kin don't need to fuss and moan,
"Moss does not cling to a rolling stone."
My body? Ah, If I could choose,
I would to ashes it reduce,
And let the merry breezes blow
My dust to where some flowers grow.
Perhaps some fading flower then
Would come to life and bloom again.
This is my last and final will,
Good luck to all of you, Joe Hill.

prison.jpg, mai 2020