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Comme il est dit dans l'introduction du bouquin, il ne s'agit pas vraiment d'un dictionnaire, mais plutôt d'un recueil d'apophtegmes en tous genres (l'éditeur Hoëbeke a préféré remplacer « Les Apophtegmes de Siné » par « Mon dico illustré »), de points de vue plus ou moins scabreux de l'infatigable Monsieur Siné. Personnellement, je ne me lasse pas de l'incroyable réquisitoire de Desproges à son encontre, piquant à souhait, dont voici un extrait :

[...] L’homme qui stagne aujourd’hui sur ce ban de l’infamie où le cul du gratin s’écrasa avant le sien, cet homme, mesdames et messieurs les jurés, ce morne quinquagénaire gorgé de vin rouge et boursouflé d’idées reçues, présente à nos yeux blasés qui en ont tant vu qu’ils sont devenus gris, la particularité singulière, bonjour les pléonasmes, d’être le seul gauchiste d’extrême droite de France.
Xénophobe même avec les étrangers, rebonjour, masquant tant bien que mal un antisémitisme de garçon de bain poujadiste sous le masque ambigu de l’antisionisme propalestinien, misogyne jusqu’à souffler dans sa femme pour économiser sa poupée gonflable, pardon Catherine, plus primaire encore dans son anticommunisme que les asticots moscovites présentement occupés à bouffer Brejnev de l’intérieur, Siné, la baguette sous le bras, et le béret sur la tête comme un Guevara de gouttière va sa vie à petits pas, tel un super Dupont mou, plongeant mollement dans le fluide glacé de son troisième âge.
[...] Siné, vous êtes de ces pacifistes bardés de grenades et de bons sentiments prêts à éventrer quiconque n’est pas pour la non violence.

Pierre Desproges, Le Tribunal des flagrants délires,
13 décembre 1982

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À plus de 80 ans, Siné continue de semer sa zone et distribue les coups à tout va : la guerre (celle d'Algérie plus que les autres), les militaires, les fanatiques, les curés, le sport, la corrida, l’impérialisme américain (y compris le Coca), le parti socialiste, la droite et l'extrême droite, et des centaines d'autres aversions personnelles... il y en a pour tous les goûts ! À travers ses écrits et ses dessins, parus dans Charlie Hebdo, Siné Hebdo, Siné Mensuel ou ailleurs, on découvre aussi des témoignages sensibles et émouvants sur ses amis – notamment Jean Genet et Jacques Prévert –, sur des musicien(ne)s de Jazz – Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Ray Charles et Betty Carter pour ne citer que ces quatre – et sur ses chats qu'il adore (car il n'existe pas de chat policier), sans oublier sa profonde attirance pour le cul, le pinard et la clope. Largement de quoi composer un dictionnaire !

Le témoignage d'un artiste « contre », jamais « en phase » et encore moins « de connivence » avec le pouvoir quel qu'il soit, d'un sage à sa façon, fidèle à son envie de cogner au nom d'une certaine idée de la justice et de l'humanité et de garder envers et contre tout l'espoir chevillé au corps.

Hoëbeke