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"L'ennemi est chez nous et dans nos propres foyers."

Les Sorcières de Salem est un objet étonnamment peu connu du cinéma français, une pépite non pas incontournable ou transcendante, mais un de ces films à l'originalité notable qui était resté relativement confidentiel. Il prenait tranquillement la poussière sur des étagères pour diverses raisons alors qu'il aurait mérité une plus grande visibilité. En l'occurrence, l'anecdote est assez croustillante puisque c'est l'auteur de la pièce dont le film est adapté, Arthur Miller, qui a freiné des quatre fers pour que le film de Raymond Rouleau reste invisible jusqu'à sa mort. La véritable raison, si l'on met de côté les explications officielles peu crédibles : il ne supportait pas la relation qu'Yves Montand a entretenu avec Marilyn Monroe, qui fut pendant un bref moment sa femme. Le cul et la production du cinéma, c'est toute une histoire.

Le film est une illustration allégorique de la chasse aux sorcières, au sens littéral, qui eut lieu en 1692 à Salem Village, sur la côte Est des États-Unis, dans le Massachusetts. Un moment clé de l'histoire coloniale du pays, empreint de paranoïa puritaine, qui se conclura par l'exécution d'une vingtaine de personnes et par l'emprisonnement d'un plus grand nombre. Au-delà du contenu purement informatif, le film entend dénoncer à travers ces procès en sorcellerie une autre chasse aux sorcières qui sévissait à la fin des années 50 aux États-Unis (le film est sorti en 1957), en plein maccarthysme. Le parallèle est assez évident, avec le recul, mais la démonstration ne se fait à aucun moment lourde ou emphatique. La richesse de l’univers en est d’ailleurs un parfait antidote.

L'effort de reconstitution est manifeste, et la retranscription de la vie comme de l'ambiance au sein de cette communauté est relativement naturelle. Un constat s'impose : les films en langue française (Raymond Rouleau est Belge) portant sur des événements anglais et américains ne sont pas légion (la catégorie inverse est au contraire bien fournie), et il y a une sorte de décalage idiomatique un brin bizarre dans cette configuration qui contribue au charme du dépaysement. Simone Signoret et Yves Montand sont à l'origine de cette adaptation et se fondent plutôt bien dans le décor. L'illustration aurait pu être un peu didactique sur l'origine de la légende qui donne son nom au film, mais certains personnages-clés parviennent à introduire d'étonnantes couleurs : c'est le cas du réalisateur Raymond Rouleau lui-même dans le rôle du procureur Danforth, avec son austérité et ses airs rigoristes et sentencieux, concentrant le propos du film dans ses condamnations et ses appels à la délation ("L'ennemi est chez nous et dans nos propres foyers"). Mylène Demongeot confère au personnage d'Abigail Williams une perversité saisissante, et porte sur ses épaules la propagation de l'hystérie religieuse dans la population, à la différence d'Yves Montand un peu en retrait dans le rôle de John Proctor dont le foyer sera détruit par l'affaire.

C'est surtout l'embrasement très progressif de la communauté qui fait des Sorcières de Salem une curiosité valant le détour, avec la bonne proportion de tragique et de malsain teintés de folie et de désir réprimé. Rien ne sera clairement établi pendant une très longue partie du film, sans que le film ne joue sur la rétention d’information, à l’aide de procédés artificiels comme des ellipses. Tout est dans la description. Un engrenage inéluctable qui carbure à la faiblesse d'esprit et à la superstition au sein d'un microcosme dépeint avec un soin rare, et à ce titre très appréciable.

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