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Douze hommes en colère

Je ne connais pas bien Robert Aldrich et Les Douze Salopards m'en dresse un portrait (partiel) assez clair : le genre à ne pas faire dans la dentelle et à asséner son coup avec une frontalité tout à fait assumée. Il y a de l'exagération dans la description de quasiment tous les personnages mais, étonnamment, ce trop-plein de verve ne vire pas pour autant à la caricature, chose qu'on attendait presque dans le registre du film de guerre. Mieux, Aldrich fait preuve d'un certain anti-manichéisme tout à fait surprenant, en manipulant avec plus de soin que prévu des situations ambigües et des intentions on ne peut plus troubles. Que ce soit chez les douze du titre ou chez leurs généraux, il est bien difficile de deviner la trajectoire qu'ils vont suivre, qui va se révéler complétement fou, qui va rester intègre, qui va tenter de se rebeller, qui va faire semblant de ne rien voir, etc. C'est un film bien étrange ce point de vue-là.

On est tellement loin du film d'opération commando américain classique... Exit les nobles protagonistes et les valeureux soldats prêts à se sacrifier pour la cause de la nation, place à la raclure qui peuple les prisons militaires. C'est un début qui bouscule vigoureusement tous les repères qu'on peut avoir en la matière. Le ton est dès le début très amer, en filmant de manière extrêmement froide l'exécution d'un détenu par pendaison, et le film poursuivra sa route en direction d'un discours anti-belliciste totalement désabusé, très loin de quelque forme d'héroïsme que ce soit, flirtant même avec un nihilisme brutal par moments (bien au-delà de La Colline des hommes perdus de Sidney Lumet, cf. ce billet). La galerie de têtes connues (Lee Marvin, Ernest Borgnine, Charles Bronson, John Cassavetes, Donald Sutherland [dans un rôle de fou qui préfigurera celui dans De l'or pour les braves, chroniqué ici, trois ans plus tard], George Kennedy, etc.) ne change rien à cette brutalité, en dépit des nombreuses séquences comiques et presque bon enfant qui ponctuent régulièrement le récit.

Voir ce film après le Inglourious Basterds de Tarantino permet de discerner deux démarches radicalement différentes, tant la bande d'assassins et autres condamnés ne trouve d'égal ici que dans la figure des généraux haut placés, d'un cynisme effrayant. Personne n'endosse les habits du héros, à aucun moment la Seconde Guerre mondiale ne ressemble à un événement "cool". Malgré la démesure du projet, à savoir faire exploser un château avec un joli gratin de dirigeants nazis à l'intérieur avant le Débarquement, jamais l'entreprise ne paraît judicieuse, méritée ou héroïque. La dernière partie est à ce titre d'une rare violence, une immense boucherie dans les deux camps, tellement vaine, malmenant les archétypes hollywoodiens dans la lutte contre la nazisme. On finit par se demander qui sont les plus fous ou les plus cruels, lorsque le commando jette des litres d'essence et des dizaines de grenades dans les sous-sols, à travers les conduits d'aération, où se sont réfugiés les Allemands du château, avec femmes et enfants ostensiblement montrés. C'est une mise à mort longue, lente, compliquée, semée d'embûches, le point d'orgue d'un massacre difficilement acceptable.

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