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Ennemi public n°1

Enrico Mattei était un personnage italien qui avait réussi dans les années 60 à se mettre à dos une quantité invraisemblable de sociétés, d'institutions, et d'intérêts divers diversement dangereux. Il est mort dans un accident d'avion, potentiellement et très probablement plutôt un attentat commis par l'un des très nombreux candidats au meurtre.

En premier lieu, ce pourrait être un ordre de compagnies pétrolières américaines car il avait vertement remis en cause leur monopole dans la gestion de l'approvisionnement du pétrole en Italie — il avait baptisé "les Sept Sœurs" les plus grandes compagnies pétrolières de l'époque. Officiellement mandaté en mai 1944 pour liquider la compagnie Agip, il apprend que de gros gisements de méthane situés dans la région de Milan sont convoités et il décide de maintenir la société dans le giron de l'État afin d'en faire l'instrument privilégié du développement et de l'indépendance énergétique du pays. Premier gros mauvais point pour son intégrité physique. Il était également accusé d'avoir soutenu et financé le FLN pendant la guerre d'Algérie, en échange de concessions pour le groupe Ente Nazionale Idrocarburi (ENI) public à l'époque. De quoi tendre la SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, ancienne DGSE) française de l'époque, voire l'OAS. Son successeur figure également dans la liste des suspects.

Le constat est déjà édifiant, et pose le film davantage comme une source de questions que comme pourvoyeur de réponses.

Mais les ennuis ne s'arrêtent pas là, puisque le réalisateur Rosi engagea le journaliste Mauro De Mauro afin d'enquêter pour les besoins de ce film dossier, et ce dernier finira enlevé à Palerme, son corps n'ayant jamais été retrouvé. Là aussi plusieurs hypothèses se bousculent, témoignant la volonté tenace de certains de maintenir des affaires enterrées : les Carabinieri pensaient que sa mort était due à une enquête précédente du journaliste sur le trafic de drogue, là où la police nationale privilégiait la piste mafieuse (mafia ou autre). En tous cas, dans le genre du film-dossier, difficile de faire plus communiquer les deux côtés de la caméra. Sans parler de l'assassinat de Pasolini en 1975, son roman inachevé Pétrole ayant pour sujet l'identité des assassins de Enrico Mattei.

Quoi qu'il en soit, un gros paquet d'emmerdes entoure ce film, qui arbore par ailleurs une chronologie éclatée et une structure peu conventionnelle. Le tissu socio-culturo-économico-politique est très dense, et le film reste éprouvant à regarder par ses logorrhées incessantes. Mattei, qui se disait enivré par le succès "l’homme italien le plus important depuis Jules César", aura manifestement eu une mort à la hauteur. Gian Maria Volonté, présent dans les deux films ayant obtenu la Palme d’or à Cannes en 1972 (celui-ci et La classe ouvrière va au paradis), s’impose clairement. Le film, bien que tumultueux et en un sens brouillon (en tous cas difficile à suivre dans son montage intense), est un support à de très nombreuses réflexions assez folles.

img1.jpg, déc. 2022 img2.jpg, déc. 2022 img3.jpg, déc. 2022 img4.jpg, déc. 2022