L'atypique revue XXI bouleverse le monde de la presse écrite depuis 4 ans. Un succès mérité à la hauteur de la qualité du contenu proposé par le trimestriel. Tour du propriétaire à travers le numéro 17 (Hiver 2012).

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Lorsqu'on découvre XXI, la première chose qui étonne est son format et son design très originaux. Les couvertures sont en format paysage (alors que le contenu est en portrait), les couleurs sont vives et la page pas tout à fait A4. Avec ses deux cents pages environ, elle en impose. On est en réalité à l'interface entre le livre et la revue. Pour preuve, ne la cherchez pas dans les kiosques à presse, vous ne la trouverez pas : elle ne se vend presque intégralement que dans les libraires (clin d’œil aux toulousains : XXI annonçait récemment que c'est Ombres Blanches qui vend le plus de numéros !). Choix assumé de favoriser la librairie indépendante. Deux cents pages donc, deux cents pages de dossiers travaillés et de reportages fouillés aux formats variés (BD, reportage classique, photoreportage). Et pas une seule page de publicité. Allez je donne le prix et après on s'y met : 15,50 euros. Oui, bon, c'est une somme non négligeable, mais c'est le prix de la qualité, point. A titre comparatif, n'importe quelle revue hebdomadaire truffées de pubs et de reportages foireux coûte environ 3 euros. Faites le calcul ...

XXI est sous-titré « l'information grand format ». Le désir des auteurs est double : rompre avec l'instantanéité d'une presse superficielle et « donner à penser ». À ce titre, les reportages sont longs (au moins 10 pages denses), bien écrits et cherchent à présenter le sujet avec recul et objectivité. En substance, si l'auteur peut choisir son sujet et présenter une problématique qu'il juge nécessaire à l'appréhension du monde, il ne peut pas penser pour le lecteur. 

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Chaque numéro s'oriente autour d'un dossier principal contenant toujours trois reportages. D'autres reportages sans lien avec le dossier et des rubriques plus courtes complètent la revue. 

On commence par le sommaire, puis deux pages de courrier des lecteurs et on attaque par la rubrique « Dans l’œuf ». Ce sont les quatre pages les plus proches de l'actualité traditionnelle de la revue. Quatre pages qui exposent avec recul différents événements souvent peu médiatisés autre part, des découvertes scientifiques, des projets. Ensuite viennent les deux pages de la rubrique « Détonant », quelques brèves qui font froid dans le dos. « Flash-Back » propose un retour arrière sur des destins atypiques ou des affaires anciennes. « De l'intérieur » est une interview qui présente souvent un point de vue marginal d'un problème médiatisé. « Il a dit » est une magnifique double page de citations récentes et anciennes d'une personnalité (ce trimestre-ci, le Dalaï-Lama). « Contrechamp » aborde avec recul un problème de société en le regardant sous des angles plus larges (« Taxes graisses et sodas : santé, business ou finances publiques ? »). La dernière petite rubrique est pour moi la plus intéressante. « Ils font avancer le monde » propose des portraits qui donnent espoir, tout simplement.

Après cette trentaine de pages hétéroclites, on rentre dans le vif du sujet avec le dossier. En vrac, quelques-uns traités par le passé : « La France du milieu, récits de gens ordinaires », « Les deux Israël, incroyables destins », « Des villes et des hommes, vivre ensemble », « Utopie, j'écris ton nom » et pour le numéro 17 : « Histoires de justes, dans la vie des autres ». Trois récits qui montrent des gens ordinaires qui ont vécu des passions et des drames et qui sont violemment confrontés à des actes qui les dépassent. Comme dirait Alain Souchon, des récits de « gens qui font ce qu'ils peuvent » et qui nous rappellent à tous la complexité de nos vies qu'on a tendance à oublier en jugeant les autres. 

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Parmi ces récits, le portrait de Erhard Lorethan, troisième homme à avoir gravi les 14 sommets de plus 8000 mètres que la Terre compte. L'histoire d'un enfant de la montagne à la vie tourmentée par les amis perdus dans les ascensions et par un homicide involontaire sur son bébé qu'il a secoué trop violemment un soir terrible. Récit passionnant d'un homme entre deux mondes.

Je laisse aux lecteurs la joie découvrir les reportages hors-champ de ce numéro (tels que cette superbe enquête sur la Grande Famine chinoise des années 50 orchestrée par Mao et tue par la Chine depuis) pour m'attarder sur les reportages aux formats différents.

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« La Novice du New Jersey » est un photoreportage qui plonge dans le quotidien d'une jeune américaine de 21 ans qui décide de rentrer dans les ordres pour vivre une vie cloîtrée. On y découvre la vie méconnue de ces femmes et les terribles lois du couvent, le silence, la joie, l'agriculture. 

Le "récit graphique" de ce numéro (un BD-reportage) parle des enfants des Kinshasa, 20000 enfants qui vivent dans la rue suite à des accusations de sorcellerie fomentées par les Églises évangéliques qui pullulent et se jouent de la crédulité d'une population souvent peu instruite. Emmanuel Guibert, l'auteur de la magnifique trilogie de BD Le Photographe a beaucoup collaboré à cette rubrique, avec notamment le récit Des nouvelles d'Alain qui nous plonge dans l'univers des Roms (XXI numéro 8). 

Il y aurait des pages et des pages à écrire sur XXI, tellement son contenu est riche et varié. Il est néanmoins temps de laisser la revue parler. Plongez-vous aussi sur leur excellent site web qui propose des compléments, des archives et vous permet de commander tous les anciens numéros. XXI ouvre des portes et vous laissera y entrer ou non. À la fin de chaque reportage, vous trouverez une double page « Pour aller plus loin » qui présente des éclaircissements sur les contextes et beaucoup de références bibliographiques pour approfondir le sujet. C'est toute la philosophie de XXI qui est symbolisée par ces pages.