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"Quel métier !"

Le plan initial donne le ton : on y voit un vétérinaire derrière une vache, en pleine fouille, un bras enfoncé jusqu'à l'épaule dans le cul de l'animal (il se trouve que chez la vache, l’éloignement des ovaires correspond exactement à la dimension d'un bras d'homme ; chez l'éléphant, les dimensions tombent un peu moins bien), l'autre tenant un portable afin de régler un détail administratif en lien avec son cabinet. "Quel métier !", dit-il pour conclure la séquence, et en effet, on ne peut qu'éprouver une compassion sans borne à l'égard de ces quatre vétérinaires qui sillonnent une région rurale normande. Le documentaire d'Ariane Doublet, s'il ne prétend à aucun esthétisme de la belle image (ici provenant d'une caméra amateur peu gracieuse), ne s'interdit pas un certain travail de composition pour mettre en valeur, par le cadre, un certain nombre d'actions opérées par ces professionnels — faisant notamment intervenir des bovins. Mais c'est surtout en termes de montage, simple mais efficace, que la réalisatrice s'amuse à alterner entre vie semi-citadine et vie agricole, d'un côté pour soigner les petits bobos d'un chien ou d'un chat et de l'autre pour gérer un prolapsus utérin faisant suite à une mise-bas. Deux mètres d'organes en dehors de l'animal, ce n'est pas rien.

Très clairement Les Bêtes n'est pas un documentaire à recommander largement, car c'est le genre de témoignage qui passionnera les personnes ayant une inclination pour la chose paysanne, pour les bizarreries du monde agricole (et ses contrastes avec l'urbain), mais qui laissera les autres dans l'indifférence, très probablement. De mon côté je trouve cela plutôt fascinant, et la malice de Doublet à opposer délicatement les deux mondes comme le jour et la nuit, l'affection très forte des propriétaires d'animaux de compagnie et le détachement minimum nécessaire d'un éleveur vis-à-vis de son troupeau (ce qui n'interdit pas une affection différente), est un vrai régal.

Certaines répliques sont vraiment collector. Le vétérinaire souffle dans les naseaux d'un veau nouveau-né pour libérer les voies respiratoires et crache, avant que l'éleveur ne lui réplique "c'est moins bon que le whisky ça !". Un éleveur au sujet d'une brebis mourante : "on peut la récupérer ?", le véto, hésitant quant au sens de la récupération, comprenant enfin : "ah vous voulez la manger ? oui oui vous pouvez" pour terminer quelques secondes plus tard "j'ai jamais vu ça, des intestins dehors comme ça". Au sujet d'un chien ayant avalé une aiguille à tricoter : "y'a du fil bleu madame", et après avoir sorti l'objet "ah non mais je comprends pas, j'ai pas cousu avec du fil bleu".

Fin des années 1990 / début des années 2000 obligent, le spectre de la vache folle est partout en arrière-plan, conduisant à des abatages obligatoires malgré l'absence de cas avéré dans la région à ce moment-là. La modernité des élevages intensifs rôde également dans les parages. Mais c'est naturellement la diversité tragicomique des situations qui prend le dessus, le matin dans un cabinet d'un blanc immaculé pour retirer un caillou de l'estomac d'un chien et l'après-midi dans une ferme souillée de bouses pour réaliser une échographie in utero d'une charolaise sous la pluie. Notons tout de même qu'il faut avoir l'estomac bien accroché car certaines séquences sont assez crues (mais sans aucune forme d'excès) : l'incision d'une vingtaine de centimètres sur le flanc d'une vache tout à fait consciente, debout et relativement calme, pour aller se balader dans ses intestins à plusieurs bras, ne laissera pas indifférent. Quel métier...

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