depardon.jpgLes Années Déclic est un film-documentaire, un portrait autobiographique au format original portant sur une courte période (1957-1977) de la vie de Raymond Depardon. D'une voix hésitante et retenue, il commente des photographies et quelques extraits de ses premiers films réalisés un peu partout dans le monde, depuis son enfance passée à Villefranche-sur-Saône dans la ferme de ses parents « cultivateurs », jusqu'à la création de l'agence Gamma avec son grand ami et photographe Gilles Caron. C'est aussi l'histoire d'une vocation, qui débuta dans un petit labo de développement aménagé dans le grenier de sa ferme natale, qui l'entraîna ensuite à Paris en tant que pigiste, enchaînant reportages sans impor-tance et coups de chances très à-propos, pour finalement se concrétiser dans l'agence qui amènera les deux photographes à disposer – enfin ! – de leurs travaux.

Les photos défilent sous les yeux de Depardon comme sous les nôtres, entrecoupées de plans serrés autour de son visage, dans un dispositif intimiste au rendu étonnant (1). C'est lui qui décide du temps qui nous est imparti pour scruter les photos, mettant en lumière une nouvelle façon d'envisager le temps du regard ; si certaines passent relativement vite, d'autres s'attardent longuement à l'écran. Et c'est précisément là que la magie opère : quelques instants de trop sur une photo de son père au moment de sa mort et c'est un raz-de-marée émotionnel qui nous envahit sans crier gare, à l'image de l'auteur, désarmé devant la mort de ses parents, avouant avoir fait le tour de la planète pour éviter d'avoir à parler de lui-même – c'est ce qu'il fera vingt ans plus tard avec Profils Paysans.
L'œil fixé sur ses souvenirs, il nous raconte ces vingt années de sa vie, sa vision de la photographie et ses débuts de reporter en Afrique et en Afghanistan. Il évoque aussi, la gorge serrée, son amitié pour Gilles Caron : la célèbre photo d'un enfant mourant de faim prise au Biafra, les prémices de Gamma et les zones d'ombre qui entourent sa mort, alors qu'il avait été fait prisonnier en avril 1970 par les Khmers rouges, au Cambodge, sur la route qui relie Phnom Penh à Saigon.rue.jpg

Je voudrais être solitaire.
Solitaire, célibataire et nomade.
Quand je voyage je suis comme un enfant.
Ne pas essayer de séduire.
À Paris ils n'ont pas compris.

Raymond Depardon, La Solitude heureuse du voyageur, Points, 2006

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Raymond Depardon, à travers cette œuvre poignante, personnelle et singulière, esquisse une période décisive de sa vie, la naissance d'une carrière de photographe par conviction. Il est vraiment émouvant de regarder, d'écouter cet homme qui longtemps creusa seul son sillon, loin des sentiers battus estudiantins mais proche de l'action, du terrain et de la réalité. Avec humour, humilité et émotion, il relate les événements marquants qui l'ont conduit à devenir ce qu'il est aujourd'hui : un photographe et un cinéaste d'exception.


(1) Raymond Depardon avoue ne pas être habitué à l'exercice du micro, face à la caméra, et ajoute que le film se fait « en direct », sans répétition et en une seule prise. (retour)