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"On peut pas le comprendre. Il est dur mais il a du cœur."

Pour son premier long métrage, Maurice Pialat impose un style net, clairement identifiable, avec une assurance pour le moins étonnante. Le personnage du metteur en scène semble également déjà bien établi, c'est la première pierre d'une réputation sulfureuse qui lui vaudra beaucoup d'ennuis sur le tournage auprès des producteurs parmi lesquels figurent Claude Berri et François Truffaut. On peut voir à cet égard L'Enfance Nue comme un lointain écho des Quatre Cents Coups, dans lequel Antoine Doinel serait remplacé par François, un gamin de l'assistance publique trimballé de famille en famille dans le Nord-Pas-de-Calais. Pialat avance dans le film avec un style très affirmé qu'on pourrait qualifier de naturaliste, déjà, avec des dispositions qui donneront probablement des boutons à tous les allergiques à Robert Bresson — il y a un dénominateur commun assez fort, peut-être ici né d'une contrainte budgétaire à l'origine, mais qui est très claire dans sa volonté de filmer le quotidien d'une famille d'accueil pauvre avec des acteurs non-professionnels. La chaleur du vieux couple (les fameux Pépère et Mémère) qui accueille François pourrait même faire office de Depardon avant l'heure, en grossissant les traits.

Vers la fin, après avoir fait une énième bêtise un peu plus grave que les précédentes, ses parents adoptifs diront de lui "on peut pas le comprendre. Il est dur mais il a du cœur". C'est une phrase qui résume très bien le ressenti qu'on peut avoir au sujet de François, et Pialat est parvenu à retranscrire le mystère que peut représenter ce genre de gamin avec un talent surprenant. Si le film est globalement brut et radical, il ne laisse pas moins s'échapper quelques envolées comiques et quelques moments de pure tendresse, à l'image du cadeau qu'il fait à sa première famille d'accueil qui pourtant le rejette en le renvoyant au centre. Le film est basé sur cette dynamique de contrastes, alternant entre des passages manifestant une politesse claire et d'autres où il se livre à des mensonges, des vols, des bagarres, des gestes très violents (le coup du couteau lancé au visage de son "frère"). Il est souvent très difficile de saisir où on se situe entre l'amour, le regret, et la colère, et le portrait qui en résulte est celui d'un enfant écorché et instable mais jamais prisonnier d'un ton misérabiliste, simplement le fruit d'une organisation sociale et administrative bancale. La solitude de l'orphelin souvent mutique, jamais expliquée, ne se manifeste jamais par de la haine, rien ne le laisse indifférent. L'incompréhension domine tout, l'angoisse envahit le rapport aux autres, et revêt parfois une dimension quasi-documentaire attachante.

img1.jpg, nov. 2022 img2.jpg, nov. 2022 img3.jpg, nov. 2022