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La joie et l'ennui, de l'enivrement à l'épuisement

Je suis en général réticent à l'idée de qualifier une œuvre que j'apprécie de virtuose car je l’interprète souvent de manière péjorative, comme un synonyme d'esbroufe, mais c'est le premier terme qui vient à l'esprit, au sens littéral, quand il s'agit de caractériser la technique mise en œuvre par Max Ophüls dans Le Plaisir. La forme est vectrice d'un sens sidérant de richesse, dans une profusion de cohérence et d'habileté.

Du premier au dernier plan, c'est comme si la caméra ne s'arrêtait jamais de bouger, de suivre le flot incessant de l'action, au sommet d'une vague qui ne s'éteint pas. Un mouvement frénétique, permanent. La thématique du plaisir est à ce titre davantage appuyée par la forme que développée dans le fond, et l'effet ainsi produit est d'une étonnante efficacité. Le regroupement de trois histoires de Maupassant est un prétexte pour explorer la thématique du bonheur et du plaisir sous trois facettes différentes, dans trois de ses résonances bien distinctes.

On peut d'ores et déjà identifier quelques régions susceptibles de rebuter. Le côté un peu moralisateur ou donneur de leçon sur le thème "le bonheur est un état difficile d'accès, alors que les plaisirs peuvent être trouvés partout et tout le temps", résumé en toute fin par un personnage : "le bonheur n'est pas gai". C'est un peu scolaire d'un point de vue contemporain (ce fut même le thème d'une année en Maths sup) pour développer un discours raffiné, du moins autant que l'est la direction artistique. La construction en trois temps, par ailleurs, est bien gérée mais s'essouffle quelque peu dans son dernier acte, et c'est un dénouement un peu fâcheux. Cette dernière histoire est un peu faible comparée aux deux autres et gâche la dynamique des deux premiers tiers.

Mais le reste est particulièrement brillant. J'aime beaucoup l'image du vieillard que l'on découvre sous son masque, après avoir goûté l'ivresse de la danse et de la jeunesse de manière anonyme. Une image magnifique, dans sa joie virevoltante comme dans sa chute. L'immixtion à la campagne d'une troupe peuplant une maison close pour assister à une communion est aussi d'une beauté folle, toute en contrastes, portée notamment par le mirage féminin auquel se trouve confronté le personnage de Jean Gabin, et duquel il sortira abasourdi. Le moment où il s'excuse pour sa conduite passée, un peu honteux, dans un champ fleuri, est magnifique. Et sur un autre registre, la fermeture de la maison close (hahaha) est une comédie délicieuse, avec toute la bourgeoisie bien emmerdée, regroupée paisiblement sur un banc pendant quelques instants avant de s'étriper, visiblement très agacée par cet événement.

La recherche du plaisir comme un éternel mouvement, dans les fêtes, les danses, et ces salles grouillantes captées dans des cadrages obliques magiques et avec des lumières étincelantes (quelles optiques pour un tel rendu, faisant de chaque source de lumière une étoile scintillante ?). Et c'est dans la continuité du même mouvement que la joie et l'enivrement laissent place à l'ennui et l'épuisement.

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