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Optional World Link

Clairement un long métrage de fiction plutôt que documentaire (bien que présenté comme tel), Level Five demande un certain temps d'adaptation avant de pouvoir accéder sereinement à son contenu. Le temps est assez ingrat avec certaines thématiques et certains effets visuels, et la vision de l'informatique issue des années 90 est vraiment datée (on a l'impression que le film date des années 80), doucement désuète, d'un mauvais goût sans doute dépendant de son contexte temporel mais quoi qu'il en soit tenace et bien présent.

Le film de Chris Marker est présenté comme un (faux) documentaire, aux prémices d'Internet appelé "OWL" pour "Optional World Link", un réseau qu'une femme interroge pour se renseigner sur la bataille d'Okinawa dans le but de terminer le jeu vidéo de feu son compagnon. C'est un dispositif de fiction très artificiel, un peu lourd, un peu bancal, mais que l'on peut finir par accepter, par la force. L'idée est de mélanger des segments de pure fiction, dans lesquels Catherine Belkhodja incarne cette femme, Laura, qui parle principalement à la caméra pour témoigner ses émotions, et des passages documentaires composés d'images d'archive et d'interviews (avec Nagisa Ōshima notamment).

Le procédé fait fatalement penser à ceux de La Jetée ou Sans Soleil (et sans doute bien d'autres), dans lesquels Chris Marker entretenait un rapport à la narration un peu similaire : faire émerger une forme de poésie mélancolique d'un dispositif de fiction très singulier. Ici, l'émotion est principalement entretenue par l'artifice du scénario qui entremêle l'histoire personnelle du personnage de fiction et l'histoire véridique d'un pays, le Japon. Ce principe est d'une artificialité évidente, et ce sans doute encore plus aujourd'hui qu'en 1997, mais une fois le cap de l'acceptation des règles passé, les allers-retours entre tragédie personnelle et drame national deviennent intelligibles.

Le film est assez mesuré dans ses évocations historiques (au contraire de Sans Soleil par exemple, qui s'éparpillait beaucoup), avec notamment la séquence terrible dans laquelle une femme saute dans le vite, alors qu'elle hésitait, après avoir aperçu la caméra d'un Américain la filmant. "Est-ce qu'on est sûr qu'elle aurait sauté si elle n'avait pas compris qu'elle était vue ?", dit Laura, questionnant la morale du regard et le pouvoir de l'image (l'image travaillée au cinéma, bien sûr, mais aussi l'image laissée par les sujets devant la caméra). On nous montre des films de propagande (japonais et américains) franchement racistes, pour les confronter dans leur ridicule, et on nous raconte des histoires de suicides (forcés) de masse et celle de Simon Bolivar Buckner qui fut le seul général américain à mourir durant cette guerre. Même si la forme est regrettable, il y a de nombreuses miettes de contenu qui sont toujours bonnes à prendre.

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