complexe_de_frankenstein.jpg, janv. 2022
"You have to keep the kid feeling alive!"

Ce documentaire de Alexandre Poncet et Gilles Penso est une immense friandise à destination de tous les amateurs d'horreur old shcool, avec tout ce que cela peut comporter comme effets spéciaux réels et animation en dur. Comme le dira un des intervenants, il ravira tous ceux qui ont un "soft spot for rubber, stop-motion and make-up effects"... Et de fait, les deux critiques et réalisateurs français ont donné la parole à une cohorte de grandes petites mains aux manettes derrière les effets spéciaux comme Phil Tippett (réalisateur du récent et excellent Mad God), Rick Baker ou encore Greg Nicotero, avec également des interventions de cinéastes réputés comme Joe Dante, John Landis, Guillermo Del Toro, Christophe Gans, et Kevin Smith — même si de leur côté ils sont plutôt là en tant que fan de cet âge d'or qu'autre chose. La bonne humeur d'un John Landis est toujours exquise.

Le Complexe de Frankenstein fait suite en quelque sorte à l'autre docu réalisé par Penso, Ray Harryhausen : Le Titan des Effets Spéciaux (2012), qui était tout autant passionné mais beaucoup plus sage, plus révérencieux et moins ambitieux. Ici on entre dans le vif du sujet tout de suite et on ne le quittera jamais, avec dans l'arrière-plan des restes de monstres aussi divers que le Predator, la reine Alien, des dinosaures de Jurassic Park, des Gremlins, des bouts de Godzilla, et tout un tas de bestioles exotiques en tous genres.

Le docu retrace très rapidement l'histoire des effets spéciaux en remontant à des personnages antiques et emblématiques comme Lon Chaney en allant jusqu'à la jonction avec l'ère numérique, bien sûr, sans trop d'amertume dans le discours, mais en constatant clairement un point de non-retour partagé par bon nombre de personnes biberonnées aux effets bien dégueulasses caractéristiques des années 80. Pas de jugement hautain, mais de mépris, juste des passionnés qui parlent de leur art et qui laissent entrevoir un petit bout de leur immense talent. Quelques témoignages sur la transition très difficile vers l'imagerie de synthèse, avec des avis relativement nuancés, à travers notamment l'interaction qu'il existait entre un maquilleur et un acteur, ce que l'on ne retrouve plus sur fond vert. À ce titre Jurassic Park est présenté comme le film-charnière par définition, à l'interface entre les deux mondes. L'histoire de Rick Baker est aussi renversante, dégagé du tournage de Men in Black à la faveur des effets spéciaux émergeants alors qu'il avait créé toutes les créatures. On peut regretter l'absence de Rob Bottin dans ce paysage magique, même si son travail sur The Thing de Carpenter est évidemment mentionné, ma référence absolue en matière de conception d'effets spéciaux à l'ancienne.

Ce qui frappe dans cet océan nostalgique, c'est qu'on a souvent l'impression de voir de grands (et vieux !) enfants s'exprimer sur leur passion démentielle, et les témoignages abondent en ce sens : "you have to keep the kid feeling alive", "it's important to see the world through child-like eyes", etc. Des enfants qui ont vieilli, et qui ont conscience d'avoir vécu un âge d'or, de l'avoir vu émerger et de l'avoir vu disparaître. Le docu a le mérite de faire ressentir l'idée présente dans le titre, à savoir le fait que ces gens ont littéralement donné vie à des créatures à travers ces films, dans un foutoir créatif inimaginable. Un travail d'artisan, avec des animatroniques nécessitant 15 personnes autour pour gérer les différentes parties de la bestiole, assorti d'un regard très mesuré sur le passage du traditionnel au monde moderne.

alien.jpg, janv. 2022 critters.jpg, janv. 2022 dante_landis.jpg, janv. 2022