jour_de_colere.jpg, avr. 2020
"Rien n'est plus paisible qu'un cœur qui a cessé de battre."

Jour de colère commence un peu comme se terminait La Passion de Jeanne d'Arc 16 ans plus tôt, à savoir le procès en sorcellerie d'une femme dont l'obtention des aveux se fera dans une grande douleur. Si l'austérité formelle et narrative (c'est le moins qu'on puisse dire) caractérise aussi bien l'un que l'autre, la comparaison s'arrête là car ici cette exécution constituera un point de départ et non un point final.

Dans un cadre extrêmement rigoriste, Dreyer s'intéresse au foyer du pasteur Absalon dans un village danois du 17ème siècle, structuré autour de plusieurs pôles : sa mère Merete, sa femme et seconde épouse Anne, et son fils Martin issu d'un premier mariage, qui bouleversera l'équilibre relatif de la demeure à l'occasion de son retour, au même titre que la vieille Marte expiée de ses péchés par le feu en introduction. Au creux d'un récit âpre, lent, sec, froid, le caractère méthodique et décharné de la progression se verra toutefois régulièrement bouleversé par des séquences d'une très grande puissance émotionnelle.

Si l'on peut difficilement contester le fait que le film soit tout entier gouverné par une tonalité parmi les plus dures et les plus dépouillées qui soient, cela ne signifie pas nécessairement que l'émotion en soit exclue. Bien au contraire : quelques temps forts articulent solidement le récit, en brisant la dimension monotone et l'austère des échanges sur le sacré, et lui confèrent un rythme tout aussi indéniable.

C'est d'abord le sort de Marte, qui demande pardon à genou et en pleurs, moment terrible, qui révèle une part sombre du passé d'Absalon, et qui finira au bûcher en emportant avec elle ce secret au-delà de la séance de torture qui aboutit à sa confession.
C'est ensuite cet instant lumineux et bucolique, cette parenthèse poétique enchantée au cours de laquelle Anne s'enfuira avec son amant l'espace de quelques scènes en forêt, dans les champs, en profitant des seuls rayons de soleil et des seuls courants d'air qui traverseront le film. L'espace d'un instant, c'est comme s'ils renouaient avec un Paradis perdu.
C'est enfin ce dernier segment, glaçant, qui se terminera sur la procession funéraire d'enfants devant un cercueil, avec le geste accusateur terrible de la mère Merete et le renoncement in extremis du fils Martin quant à ses engagements.
Il en résulte une peinture du dogme et de l'aveuglement, sur le chemin de l'idéal de pureté, entre intégrisme religieux, égoïsme et intolérance, construisant par petites touches successives le portait d'une souffrance et d'un mal terrifiant.

Étonnamment donc, les émotions et les sentiments sont omniprésents dans Jour de colère, latents, prêts à sourdre comme La Source de Bergman. Cela relèverait presque d'un symbolisme scandinave. Autant de passions, divergentes en soi, mais également soulignées par un travail de contraste permanent. À l'image du visage d'Anne, saisi au vif à de nombreuses reprises, comme emprisonné dans des clairs-obscurs sublimes.

cercueil.jpg, avr. 2020