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Dire la guerre autrement, en dehors des limites temporelles et thématiques habituelles : ainsi pourraient se résumer les motivations de Bertrand Tavernier, à l’aune de "La Vie et rien d’autre". Réalisateur aussi irrégulier que prolifique, viscéralement attaché au genre humain, il a toujours manifesté un certain intérêt pour les versants cachés des conflits et des controverses. L’histoire du commandant Dellaplane, en charge du recensement des soldats morts ou disparus au lendemain de la Première Guerre Mondiale, constitue donc un terreau de choix pour l’expression des engagements du cinéaste.

Novembre 1920. Le traumatisme est encore omniprésent dans les chairs comme dans les esprits et la recherche d’une dépouille adéquate (comprendre : bien française) pour la commémoration du Soldat inconnu ravive des ressentiments divers. Loin des grands classiques du genre abordant de front l’horreur de ce conflit mondial (comme "Les Sentiers de la gloire" de Kubrick, pour ne citer que celui-ci), Tavernier privilégie une certaine authenticité hors des sentiers battus. Il délaisse la guerre de tranchées en hors champ pour se concentrer sur d’autres rapports conflictuels. Deux ans après la signature de l’armistice du 11 novembre 1918, si les batailles sanglantes appartiennent bien au passé, on compte toujours les morts sur le terrain. "La Vie et rien d’autre" explore ainsi les aspects subsidiaires et le banal quotidien de l’après-guerre, à la marge des événements les plus médiatiques retranscrits dans les manuels d’Histoire. On prend alors conscience que la Première Guerre Mondiale, au-delà des calendriers officiels, ne s’est pas brusquement terminée du jour au lendemain, au son du clairon (1).
Les combats ont beau être terminés, les plaies restent béantes. Les ruines et les bâtiments de fortune font partie intégrante du paysage. Les uniformes sont partout, tout comme les cadavres qui n’en finissent pas de surgir de terre pour refaire surface chez les vivants. Cette triste réalité s’affirme même davantage puisqu’une partie des vivants est encore occupée à célébrer la victoire pendant que l’autre cherche ses morts. Sans oublier les motivations économiques de ces recherches : en ces temps difficiles, les métaux importent autant que les corps.

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Tavernier interroge cette période d’après-guerre peu ordinaire au travers de plusieurs destins croisés et adopte un point de vue proche de celui de Mervyn LeRoy dans l’excellent "Je suis un évadé". Comment la vie peut-elle reprendre ses droits dans ces paysages désolés ? Comment l’amour peut-il renaître dans ces populations dévastées ? Philippe Noiret, très convaincant dans le rôle de ce commandant intègre et obstiné, est au centre de ces questionnements et de cette nouvelle guerre, celle de la vie contre la mort.
On peut regretter quelques faiblesses caractéristiques de l’œuvre de Tavernier : des interprétations pas toujours à la hauteur (notamment dans les seconds rôles), une ambiance musicale parfois bâclée, ou encore quelques longueurs relativement désagréables. "La Vie et rien d’autre" n’en reste pas moins une peinture captivante de cette période lugubre, empreinte de réalisme, où une nation désire à tout prix rendre hommage à un soldat anonyme après en avoir fait massacrer des millions.

(1) Le film constitue à ce titre un diptyque avec "Capitaine Conan", réalisé sept ans plus tard avec un budget plus conséquent (l’effort de reconstitution est notable) et une vision peut-être plus manichéenne des conflits entre corps militaires et classes sociales. Tavernier s’intéresse ici aux combats dans les Balkans, où les affrontements entre armées française et russe ont périclité longtemps après la fin officielle de la Première Guerre Mondiale. (retour)