
Une bien curieuse décharge électrique et anarchiste dans la grisaille de la France pompidolienne : La Fiancée du pirate est une expérience très particulière, principalement parce que Nelly Kaplan entretient un malaise permanent au sujet de la condition de Marie, le personnage interprété par Bernadette Lafont, la fille d'une sorcière ou d'une bohémienne, on ne saura jamais vraiment. Archétype de la femme-objet dans la première partie, décrite dans toute sa misère et sa soumission, elle passera du statut d'esclave à celui de dominatrice à la faveur d'une prise de conscience salutaire, à travers l'appropriation de son propre corps.
Mais avant d'en arriver là, avant d'épouser le vent libertaire qui souffle sur la destinée de Marie, il faudra en passer par la crasse des hommes fourbes, le venin des femmes jalouses, la boue des taudis miteux, et l'acrimonie omniprésente qui corrompt tous les habitants du coin. Il faut passer au-delà du côté un peu théâtral du jeu d'acteur, notamment dans la première partie où chacun joue son rôle de manière un peu trop emphatique, mais la récompense reçue par la suite est de taille.
Une fois acté le déclic de la protagoniste qui prend pleine connaissance de la puissance de son corps et de son potentiel d'émancipation, sa vengeance contre tous les notables du coin sera sans pitié. L'épicier, le garde-champêtre, le pharmacien, le maire et même l'abbé seront tous également condamnés pour leur veulerie, leur concupiscence, leur méchanceté, et surtout leur lubricité perverse démentielle. Marie devient peu à peu un personnage féministe particulièrement avant-gardiste, et parvient à sa dégager de l'état de soumission dans lequel elle avait été éduquée. Comme un gros bras d'honneur tendu en direction de toutes les formes d'aliénation, non sans humour.
La Fiancée du pirate se paie même le luxe, au-delà du pamphlet de mœurs, de critiquer la vision très consumériste de l'aisance matérielle. Si Marie redécorera son taudis au fur et à mesure de la richesse accumulée, en garnissant les étagères avec les derniers objets à la mode achetés de manière impulsive, ce ne sera que pour mieux brûler le tout avant un nouveau départ. Elle ira d'ailleurs retrouver Michel Constantin, d'une étonnante douceur dans le rôle d'un projectionniste bienveillant, lui qui était un habitué des seconds rôles de méchant maffieux.
Une telle revendication de son corps, une telle affirmation de son indépendance, illustrée par une vengeance lente et savamment calculée (séquence assez drôle à l'église où un magnétophone divulgue les confidences assez peu avouables des hommes sur fond de Barbara, "Moi je me balance" : https://www.youtube.com/watch?v=Bi5_Lb65ZjY) : l'acidité du portrait, avec une France bigote et rance, où les vices s'équilibrent avec les mensonges, s'accompagne d'une rare violence. Aucune lourdeur dans le message, simplement un regard libertaire sur une société dominée par l'homme et par l'argent, et une bêtise faite de racisme, de misogynie et d'hypocrisie d'où Marie parviendra à s'abstraire, au cœur d'une magnifique déflagration.




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