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"He's got the scruples of a guinea pig and the morals of a gangster."

Pour son premier film américain, loin des délires écossais délicieusement alcoolisés de Whisky à gogo ! (Whisky Galore, 1949) et loin de la définition de l'aventure à venir dans Un Cyclone à la Jamaïque (A High Wind in Jamaica, 1969), Alexander Mackendrick plonge dans un environnement urbain et explore les affres de l'empire éditorial new-yorkais des années 50. À la tête de cette faune bigarrée composée de politiciens, d'avocats, de journalistes, de flics pourris et autres célébrités ou aspirants aux dents longues et bien aiguisées, deux figures s'imposent, écrasantes : Burt Lancaster dans le rôle de l’éditorialiste J. J. Hunsecker, et Tony Curtis dans celui du publiciste Sidney Falco.

Lancaster, fort de sa stature intimidante, incarne un personnage à la froideur et à la conviction dévastatrices, parfaitement impassible, mâchoire serrée, pétri de mépris et d'assurance, et obsédé par une quête de pouvoir qui semble sans borne. Son personnage est glaçant. Curtis, dans un registre bien différent mais tout aussi abject, bien loin des comédies légères de l'époque auxquelles on pouvait être habitué, se révèle exquis dans ce contre-emploi d'arriviste à l'appétit insatiable. Ils constituent les deux pôles autour desquels gravite tout le film et se développe une série de rapports de force implacables, donnant une image relativement violente de cet univers médiatique bâti sur l'humiliation et la domination. Le trait est féroce, c'est une certitude.

Mackendrick et surtout son chef opérateur James Wong Howe parcourent les rues de New York avec une dextérité stimulante, à l'origine d'un sentiment d'immersion très prenant. On est dans le film noir par excellence, très élégant dans sa photographie soignée et dans ses clairs-obscurs. Mais on s'éloigne tout de même de la trame classique du genre pour dériver vers une satire acerbe du journalisme américain, et les portraits à charge ne manquent pas quand il s'agit d'illustrer la tyrannie des uns et la bassesse des autres. Corruption et arrivisme y font très bon ménage.

Le personnage de Tony Curtis rappelle celui de Richard Widmark dans Les Forbans de la nuit (Jules Dassin, 1950), et la description de la ville en décors aussi authentiques fait écho à un autre film du même réalisateur, La Cité sans voiles (1948). Des êtres manipulés, pourvus d'une ambition démesurée et complètement aveuglés par leur désir de réussite financière et sociale. La ville est un océan peuplé de requins prêts à s'entre-dévorer. "I'd hate to take a bite outta you. You're a cookie full of arsenic", "he's got the scruples of a guinea pig and the morals of a gangster" (ou l'inverse): les joutes verbales acides sont aussi nombreuses que délectables.

Sweet Smell of Success dessine au final une étude très noire de l'univers des éditoriaux. New York y apparait comme un repère de voyous plus ou moins institutionnels, une ville parsemée de pièges, de contraintes et de manipulations. Une jungle meurtrière, plongée dans la nuit, rythmée par la mégalomanie de quelques gros poissons et les pressions multiples qui en découle sur toutes les strates de la société. Tony Curtis et Burt Lancaster forment un duo de belles pourritures, tout à fait mémorable.

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