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La Vie d'Adèle est un film français réalisé en 2013 par Abdellatif Kechiche qui a obtenu la Palme d'or, attribuée de manière exceptionnelle au réalisateur et aux deux actrices principales. Il s'agit d'une adaptation de la bande dessinée Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh, publiée en 2010, racontant une histoire d'amour entre deux femmes s'étalant sur une dizaine d'années.

On a lu et entendu énormément de choses sur le dernier film de Kechiche, avant sa sortie, la plupart du temps sans lien direct avec le film à proprement parler. Difficile d'aborder la projection de manière neutre dans ces conditions... et pourtant, La Vie d'Adèle m'est apparu comme une très belle histoire d'amour, pleine de sensualité, sincère et pulsionnelle, avec ses effusions et ses contradictions. J'en profite pour préciser d'emblée deux ressentis personnels qui me paraissent importants.
1) La Vie d'Adèle n'est pas un film sur l'amour saphique. Plutôt qu'une quelconque "propagande homosexuelle" (merci Christine B.), il s'agit d'un film sur les amours douloureuses d'une fille qui devient femme, de son évolution et de ses métamorphoses. Inscrire ce film dans la dynamique liée à la législation sur le mariage homosexuel me paraît totalement insensé, ne serait-ce qu'en considérant les dates de tournage ou de la bande dessinée.
2) Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un film politique sur l'homosexualité. Si La Vie d'Adèle est un film politique, c'est plutôt dans sa description de la rupture sociale qui fait vaciller le couple, de ces différences profondes qui ont parfois raison des sentiments les plus forts.

À mon sens, ce film traite de manière originale la complexité de la relation amoureuse, avec un regard – certes masculin – qui va à l'encontre de nombreux lieux communs. Peu de films ont su décrire la nature du sentiment amoureux avec autant d'intensité...
Concernant la nature homosexuelle de la relation entre Adèle (Adèle Exarchopoulos, exceptionnelle) et Emma (Léa Seydoux, en retrait), on peut noter que les premières attaques proviennent du cercle privilégié des amies. Les insultes les plus salaces sont ainsi proférées par une jeune fille proche d'Adèle et nous rappellent que l'homosexualité n'est pas encore rentrée dans les mœurs, et pas seulement dans celles de la classe blanche catholique.
Il est aussi intéressant de constater les différentes définitions du bonheur et de l'épanouissement personnel, qui ne peut pas se réaliser au travers du boulot d'institutrice selon Emma, mais qui peut se savourer naïvement pour Adèle (en substance, "l’existentialisme selon Jean-Paul Sartre, c'est pareil que le reggae de Bob Marley" ou encore ses fameux "j'y connais rien mais j'aime bien" pour le vin, l'art, etc.).

Les scènes de sexe ont une place importante dans le film, mais ne sont clairement pas à la hauteur de leur réputation... Un pari osé, loin d'être choquant, mais raté. Relativement mal filmées sur le plan technique (est-ce intentionnel ?) comparé au reste du film, elles sont clairement moins (voire pas du tout) émouvantes que certains baisers, notamment le premier baiser avec une fille, sur un banc, à l'ombre d'un arbre, illuminé par quelques rayons de soleil magnifiques. Une scène difficile à oublier. Il est amusant de relever le glissement opéré dans ces scènes de sexe, au fil du film : ce qui est suggéré prend peu à peu le pas sur ce qui est montré, et les premières scènes largement expressives, filmées en gros plans presque dérangeants, laissent place à des scènes plus intimistes et autrement plus intenses.

Le film n'est naturellement pas exempt de défauts, et ceux qui m'ont le plus gêné sont certainement liés à des descriptions vraiment caricaturales des différents milieux sociaux. Que ce soit le cadre familial (parents bobos pour Emma et prolos pour Adèle) ou le milieu artistique qui n'a clairement pas les faveurs de Kechiche, certaines vérités subsistent mais le trait est souvent très grossier. La scène dans la galerie d'art reste cela dit remarquable dans sa cruauté...
D'un point de vue technique, on peut également reprocher les aspects poussifs de certains bruitages (slurp) et de certains gros plans insistants (pâtes à la bolognaise versus huîtres). Enfin, si certaines ellipses sont volontaires et assumées, plusieurs passages essentiels souffrent d'une écriture vraiment trop légère... Mais certaines scènes brillent par leur rigueur et leur émotion, avec notamment la scène du bar à vous déchirer le cœur.

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La Vie d'Adèle est un film qui s'inscrit naturellement dans la filmographie de Kechiche, empreint d'un réalisme et d'un naturel mieux dosés que dans ses premières œuvres comme L'Esquive. Ici, les barrières sociales, invisibles et inéluctables, décrites avec plus ou moins de talent, semblent s'étendre aux relations amoureuses ; elles peinent à exister en dehors du cadre instillé par les familles respectives, également détestables. Le contexte de production du film fera très certainement date (on peut désormais ranger Kechiche aux côtés de Céline et Cantat semble-t-il...) mais il serait vraiment dommage de se laisser ainsi influencer. Enfin, l'interprétation proprement exceptionnelle d'Adèle Exarchopoulos, tour à tour fragile et incandescente, ingénue et frondeuse, justifie à elle seule d'aller savourer ces moments de vie au cinéma.


Petit aparté linguistique et sociologique.
Deuxième film français vu en Écosse après Casse-Tête Chinois de Cédric Klapisch, La Vie d'Adèle a illustré une nouvelle fois le fossé immense qui peut séparer deux cultures pourtant voisines, notamment dans leur rapport à l'humour. Les rires fusaient dans la salle lors de scènes profondément tragiques, alors que certains passages à la limite de la caricature – et en ce sens risibles – me laissaient bien seul dans ma raillerie...