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Дон Кихот

Le film allégorique dénonçant la pourriture du système (les institutions comme leurs représentants) semble être un genre à part entière dans la cinéma russe contemporain : difficile de ne pas penser à Andreï Zviaguintsev et son Léviathan, sorti la même année, même si les approches diffèrent sensiblement dans la façon de structurer la narration. On est ici presque dans le registre du thriller nocturne, avec un citoyen lambda embarqué dans une course contre la montre haletante pour sauver la vie d'un millier de personnes, habitants d'un HLM sur le point de s'effondrer.

Deux principaux obstacles se dressent sur son chemin : d'un côté la misère des pauvres hères peuplant les lieux, partagés entre violences conjugales et thérapies alcoolisées, et de l'autre la corruption absolue des officiels, le cul entre deux chaises, celles de la cupidité et de l'avilissement moral. Le tableau peut paraître quelque peu surchargé, à la lecture de cette accumulation de travers et autres points douloureux, et il serait un peu insincère de ne pas aborder la lourdeur du trait et de la démonstration par moments. Mais Youri Bykov parvient tout de même à rendre son protagoniste intéressant, attachant dans son symbole de petite fourmi dotée d'une conscience plutôt rare en ces lieux, sorte de Don Quichotte qui se moque éperdument (et dangereusement) de la taille des moulins qu'il entend combattre. Des moulins qui peuvent pourtant se faire particulièrement menaçants.

Le résultat est aussi sombre que sec, les séquences en extérieur sont quasiment toutes plongées dans une lumière nocturne angoissante, qui ne laisse pas plus respirer que lorsque la caméra est enfermée dans les couloirs miteux des différents HLM. Dans de telles conditions de corruption, impossible de faire éclater la vérité, même si Bykov se garde bien de l'expliciter : le plan final renvoie le protagoniste à sa propre folie, comme un whistleblower qui n'aurait pas réussi à rendre intelligible les enjeux de sa dénonciation. Au-delà du caractère de pamphlet un peu démonstratif que le film revêt assez naturellement, la dimension tragique de son protagoniste, l'idiot aux yeux de tous alors qu'il semble être le seul capable d'ouvrir les yeux sur la réalité du monde, lui confère un intérêt à mon sens indiscutable.

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