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Microcrédit, le commerce de la misère
Cédric Gouverneur

En leur procurant une somme modique afin qu'ils puissent développer une activité rémunératrice, le microcrédit devait émanciper les plus pauvres. Mais, en Inde, une autre logique s'est imposée : des sociétés prêteuses bâtissent des fortunes en vampirisant les plus vulnérables.

Ça débute toujours comme ça, comme dirait l'autre – ou presque (1). On contracte un emprunt, puis un autre, et encore un autre... Sauf qu'il ne s'agit pas de crédits classiques. Petit à petit, les échéances s'accumulent et, avec elles, d'énormes intérêts. La tension monte. Les voisins commencent eux-aussi à devenir agressifs, car les sociétés de microcrédit ont mis au point un système de co-responsabilité pour assurer leurs revenus : quand un débiteur fait défaut, les autres doivent rembourser. Astucieux, non ?
Harcelé, terrorisé, il faut alors sous la contrainte souscrire un deuxième prêt pour rembourser le premier. Puis un troisième pour payer le deuxième, etc. pour arriver à des taux d'intérêt qui frôlent les 60%, charges comprises. Dans l'esprit de son inventeur, le Bangladais Muhammad Yunus, Prix Nobel de la paix, le microcrédit devait permettre l'émancipation des plus pauvres via l'acquisition d'une nouvelle source de revenus, et non faire office de complément comme cela semble se généraliser. Une nuance fondamentale, car le microcrédit indien s'apparente aujourd'hui à des prêts à la consommation.

Aujourd'hui, sentant le vent tourner, certaines sociétés indiennes de microcrédit démarchent désormais dans les villages reculés des indigènes adivasi : isolés, misérables, illettrés, ceux-ci sont – encore – moins à même de se méfier.

« Il faut prendre l'argent où il se trouve : chez les pauvres. Ils n'en ont pas beaucoup, mais ils sont si nombreux... »

Alphonse Allais, Le Sourire, Paris, 27 décembre 1902.


À écouter du lundi au vendredi entre 15 et 16 heures : Là-bas si j'y suis, l'émission de Daniel Mermet sur France Inter, consacrée au Diplo une fois par mois. Celle d'avril est accessible sur www.la-bas.org/article.php3?id_article=2428.

(1) La phrase exacte de l'incipit : « Ça a débuté comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. » Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932. (retour)